Les analyses de Jacques Cheminade

Notre part d’immortalité

vendredi 15 octobre 1999, par Jacques Cheminade

Il est des moments de l’histoire où tout se joue. Nous vivons l’un d’entre eux. Ces moments sont terribles parce que le risque encouru est immense, mais en même temps ils offrent aux audacieux une occasion comme nulle autre : face à la crise, les êtres humains doutent de leurs certitudes, et sont prêts à penser autrement. C’est le moment où nous pouvons les saisir et les inciter à changer pour pouvoir changer le monde : haut risque et belle occasion. Hier, je vous ai parlé de culture, ce fondement de l’engagement politique. Dino de Paoli, dans la science, ainsi que Christine Bierre et Ortrun Cramer, dans la musique, vous ont montré où réside cette étincelle qui permet le changement - condition indispensable pour éveiller l’engagement, en vous-même et en l’autre. C’est la question de l’identité, « qui suis-je, pour faire quoi ? ». Aujourd’hui, à cette Assemblée générale de Solidarité et Progrès, je voudrais vous parler - dans la continuité de la « culture » - de stratégie et d’économie.

La gravité de la situation ne peut être cachée ni à vous, ni aux autres :

1) Le système financier et monétaire international est à bout de souffle, nous atteignons la fin de partie. Même un Helmut Schmidt, pourtant pondéré, prudent et dans le courant moyen de l’univers politique, nous dit dans le Welt am Sonntag du 1er août que « ce sont des psychopathes qui font monter les marchés financiers » ». Désormais, même ceux qui n’admettent pas la fameuse triple courbe de Lyndon LaRouche parlent de l’inéluctable « correction » à Wall Street.

2) Les représentants avisés de l’oligarchie prennent des positions en vue du krach, en espérant une fois de plus en sortir vainqueurs : or, entreprises pétrolières, diamants, aérospatiale, terres, tous les actifs solides leur sont bons.

Ils tentent par tous les moyens de s’en emparer au plus bas prix possible, comme dans l’affaire de l’or de la Banque d’Angleterre, acquis par les copains et les coquins du gouverneur Eddie George - le syndicat des banquiers acheteurs.

Il n’y a plus d’économie de marché, c’est devenu une économie de marché aux voleurs.

3) Toute ressource est bonne pour faire durer le système le plus longtemps possible, le temps de bien se « positionner ». L’argent de la drogue en fait officiellement partie, maintenant que Richard Grasso, directeur du New York Stock Exchange, a rencontré fin juin en Colombie le « financier » des narco-guérillas du FARC, en souhaitant qu’ils saisissent ensemble « toute bonne occasion d’investir ».

4) La crise financière conduit à une fuite en avant vers la guerre. Le FMI et l’oligarchie anglo-américaine s’efforcent en effet de détruire tout Etat-nation qui résiste ou pourrait résister. En le faisant, ils jouent avec le feu.Après le Kosovo et l’Irak, voici « l’ingérence humanitaire » au Timor oriental. Dans tous les cas, celui qui s’ingère n’apporte que du sang et des larmes, mais aucun développement économique ni apport social. Parler de « plan Marshall » est devenu un jeu mondain sans conséquences.

Mais voici que le même « jeu » - le Grand jeu sur le Grand Echiquier, aurait dit Zbigniew Brzezinski et répété, en bon ventriloque, son élève Madeleine Albright - le même jeu est joué « live », vis-à-vis de la Russie et de la Chine. Le bombardement de l’ambassade de Chine à Belgrade et les déclarations réitérées du président taïwanais sur « les deux Chines » constituent une provocation absolue vis-à-vis de Pékin. La Chine voit non seulement son indispensable développement économique entravé par la crise mondiale, mais se trouve directement menacée dans sa souveraineté nationale. Les provocateurs, aux Etats-Unis et en Angleterre, parlent de doter Taïwan et le Japon d’un système de défense anti-missile - de missiles anti-missiles. C’est une provocation dangereuse, en même temps que, militairement, une conception inefficace. Quant à la Russie, la nouvelle phase ouverte par les attentats terroristes ne doit tromper personne. Comme le pensent nos amis russes, ce ne sont pas quelques bandes Tchétchènes ou Daghestanaises qui ont le pouvoir et les moyens - ou même l’intention - de tuer aveuglément et massivement des femmes et des enfants. C’est une opération de déstabilisation conduite par le Commonwealth anglo-américain, par ses milieux les plus aventuristes. Nous sommes entrés dans une phase de guerre irrégulière qui, si elle se prolonge, peut dégénérer à tout moment.
D’ores et déjà, des milieux officiels et semi-officiels nous ont fait savoir deux choses :

