Avec Marie Curie, l’énergie nucléaire, un phénomène naturel

dimanche 28 octobre 2012

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Par Yannick Caroff

La France opère le choix de la transition énergétique verte. Cette transition énergétique et écologique adoptée par Nicolas Sarkozy et François Hollande est-elle, comme on nous le dit, respectueuse de la nature ? En retraçant les découvertes de Marie Curie, examinons plus précisément comment la nature agit. Grâce à ce guide de choix, observons la nature avec les yeux de l’esprit.

Si elle fut capable de jeter un regard cru sur la société et ses contemporains, jamais Marie Curie n’a cédé au pessimisme impuissant.

Objectivement, elle aurait pu y succomber. Huit ans après la mort de son mari Pierre, avec qui elle partageait une certaine idée de la science et de l’être humain, elle et sa famille, comme des millions d’autres, sont chahutés par ce qui sera « la grande boucherie ». De même, un an avant de mourir, en 1933, elle comprend que le monde est embarqué dans une nouvelle folie. Pourtant, jamais elle n’associera cette folie à la nature de l’être humain.

Pour elle, comme pour d’autres qui n’appartiennent plus au monde des vivants, c’est « l’esprit d’aventure » qui fait de l’être humain... un humain. Revivons à travers ses « joies de laboratoire » cet état d’esprit, qu’il nous irradie de sa beauté et nous offre un nouveau souffle dans cette grande bagarre pour la civilisation, ici et maintenant.

L’action à distance

La découverte de la radioactivité (terme proposé par Marie Curie elle-même), effectuée en 1896 par Becquerel en tant que phénomène, est confirmée en tant que principe par la scientifique d’origine polonaise en 1899. Posons d’abord que le lieu le plus radioactif de France est le Limousin, non pas qu’il s’y trouve la plus grande concentration de centrales d’énergie atomique, mais par le fait de son sol et sous-sol granitique qui contient une quantité importante d’uranium, source naturelle de radiations, et dont les gaz de radons, un dérivé de l’uranium transformé naturellement (après six transformations), remontent à la surface. C’est à Paris, au laboratoire du Musée d’histoire naturelle que Becquerel (1852-1908) constate le phénomène de radioactivité sur un morceau d’uranium. Grâce à un appareillage unique de son mari (un dynamomètre piézoélectrique), Marie Curie (1867-1934) peut affiner la mesure d’intensité du rayonnement, qu’on ne voit pas, émis par le minerai d’uranium.

Une des plaques photographiques de Becquerel impressionnée, malgré le papier opaque à la lumière, par les rayons issus d’une des substances étudiées.

Ainsi débute-elle ses études sur « les rayons uraniques » constatés par Becquerel. Elle mesure l’intensité par l’effet ou la trace que laisse le phénomène radioactif, scrute l’impact du phénomène dans son environnement et le mesure. L’une des propriétés des minéraux naturellement radioactifs est de pouvoir électrifier (ioniser) l’air ambiant, et cela à très faible intensité.

L’appareil inventé par Pierre et son frère Paul pour mesurer les mini-courants électriques créés à la surface de certains cristaux, lorsque ceux-ci sont soumis à une force mécanique, affina les résultats des mesures d’intensité radioactive des morceaux de pechblende (roche contenant des minéraux d’uranium) étudiés par Marie Curie. Mais alors qu’elle pratique ses mesures, un « bug », un événement non conventionnel, apparaît : certains morceaux de pechblende (puis d’autres minerais) sont deux à quatre fois plus radioactifs que l’uranium.

Elle émet l’hypothèse que d’autres matières que l’uranium sont en jeu dans ces mesures. Ainsi, la découverte du radium, puis du polonium, est en marche et un nouveau chapitre sur la nature s’ouvre à nous, ce que déroule devant nos yeux Marie Curie dans sa thèse de 1903 sur les Recherches sur les substances radioactives.

