Didier Schmitt : l’Espace, allons-y dès maintenant !

jeudi 20 décembre 2012

Voici un résumé du discours de Didier Schmitt, un expert européen du domaine spatial, lors de la Conférence internationale de l’Institut Schiller des 24 et 25 novembre dernier, en Allemagne.

Pour la vidéo et la transcription complète de son discours, cliquez ICI.

Résumé

Didier Schmitt a rappelé d’emblée que depuis le début de l’humanité, « exploration » et nature humaine ne font qu’un. « On a exploré les profondeurs des océans, escaladé toutes les montagnes, on a fait des expéditions vers le Pôle nord et l’Antarctique. Nous devons aller dans l’espace » , a-t-il lancé.

« Le sujet de l’exploration est l’adaptation et la survie » . Certes, l’homme a parfois exploré son univers dans une quête de pouvoir, de richesse ou de prestige, comme ce fut le cas pour la « course à l’espace » engagée par les Américains et les Russes dans les années 1960. On a oublié à quel point les Russes, avant de se faire dépasser par les Etats-Unis, avaient une énorme avance. « Les Russes furent les premiers à lancer un satellite artificiel, à mettre un animal, puis un homme, et ensuite la première femme en orbite. Ils ont lancé la première station spatiale. Ils ont toujours été les premiers. Ils ont eu le premier atterrisseur sur la Lune, etc. La raison en était simple. Quand ils ont développé les missiles intercontinentaux (militaires), ils n’avaient pas mis au point la miniaturisation des têtes nucléaires. (…) Automatiquement, ils étaient obligés de développer un lanceur tout aussi énorme, capable d’être lancé de n’importe quel endroit et dans toutes les conditions climatiques imaginables, en Sibérie ou ailleurs. Ils avaient donc un lanceur très fiable. La seule chose qui leur restait à faire, c’était de remplacer l’ogive par un satellite ou une capsule avec des hommes. »

A la même époque, les Etats-Unis avaient les Minuteman. « Ces fusées étaient équipées de petites ogives. Ainsi, lorsqu’il s’agissait de concurrence pour mettre des choses en orbite, et non de simples capacités balistiques, les Américains n’y arrivaient pas. Ils ont dû concevoir une fusée complètement nouvelle afin de battre les Russes par la suite. (…) Ce n’est que par malchance du côté russe qu’ils n’ont pas été les premiers à poser le pied sur la Lune. (…) Les Russes ont ensuite arrêté tout le programme et ils ont classifié l’opération afin de montrer qu’ils n’avaient jamais échoué ! »

Enfin, pour battre les Russes, Kennedy a réveillé les Etats-Unis et le monde. « L’idée est alors venue de mettre un homme sur la Lune, et vous connaissez la suite de l’histoire. 2% du PIB des Etats-Unis et 300 000 personnes ont mis le premier homme sur la Lune ».

La Chine

« (…) La Chine est le facteur le plus important largement sous-estimé (…) Il s’agit d’un programme entièrement militaire. Le nom du premier tyconaute, comme ils appellent leurs astronautes, n’a été connu qu’à son retour du premier vol. On voit à quel point tout se fait dans le plus grand secret. Ceux qui suivent l’entraînement passent des années dans un lieu secret et restent anonymes. Les Chinois ont déjà fait pas mal de vols, et l’année dernière ils ont fait voler la première femme dans l’espace. Cette année, ils ont fait leur premier amarrage et maintenant ils communiquent un peu plus. Ils ont annoncé il y a deux ans qu’ils mettraient leur propre station spatiale en orbite vers 2020, c’est-à-dire demain. Ils ont annoncé l’année dernière qu’ils avaient pour objectif de poser un Chinois sur la Lune. On ne sait pas s’il s’agit d’une simple visite, comme les Etats-Unis, ou s’il s’agit de faire plus. Et ils ont annoncé cette année que leur but ultime, c’est une mission vers Mars. Il est clair qu’ils montent en capacité. Les Chinois ne parlent de leurs projets qu’après les avoir réalisés. Ce n’est pas ce qu’on a l’habitude de faire ici. Ils ne disent pas "on va faire" mais "on a fait". Ils n’annoncent que ce qu’ils peuvent réellement faire, ce n’est pas du simple bluff. Politiquement, c’est très important parce qu’ils veulent vraiment montrer qu’ils ont la technologie, les tripes et qu’au moins régionalement, si ce n’est à l’échelle mondiale, ils représentent quelque chose d’équivalant aux Etats-Unis.

« Evidemment, les Etats-Unis se devaient de réagir. L’administration Obama a riposté en annulant le projet de l’administration Bush visant à établir une base permanente sur la Lune, ce qui, à mon avis, était assez étrange pour l’époque puisqu’on n’a pas besoin de retourner sur la Lune pour justifier des missions qui iront plus loin, notamment vers Mars. L’administration Obama prépare un plan pour "battre les Chinois". Si les Chinois se préparent à aller sur la Lune, il est évident que les Américains n’y retourneront pas, ils iront plus loin. »

L’Europe et ExoMars

Ce que fera l’Europe a été décidé avant-hier (21 novembre) à la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne (ESA). « Il s’agit de financer les études et les systèmes de propulsion du prochain véhicule spatial (crew vehicule). C’est hautement stratégique. Si les Etats-Unis utilisent ce véhicule pour aller quelque part, que ce soit sur un astéroïde ou sur la Lune, ce sera avec des technologies européennes. »

(…) « Le programme ExoMars a été conçu en 2009. J’étais le premier scientifique à travailler dessus et développer le concept. Et ce concept était très simple. La plupart des programmes américains et russes s’intéressent à la géologie et à la géophysique. Notre idée était d’aller à ce qui est vraiment important : l’eau et la vie. Comment pouvons-nous détecter s’il y a de l’eau et de la vie sur Mars ? C’était un aspect. L’autre était de dire, si nous posons un rover sur Mars, peut-il mesurer les risques pour les humains qui s’y rendront dans quelques décennies ? La mission était donc double : identifier les risques pour les humains et trouver des traces de vie.

(…) A l’origine, on avait un accord avec la Nasa pour qu’elle nous fournisse les lanceurs. (…) Au printemps, la Nasa nous a fait savoir qu’elle ne pouvait plus le faire et qu’elle avait d’autres priorités. Ils nous ont complètement laissé tomber et nous ont obligés à repenser l’ensemble. Ce mardi, nous avons conclu un accord avec l’agence spatiale russe selon lequel ils fourniront les lanceurs pour les deux missions, celle de 2016 et celle de 2018. J’espère que tout fonctionnera. (…) Le défi financier n’est en réalité pas si énorme. Si vous le faites sous forme d’une coopération internationale, cela ne coûtera que le dixième de ce qu’a représenté la guerre d’Irak. Désolé de vous ramener aux discussions antérieures, mais j’aime bien vous faire penser les choses dans la réalité du contexte actuel. On pourrait faire de telles économies en ayant un objectif commun que le coût serait réellement dérisoire. (…) Les programmes européens d’exploration spatiale, tels que vous les avez vus, représentent annuellement moins d’un euro par Européen. (…) Où nous irons dans cinquante ans, personne ne le sait. La technologie est capable de grandes choses. Ce que je souhaite, c’est que l’exploration devienne un effort mondial pour la société, pour tout le monde et que nous ayons un but commun. On peut en discuter d’un point de vue philosophique, mais je vous ai montré que c’est faisable techniquement et financièrement. Seulement, quelqu’un doit avoir le courage de le faire. »

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