a) l’armée de terre russe ayant perdu, en termes « classiques », toute faculté de riposte importante sur terre, Moscou recourt à la production d’armes nucléaires tactiques de terrain. La menace d’escalade nucléaire devient ainsi bien plus directe en Europe ;

b) les Etats-Unis et la Grande-Bretagne voulant renoncer au traité ABM, qui interdit le développement d’armes anti-missiles, la Russie se prépare à renoncer au traité START-2, qui interdit les missiles à ogives multiples miniaturisées à trajet modifiable : les Russes veulent se donner les moyens de percer le parapluie américain et, là aussi, s’esquisse la condition d’une escalade, sur fond de croissance physique négative.

La situation se trouve bien évidemment aggravée par l’instabilité intérieure du pays : toutes les révélations sur les énormes détournements d’argent, connus depuis longtemps, arrivent à point nommé pour affaiblir la résistance, mais aussi pour créer l’occasion d’aventures ! La France est un des « comptoirs » de cette affaire : c’est chez nous, dans la propriété de Garouge, au cap d’Antibes, que ce sont réunis les « amis » de la fille de Boris Eltsine, Tatiana, pour se partager les dépouilles des entreprises russes privatisées. Boris Berezowski, l’« oligarque » grand manipulateur de la scène moscovite, se sert de notre pays comme d’une maison de rendez-vous. Jusqu’à M. Pasqua, qui se rend à Krasnoïarsk (Sibérie) pour décerner un brevet de gaullisme au général Lebed...

5) La conclusion, c’est que nous avons devant nous une situation ou de guerre ou de chaos, et probablement les deux ensemble - un phénomène du type guerre de Trente ans ou de Cent ans - si l’on ne change pas les paramètres stratégiques actuels.

Pour les changer, un certain nombre d’éléments doivent d’abord être pris en compte : L’enjeu de la présidence américaine.

1) Le plus grand pouvoir financier et monétaire actuel est l’empire du Commonwealth anglo-américain : il domine les marchés financiers, les matières premières, les métaux précieux et rares, les opérations de renseignement, en même temps que les grands médias qui en sont l’aspect public. Le seul pouvoir qui puisse s’y opposer est celui de la présidence américaine - avec ses moyens humains et militaires.

2) Or, la présidence américaine va aujourd’hui à vau l’eau. Clinton est un homme brillant, qui comprend bien la nature de ses ennemis, mais c’est un soixante-huitard porté au consensus, par peur d’intervenir sur un terrain inconnu, par manque d’audace. Il laisse l’appareil militaire américain, en particulier, faire le jeu de l’empire anglo-américain. La seule manière de redonner un souffle à la présidence américaine est d’y mettre Lyndon LaRouche, avec ses idées et son engagement, son audace intellectuelle et morale.

La nullité de Gore et de Bush, la médiocrité de Bradley et des autres candidats, ainsi que le mécontentement qui monte dans le peuple américain, rendent désormais possible cette idée. La plupart des hommes et des femmes qui ont assisté à notre conférence aux Etats-Unis croient que LaRouche peut devenir président de leur pays, car le temps n’est plus aux adolescents attardés et carriéristes, les « fils à papa » du type Bush ou Gore.

Nos militants américains prennent déjà très au sérieux l’effort pour connaître les idées de LaRouche et l’engagement militant.