Nouvelle dimension

Grâce à ses découvertes, Marie conte une histoire nouvelle pour nous mais vieille comme la nuit des temps : celle des transformations de la matière et de son action à distance. Un constant changement apparaît alors à nos yeux ébahis devant un modeste caillou jusque-là innocent. A travers la lecture de ses écrits, on voit une véritable curiosité, un véritable émerveillement irradier la pensée de la scientifique. Tout au long des textes, au détour d’un paragraphe, à l’interstice d’un chapitre, à l’ombre d’un mot, quelque part au-delà du corps du texte, cette curiosité rigoureuse qui la caractérise pénètre l’esprit du lecteur qui prête l’oreille. Que ce soit dans sa thèse de 1903 présentée à la faculté des sciences de Paris ou dans son dernier exposé scientifique Les rayons alpha, bêta, gamma des corps radioactifs en relation avec la structure nucléaire de 1933, cet esprit de découverte et l’enthousiasme qui y est associé demeurent.

Dans sa thèse qui conclut quatre ans de travaux scientifiques, opérés dans des conditions matérielles insuffisantes, Marie Curie met en évidence l’action du rayonnement des minéraux et minerais étudiés : action sur les plaques photographiques, ionisation de l’air, fluorescence de certaines substances. Elle nous montre que la radioactivité a des conséquences sur l’environnement extérieur, faisant que de la matière influe à distance sur d’autres matières.

Dans le quatrième chapitre de sa thèse, elle évoque une « communication entre la matière » , la radioactivité induite. Certaines matières inactives deviennent actives et phosphorescentes au contact de la matière active. Par exemple, elle enferme des gaz radioactifs (gaz provenant d’un sel de radium) dans un tube de verre. Le verre « s’active » et pendant près d’un mois, le tube de verre reste luminescent ! Elle se pose alors la question de ce que cela implique dans l’histoire de la formation de la Terre, dans l’histoire géologique longue où des matières naturellement inactives ont cohabité avec des matières actives . « Il y a lieu de se demander jusqu’à quel degré la radioactivité induite atomique affecte la nature chimique [des matières inactives], soit d’une façon passagère soit d’une façon durable. »

Au chapitre 3, intitulé Rayonnements des nouvelles substances , elle s’amuse à tester l’action à distance d’un sel de radium fortement radioactif. Placé sur une table, sous une cloche de plomb, le sel de radium va pouvoir exprimer son pouvoir de rendre fluorescentes certaines substances comme le platinocyanure de baryum utilisé sur un écran dans l’expérience citée. On place entre le sel et l’écran des obstacles tels un être humain, un écran d’aluminium, un écran de papier, du verre... et on recule au fur et à mesure l’écran, l’éloignant de la source irradiante. On enlève la cloche de plomb et on chronomètre le temps nécessaire au sel pour activer l’écran de platinocyanure de baryum, qui deviendra au bout d’un moment fluorescent. Un sel de radium de 10 g peut agir jusqu’à 2 mètres de distance. Un sel de radium posé simplement sur un morceau de papier fin jaunit puis brunit rapidement la feuille de papier ; en le maintenant ainsi plusieurs heures, le papier se fragilise puis s’effrite. Selon les matériaux utilisés dans les expériences, le matériau irradié devient blanc, vert, rouge, bleu, jaune, brun, gris, violet...

N’est permanent que le changement

Dans son écrit sur les Rayons alpha, bêta, gamma , Marie Curie va au fond des choses. Elle confirme d’emblée que les trois types de rayonnements que l’on a observés dès le début de la découverte de la radioactivité, les rayons alpha, bêta, gamma, ainsi classés par leur vitesse d’émission qui a pour conséquence leur taux de pénétration dans la matière, ces trois rayonnements, dis-je, ont permis d’aborder « pour la première fois d’une manière concrète » le problème de la structure de l’atome... et d’ouvrir un nouveau champ : la physique nucléaire.