Lorsque les grands artistes que sont Sylvia Lee (qui joua souvent avec Marian Anderson) et W. Warfield (l’un des premiers Noirs qui se soit jamais produit au Metropolitan de New York) ont chanté, durant cette conférence, « les deux grenadiers » de Heine et Schumann, l’appel au dévouement des deux combattants a été reçu par la salle comme un appel aux armes, comme un ordre de marche. Et le dimanche matin, ils ont interprété le negro-spiritual « Ain’t Got no Time to Die » (je n’ai pas le temps de mourir), le message d’un homme qui dit à Dieu qu’il a tant de missions à remplir qu’il n’a plus le temps de mourir. A partir de là, à partir des diverses interventions - sur l’art, la culture, la stratégie - des centaines et des centaines de personnes, sénateurs et députés d’Etat, Hispaniques, Afro-Américains, chauffeurs de camions (l’un parcourt les Etats-Unis avec un immense portrait de LaRouche sur son véhicule), toutes ces personnes se sont portées volontaires, coordinateurs, responsables pour la campagne, comme cela ne s’était jamais vu. La réponse est donc là, aux Etats-Unis, un raz-de-marée se prépare, une chance nous est offerte.

3) Et l’Europe, dans tout cela ? Eh bien, il n’y a plus réellement d’Etat-nation, plus d’initiative. Ses propres dirigeants se sont fait hara-kiri : voyez Blair, voyez Schröder, voyez Jospin - « le tournant libéral de la gauche », c’est-à-dire la soumission. Laurent Mauduit et Gérard Desportes ont d’ailleurs écrit sur ce sujet des choses très intéressantes dans un livre que je vous conseille de lire.

Alors, que pouvons-nous faire, en France ? D’abord, faire connaître la campagne que mène LaRouche aux Etats-Unis. Dire que tout anti-américanisme primaire, prenant abstraitement comme cible les Etats-Unis et Washington, est une forme de défaitisme, surtout pour des Européens qui ne font rien de leur côté. Nous devons dire et répéter qu’il se lève là-bas, à l’occasion de la présidentielle, un mouvement qui fait écho à la tradition de Franklin Roosevelt et de Kennedy, et la dépasse de loin par sa portée culturelle et son insertion à la pointe du courant historique de l’économie physique.

Ensuite, faire campagne pour que la France, dans la tradition de la politique étrangère gaullienne, se joigne au front de résistance - ou « front pour la survie » - constitué par la Chine, l’Inde et la Russie, tout en sachant que, par eux-mêmes, aucun de ces pays ne peut prendre un leadership mondial, et aucun d’eux - ni même les trois ensemble - ne peut affronter la puissance anglo-américaine. Les représentants du gouvernement chinois eux-mêmes l’admettent.

Le paradoxe de l’histoire actuelle - répétons-le - est que seule une présidence américaine retrouvée dans son impulsion historique, c’est-à-dire animée par le « courant LaRouche », peut représenter une espérance de changement, à condition de recevoir l’appui indispensable d’autres pays, en particulier de la Chine, de l’Inde, de la Russie et, si possible, de pays d’Europe occidentale comme l’Allemagne, la France et l’Italie. Cette notion d’« appui » ne doit pas, bien entendu, être considérée de façon unilatérale. Il s’agit de constituer ensemble un rapport de forces nouveau, pour atteindre la « masse critique » permettant de changer le cours des choses.

La bonne nouvelle, c’est qu’il vient de se fonder à New Dehli une association pour le pont terrestre eurasiatique, animée par des personnalités russes, indiennes et chinoises, qui a nommé LaRouche membre honoraire et conseiller. Nous avons donc la combinaison souhaitée qui s’ébauche ; il s’agit maintenant pour nous de « pousser les feux » dans la campagne présidentielle américaine et, en Europe, particulièrement en Allemagne, en France et en Italie, de se battre pour reconstituer un pôle d’indépendance qui s’associe au mouvement international en cours.

Pour cela, enfin, j’entends mener une campagne présidentielle en vue de l’élection de 2002. Ce sera cette fois une campagne publique, lancée très tôt - c’est-à-dire dès maintenant -, étroitement associée à celle de « mon ami américain » et très différente de l’autre, qui était une opération surprise de commando, car les révolutionnaires ne peuvent pas se permettre de bégayer. Ce sera donc une campagne « la mano en la mano » avec mon ami américain, comme le disait le général de Gaulle au Mexique en 1964, et gardant totalement à l’esprit les considérations précédentes : patriotes, nous nous battons pour que la France retrouve son rôle ; citoyens du monde, nous donnons une totale priorité à la campagne pour l’élection présidentielle américaine. On embauche pour aller y participer là-bas ; on embauche ici - on a besoin de chacun d’entre nous partout. Je vous annonce qu’aux Etats-Unis, le mouvement se gonfle chaque jour, en particulier de jeunes, d’Hispaniques, d’Afro-Américains ; et qu’ici, deux jeunes et peut-être bientôt trois ont décidé de devenir permanents dans notre combat. Face à notre tâche, nous avons deux problèmes fondamentaux :

  1. la nature de ce qui se passe en France sous ce gouvernement de la « gauche plurielle » ;
  2. le pessimisme que cet environnement politique crée dans la population.

Sous le gouvernement de la gauche plurielle, il y a une bonne nouvelle : la droite se décompose totalement ; et il y a une mauvaise nouvelle : la gauche fait la politique de la droite. Et tout le monde a oublié - ou feint d’oublier - ce qui a constitué chez nous le meilleur de l’après-guerre : la tradition rooseveltienne et jaurésienne de Mendès-France (notamment dans sa République moderne) et la tradition républicaine à composante militaro-industrielle, celle de Charles de Gaulle.

Voyez le scandale, il est sous nos yeux : jamais on a autant privatisé que sous le gouvernement Jospin, alors que la privatisation est devenue synonyme de vol, de combinaison frauduleuse.

Privatisations et fusions Un exemple : Matra-Aérospatiale. On a privatisé l’Aérospatiale dans des conditions très favorables à la famille Lagardère - à bas prix - en vue de constituer un pôle aérospatial français et européen fort. Et ce jeune imbécile, cet adolescent attardé d’Arnaud Lagardère (Lagardère fils, comme on disait au XIXème siècle) vient d’annoncer publiquement - à la presse - ce qu’il n’aurait dû annoncer qu’en privé : la volonté de son groupe de recentrer son activité sur les médias et de vendre, en faisant un énorme profit, sa part dans l’aéronautique. C’est le comportement logique du pirate industriel de la nouvelle génération. Son père l’a morigéné, Jospin a fait pour la énième fois le coup de la vertu outragée, mais la réalité du « deal » est là : je te promets de faire un joli coup financier avec l’Aérospatiale, tu investis avec le profit dans les médias, d’où tu me renvoies l’ascenseur pour mes prochaines campagnes ! Tout est scandaleux dans ces affaires de mégafusions. Prenez les banques, l’affaire Société générale, BNP et Paribas.

Le « marché » aboutit à la pire des solutions, à la plus favorable à la City de Londres et à Wall Street, celle qui affaiblit le plus nos banques. Et qui se sont retrouvés pour magouiller ensemble ? DSK et Edouard Balladur, les deux oies de la capitulation, les « Oies du Capitule ». Prenez Elf et Total : Jaffré a laissé les intérêts anglo-américains contrôler plus de 50% d’Elf et livré ce fleuron, pas très reluisant, mais fleuron tout de même, de notre indépendance nationale au pire cabinet d’avocats de New YorkWilkie, Farr et Gallagher - l’un des principaux cabinets de l’oligarchie financière de Wall Street et ennemis personnels de LaRouche. Pour plaire aux actionnaires, Jaffré a renoncé au projet industriel d’Elf et préparé des charrettes d’employés. Le voilà, l’austère agent du Trésor, qui part, fortune faite, avec plusieurs centaines de millions de francs en stocks-options, récompensé pour sa fatuité et son incompétence.

Prenez maintenant Michelin, où l’alter-ego d’Arnaud Lagardère, le jeune Edouard Michelin, trois mois après avoir pris le pouvoir dans l’entreprise et alors que ses bénéfices ont augmenté de 18% sur un an, annonce une réduction d’effectifs de 7500 personnes en Europe - et même en France, et même dans la sacro-sainte Auvergne - pour « satisfaire les actionnaires ». La Bourse le lui rend bien : à l’annonce des licenciements, le titre a augmenté de 12,6%. C’est la fin du modèle « à la japonaise » en France : avant, le patron était paternaliste, dominateur et infantilisant, mais il assurait au moins un bon traitement social, la sécurité de l’emploi et le financement d’une équipe de rugby. C’était Clermont-Ferrand Michelin-ville avec un maire socialiste et une entreprise hyper-capitaliste. Le petit prince Edouard a réduit en ruines ce modèle : finie la sécurité de l’emploi, finie la logique industrielle, c’est l’intronisation absolue de l’actionnaire-roi, la loi du plus fort, du plus riche et du plus court-terme.