Nous avons déjà vu ces rayons dans le rôle de l’ionisation de l’air, de l’émission de chaleur, dans la fluorescence/phosphorescence des matériaux, dans la radioactivité induite... ici, Marie Curie nous amène dans l’invisible : la rencontre de ces rayonnements avec le noyau de l’atome. Sans entrer dans des détails trop techniques, retenons qu’elle nous montre que ces rayons issus de la transformation de l’atome deviennent, dans certaines circonstances, agents de transformation d’autres noyaux d’atomes ! L’atome est un événement de la matière organisé autour de certaines lois, dont celle qui définit la relation entre le noyau de l’atome et son « réseau » d’électrons « orbitant » autour. Jamais pour Marie (ni d’ailleurs pour Pierre) Curie, la nature n’est une chose fixe, immuable et éternelle, toujours ils gardent à l’esprit cette idée d’une transformation en continu.

Les premières découvertes de Marie sur la radioactivité remettent en cause l’idée d’une unité insécable et immuable. Au contraire, ça fourmille, ça gesticule, ça se transforme au plus profond de la matière. Elle évoque par exemple la réaction nucléaire provoquée par un neutron rencontrant un noyau d’azote qui donne : neutron + N14 (azote) = ? + B11 (Bore isotope 11 ou bore naturel). Sachant que l’azote est le numéro 7 dans la table périodique des éléments et le bore le numéro 5, comparez ce changement provoqué par le choc d’un neutron avec les transformations naturelles de l’uranium (numéro 92) vers le radon (numéro 86).

Vous voyez alors la table périodique des éléments d’un regard nouveau : la nature sautille d’éléments en éléments ; la transformation naturelle des éléments déplace l’élément de départ vers l’horizon hydrogène, premier élément de la table périodique. Dans le dernier point de son exposé scientifique, Marie nous montre qu’un véritable bouquet de réactions nucléaires a lieu en ce moment même sur Terre. Car en effet, « Les rayons cosmiques sont également capables de produire des transmutations ainsi qu’il résulte de recherches récentes de plusieurs auteurs. »  Ainsi une douche de rayons cosmiques plus ou moins denses arrose quotidiennement notre planète, créant des réactions nucléaires par millions.

Une douche de rayons cosmiques plus ou moins denses arrose quotidiennement notre planète, créant des réactions nucléaires par millions.

Un phénomène naturel ?

Cet observateur de la nature qui a l’incroyable capacité de voir au-delà de l’évidence des sens - l’être humain - doit-il se cantonner à rester un observateur ? Ou doit-il utiliser ce qu’il découvre pour transformer l’environnement extérieur ? La nature peut être vue comme un processus en transformation continue dont on ne soupçonne pas encore la vaste créativité. L’être humain lui aussi se transforme, mais il est son propre agent de transformation en faisant l’effort libre et créateur nécessaire et en organisant sa société autour de la reconnaissance de cet effort et de sa promotion. Ceci implique que l’être humain ne peut être considéré comme l’esclave ou le coopérateur de la nature, il partage avec elle une part de créativité, mais elle est volontaire chez l’humain. Cela a plusieurs implications scientifiques et culturelles.

De ce point de vue, le principe oligarchique qui pollue nos sociétés et dont l’escalade vers une troisième guerre mondiale incarne une menace existentielle pour la civilisation, est un phénomène non naturel et même anti-naturel. Il s’apparente à un esprit de possession qui veut accaparer le temps, les principes, la culture, l’espace, le monde, les hommes.

Mais revenons à Marie Curie :

Je suis de ceux qui pensent que la science a une grande beauté. Le scientifique est comme un enfant face à des phénomènes naturels inexpliqués. Nous ne devons pas croire que tout progrès scientifique se résume à des mécanismes, à des machines, des engrenages qui par ailleurs ont leur beauté propre […] mais il est avant tout défini par l’esprit d’aventure qui me paraît indéracinable et s’apparente à la curiosité.