Impuissance politique

Et que répond Lionel Jospin à tout ça ? Que, dans une économie « qui n’est plus administrée, le gouvernement n’a plus les moyens d’imposer ses volontés au marché ». Et il ajoute, comble de l’hypocrisie, « les salariés existent, il y a des syndicats, une mobilisation qui peut se mener ». En termes évangéliques, cela s’appelle Ponce-Pilate, et en termes psychologiques, impuissance psycho-sexuelle. Voilà un homme qui prétend être honnête, probe et tenant ses promesses, qui livre l’économie, non au marché, mais au marché aux voleurs. La droite est pire, mais est-ce une raison ? On en vient même à lire des tribunes libres où l’on évoque l’hypothèse de renationalisations par la droite : c’est la nef des fous.

Et rappelez-vous la nef des fous : pendant que les uns dorment, que les autres pensent se partager le pactole et que tous ergotent, un habile voleur vient dérober le jambon attaché au grand mât. Rappelez-vous l’Escamoteur de Bosch, à St-Germain : un badaud regarde un jeu de dés sur une table, y joue, et pendant ce temps se fait dérober sa bourse.

Eh bien, c’est la France aujourd’hui. Car le « secret », le stupide espoir des bureaucrates socialistes est que, les actions étant plus surévaluées aux Etats-Unis qu’en France, des milliards de dollars viendront se déverser sur notre pays, leur assurant une rente qui leur permettra de rester au pouvoir jusqu’en 2010, date à laquelle la baisse démographique créera le plein emploi : il y aura moins d’hommes en âge de travailler, plus de dollars, et donc les statistiques s’amélioreront. C’est ce que dit Strauss-Kahn, à peine en privé.

Logique absolument, totalement malthusienne, définie par la situation à un moment donné ; l’économie, comme le dit Jospin, n’est plus administrée, mais le rêve socialiste est devenu celui d’une finance bureaucratisée : on achète les gens avec les dollars qui nous achètent ! C’est une stratégie qui paraît habile à qui voit les choses en extrapolant - toutes choses égales par ailleurs - c’est-à-dire aux imbéciles. Car les dollars qui arrivent peuvent devenir à tout moment des dollars qui partent et, croyez-moi, ce moment est proche. Voyez ce qui est arrivé en Asie ; eh bien, c’est ce qui va arriver à l’Europe. Oh, en Europe, on n’y croit pas : nous ne sommes pas, après tout, de vulgaires petits Coréens, Indonésiens ou Chinois. L’Europe, c’est du sérieux ! On a la croissance, la consommation augmente, l’investissement va suivre, et si le reste du monde n’existait pas, tout irait bien.

Tant pis, après tout, pour les Américains, qui vont peut-être avoir le krach de Wall Street. Alors, encore plus d’argent viendra vers l’Europe, vers la France ! Tant pis, après tout, pour l’Afrique : certes, Chirac et Jospin leur avaient promis le lancement d’un fonds de solidarité thérapeutique international pour aider les pays africains à accéder aux médicaments. On ne le fera cependant pas car, n’est-ce pas, on ne peut pas contraindre les laboratoires pharmaceutiques. Tant pis pour la Russie : ce sont des voleurs, nous ne devons pas nous gêner avec eux.

Tant pis pour l’autre, si moi je vais très bien, avec mon équipe de technocrates et d’ânes savants. Quelle illusion ! Quelle bêtise ! Les socialistes ont abdiqué le socialisme, les gaullistes ont abdiqué le gaullisme et, à la fin de la partie, tout cela pour rien. Car quand ils auront tout vendu, ils deviendront à leur tour les kleenex qu’on jette après usage, on fera d’eux ce qu’ils ont fait aux autres ! Car la France n’est pas un pays isolé ; elle enregistre, peut-être avec retard, les chocs du monde, mais c’est sans doute parce que ses élites sont devenues un peu sourdes. Elles ont perdu tout sens de la solidarité sociale et de la réalité, de l’imminence de la crise.

La folie financière Elles ne veulent pas voir que le commerce mondial de marchandises a atteint 6000 milliards de dollars en 1998, contre 200 000 milliards sur les marchés dérivés dans le monde et 300 000 milliards de créances financières (produits dérivés inclus). Par rapport à cela, le produit national brut de l’ensemble du monde est de 41 000 milliards de dollars - plus de sept fois inférieur au montant des créances ! C’est une banqueroute virtuelle, avec une déferlante réelle qui se prépare, face à laquelle il n’y a pas d’île « française ». Aux Etats-Unis, la capitalisation boursière (sans parler de spéculations encore plus folles) est d’environ 160% du PIB, alors qu’elle était d’environ 80% en 1929 ; le déficit de la balance des paiements américains atteint 25 milliards de dollars par mois (300 milliards annuels), ce qui est comblé en achetant à prix cassés les matières premières venant du Sud et surtout par les fonds venant de l’étranger, notamment du Japon.

Mais si le Japon se met à spéculer encore plus - ce qu’on appelle aujourd’hui « redémarrer » - et si le dollar ne monte plus par rapport au yen, le robinet japonais cessera de couler vers l’Amérique, et « crise, krach, boom », comme auraient dit naguère Jean Boissonat et Michel Albert. C’est une hypothèse sur la cause « immédiate », mais il y en a des dizaines d’autres. Par exemple, la crise sur les obligations Brady, les titres de la dette des pays latino-américains garantis par le Trésor américain ; pour la première fois, un pays vient de faire défaut, l’Equateur. La certitude d’un effondrement est acquise lorsqu’il n’y a plus un seul point de rupture, mais une multitude, avec des interactions de plus en plus incontrôlables.

Si les élites françaises sont aveugles, nous devons présenter la situation, avec l’horizon positif défini hier avec le pont terrestre eurasiatique et le nouveau Bretton Woods, en montrant que la gauche plurielle n’est qu’une multiplicité de trahisons de diverses couleurs - verte, rouge, rose - et que les contestations « vitalistes » d’ATTAC ou de la Confédération paysanne, absolument légitimes mais basées sur un émiettement d’initiatives, perdent tout sens réel de causalité, tout sens de raison suffisante, et s’exposent aux provocations des gens en place, cette oligarchie aussi prête à prendre des mesures d’Etat policier contre les citoyens - comme l’Opération Surety en Angleterre - qu’à détruire les Etats-nations par une guerre irrégulière.

Ce qu’il faut faire Il faut faire entendre raison aux gens, en leur exposant la situation - sans complaisance, dans toute sa portée - et en leur montrant l’issue, l’espérance possible et nécessaire. Vous devez être les Ambassadeurs de la Nécessité pour une survie, comme l’a été, aux moments décisifs de l’histoire, la vaste théorie de nos prédécesseurs. Il faut remettre en marche les capacités de penser des Français, qui sont passablement rouillées, les sortir du zapping et les amener à la réflexion.

Mais ici, vient le second problème : vous n’êtes pas accueillis avec des roses. On nous traite de casseurs de système, de destructeurs d’illusions, d’extrémistes, de secte, de barjots, hors normes inacceptables et, suprême injure dans la France actuelle, d’étrangers. L’environnement politique a créé un pessimisme dans la population qui fait que les plus intégrés, ceux qui ont « réussi », se retranchent derrière leur argent, leur carrière, leur patrimoine ou leur famille, tout cela pour se cacher de la réalité. Dites-leur que leur carrière et leur argent vont, pour la plupart, s’évaporer comme à Weimar, en leur expliquant rationnellement pourquoi. Et que leur patrimoine et leur famille sont certes estimables, mais qu’ils ne résisteront pas à la déferlante de la crise : le meilleur service qu’ils puissent se rendre à eux-mêmes, c’est de nous soutenir, de soutenir notre combat dans la durée. La crise s’étendant, les gens auront de plus en plus besoin de leadership - de vous, de nous.

Considérez ma campagne présidentielle en vue de l’an 2002. En linéaire, c’est une folie : je ne sais pas ce qui se passera d’ici 2002, mais il y aura un tel changement de phase que l’élection présidentielle prendra un tout autre sens. Et je sais que nous n’avons pas, en principe, les moyens d’être présents, à tel point que si je suis candidat, le bon Etat français de la gauche plurielle et de Jacques Chirac réunis tentera de saisir tout le maigre argent que j’aurai rassemblé, en invoquant ma « regrettable erreur » de la campagne présidentielle de 1995. L’épée de Damoclès est suspendue au-dessus de ma tête, et j’aurais le front, le culot, l’audace de bouger encore ! Quelle folie ! C’est vrai en termes établis, en « linéaire ». Mais le temps des crises, des krachs, des guerres, n’est pas le temps du linéaire.

C’est le temps des refondations, de la pensée humaine, des sujets humains organisant la vie pour la changer. Je vais prendre l’exemple de quelqu’un à qui je suis opposé sur de nombreux points, mais en qui nous devons reconnaître un réel refondateur, un homme qui collabora directement avec Franklin Roosevelt pour mettre en place la mécanique irrésistible de la machine de guerre américaine qui contribua à délivrer le monde du nazisme. Je veux parler de Jean Monet, qu’on appelait « l’inspirateur ». Que disait-il, bousculant toute l’administration américaine d’alors - lui, un étranger, un Français - et lui fixant des objectifs que tous considéraient comme impossibles et qui ont cependant été non seulement tenus, mais dépassés ? Il écrit dans ses mémoires : « Nous avions décidé de renverser l’ordre de la logique des financiers qui ajustent les besoins aux ressources, logique absurde quand les besoins sont ceux de la survie du monde libre : pour un tel enjeu, on parvient toujours à trouver des ressources. »

C’est en effet la bonne planification, celle qui part de l’objectif à atteindre et engage l’effort par rapport à lui, le processus non linéaire vers le « un », l’objectif à atteindre, et non l’évaluation des possibilités à partir de ce qu’on a, ce que font les bons rentiers, les bons banquiers d’aujourd’hui, ce que font la gauche plurielle et la droite éclatée pour aboutir... à rien, à ne rien faire.

De même, il ne faut pas se fixer, comme excuse, sur l’état mental des gens d’aujourd’hui. Il faut les changer, et c’est la leçon de ces journées - la leçon du peintre de la préhistoire, de Maïmonide, de Bach, Leibniz, Mendelssohn, Lessing, Carnot et Pasteur. Car face à la réalité de la crise, les gens vont changer comme ils ont toujours changé, c’est-à-dire - et ne pavoisez pas - qu’ils vont devenir très exigeants vis-à-vis de nous, de vous.

Pour nous s’ouvre une fenêtre d’opportunité, comme on dit outre-Atlantique. Aux Etats-Unis, elle est déjà ouverte. Mais les gens peuvent changer en mal, dégénérer vers un chaos personnel reflétant le chaos du monde, avec ou sans guerre. Pour arrêter le chaos et la guerre qui viennent, il faut « organiser les gens », en faire des personnes humaines. Et même si la tâche vous paraît impossible au début, sachez bien que dans les processus révolutionnaires, il y a toujours, à un moment donné, une accélération fantastique : le processus devient auto-cumulatif. C’est lorsque les individus pensent que leur vie ne peut pas continuer comme elle l’a fait jusque-là qu’ils se mettent à penser à leur fin, et aux fins de la société dans laquelle ils vivent. Et ils s’éveillent, comme ces morts qu’on voit sortir de la terre dans les tableaux du jugement dernier - comme celui de Van der Weyden à Beaune.

Mais vous n’y parviendrez pas par des sermons, ou des prêches, mais par l’exemple, en donnant l’exemple d’une ascension, d’un mouvement vers un point qui doit être toujours plus élevé. Car la beauté organise, et c’est beau de voir un être humain - c’est l’une des plus belles choses - qui par nécessité du monde, surmontant sa peur et exerçant sa liberté, occupe l’espace public pour dire la vérité, comme la chose la plus normale qui soit, car elle fait appel en l’homme à ce qu’il a de plus humain.

Je vous conseille, dans votre engagement, de relire le sermon de Martin Luther King sur le sommet de la montagne, l’Apologie de Socrate et le texte de LaRouche sur la coupe de Gethsémani dont il a bu une large rasade lorsqu’il a été emprisonné.

Cette beauté du combat est plus contagieuse que la panique. La construire au fondement des relations sociales, comme activité sociale, est ce qui s’appelle « la politique ». C’est le lien entre des êtres humains qui s’intéressent à quelque chose d’un peu plus grand que leurs existences éphémères, que leurs possessions, que leurs magouilles d’AG ou de conseil d’administration, et cherchent, comme il est naturel à tout homme, à mener le combat avec d’autres êtres humains ! Là se communique l’allégresse de comprendre et de connaître, de se battre pour le vrai et le juste, contre toute tradition du passé mais dans l’esprit des créateurs du passé, qui eux aussi combattaient. Ce pouvoir d’allégresse, ce pouvoir d’êtres humains qui ne sont pas des emplois fictifs, a un pouvoir illimité de renouvellement. C’est le fondement même de l’attitude prométhéenne décrite par Eschyle.

Prométhée a apporté le feu, les arts et les sciences à l’homme mais aussi, par delà ces choses, quelque chose de plus : l’espérance, ce qui permet aux mortels de surmonter leur peur.

Voici la citation du Prométhée d’Eschyle, que presque tout le monde a oubliée car la tragédie n’est plus lue ou, plutôt, n’est que rarement lue avec les yeux du coeur pensant. Le Coryphée dit à Prométhée : « Mais peut-être as-tu poussé la bonté plus loin encore ? », et celui-ci répond : « Oui, j’ai mis fin aux terreurs que la vue de la mort cause aux mortels ». Il leur a donné un sens de ce qui est immortel en eux, qui n’est pas physique, « vital », mais qui est l’immortalité de la pensée humaine lorsqu’elle conçoit une idée, lorsqu’elle organise la vie, lorsqu’elle « crée » en faisant don de sa création aux générations à venir.

A vous maintenant de mener campagne pour LaRouche aux Etats-Unis, non parce qu’il est un héros qui s’est bien battu mais parce qu’au regard de l’histoire - ici et maintenant - c’est une nécessité absolue, et pas seulement pour les Américains. Car en Europe, je le répète, la terrible incompétence des élites politiques, financières, économiques et sociales, les conduit à anéantir leur propre fondement - l’Etat-nation - et à suivre le joueur de flûte qui jette des billets (virtuels) en marchant vers la falaise. Les courtisans intellectuels, en ramassant les billets de la bonne réputation, émettent des pseudo-idées pour justifier leur impuissance et celle de leurs maîtres : c’est Paris, An 2000.

A vous, donc, de m’aider pour la campagne présidentielle, et voyez bien où la classe politique a conduit la France et elle-même pour avoir refusé d’entendre ma mise en garde de 1995, c’est-à-dire faute de s’être préparée à l’épreuve et d’avoir voulu jouer au plus fin. Car si l’on ne change pas de système, la route qui apparaît la meilleure et la plus pragmatique est celle qui conduit irrémédiablement au gouffre.

A vous, donc, de dénoncer les faux dieux et, en particulier, de dire brutalement aux Européens, aux Français, que la manière dont ils ont traité et traitent LaRouche ne pourra que leur retomber sur la tête ; pas parce que LaRouche et nous-mêmes cherchons à nous venger, mais parce qu’il y a dans le monde une justice qui se retourne toujours contre ceux qui ont menti pour trente deniers.

A vous de dénoncer les faux dieux, de provoquer à penser, de montrer ce que le futur exige pour que la France et l’humanité redeviennent aptes à vivre. A vous de devenir enthousiasmés et enthousiasmants, au coeur même de la rigueur et de la raison, et le monde pourra sans doute être une fois de plus sauvé, ou du moins nous lui aurons donné une chance. C’est ce que je voulais vous dire, pour commencer.