Les analyses de Jacques Cheminade

José Bové et le combat contre la logique mondialiste : ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas

vendredi 17 septembre 1999, par Jacques Cheminade

Le combat de José Bové et de la Confédération paysanne contre la logique mondialiste des marchés est une cause juste et légitime, puisqu’il est mené au nom de « valeurs universelles ». Il en est de même pour la révolte des petits producteurs de lait, de fruits et de légumes qui, contraints de vendre leurs produits 50% en dessous de leurs prix de revient, voient leur existence même remise en cause. Cependant, les actions que poursuivent les uns et les autres ne peuvent être simplement soutenues au fur et &aegrave; mesure qu’elles se produisent. Leur efficacité doit être mesurée au nom de l’objectif poursuivi, qui est de remplacer la loi financière des marchés par celle d’une économie physique au service de l’homme, et leurs moyens appréciés par leur capacité &aegrave; rassembler le plus grand nombre possible d’êtres humains partout dans le monde, en vue du succès de cet objectif. Dans cette perspective, José Bové a tenu des propos responsables et réfléchis qui ne correspondent en rien &aegrave; l’image d’un « Zorro des Causses » qu’une certaine droite, comme Claude Imbert dans Le Point, veut en donner.

Examinons-les. Tout d’abord, il se fixe pour objectif de construire une « alliance entre paysans, consommateurs et citoyens, au-del&aegrave; des clivages politiques, pour une riposte commune ». Il tend même la main, &aegrave; cet effet, vers le « rival » de la FNSEA, Luc Guyau. Ensuite, il appelle « &aegrave; faire valoir une autre logique internationale que le dumping économique, social et environnemental en agriculture ; il faut donc changer l’OMC afin qu’elle respecte les choix culturels des peuples, ne détruise pas la paysannerie mondiale et garantisse un commerce équitable ». Enfin, il entend faire prévaloir l’« équité » en « inversant la tendance qui veut que le marché dicte sa loi aux politiques, en régulant le marché mondial selon la réalité des pays, en sortant de la logique absurde qui prétend fixer un prix mondial pour tous, en établissant des prix planchers au-dessous desquels la grande distribution ne puisse pas descendre ». Certes, s’en prendre &aegrave; un MacDo en construction &aegrave; Millau n’était pas, &aegrave; mon sens, la plus heureuse des initiatives. Le caractère symbolique du geste est tentant, mais il s’agit d’une fausse cible. Non seulement parce que les MacDo achètent 4500 tonnes de salades &aegrave; nos maraîchers et font vivre 45000 éleveurs français, mais parce que - bien plus grave - une telle attaque risque de dégénérer vers un anti-américanisme primaire qui détourne des vrais coupables.

Ajoutons qu’en France même, les chaînes françaises de supermarchés pratiquent &aegrave; l’encontre des producteurs agricoles une politique bien plus méprisante encore que les MacDo. Le ralliement de MM. Mégret et Le Pen &aegrave; cette action en souligne les dangers et les limites. Cependant, il faut tout de suite reconnaître que la Confédération paysanne a rapidement changé de mode d’intervention et a clairement rejeté « l’anti-américanisme primaire sur le thème de la défense des produits du terroir ». La perspective de voir déboucher ses initiatives sur la campagne internationale, prévue du 12 au 17 octobre, contre la mainmise des sociétés transnationales sur toutes les activités humaines, est une excellente chose.

Ne pas se tromper de cible

Avant de revenir &aegrave; la question des moyens, il convient cependant de regarder de plus près l’identité de l’ennemi que l’on vise. ATTAC, dans son communiqué de soutien &aegrave; la Confédération paysanne, mentionne « l’Organisation mondiale du commerce (OMC), fidèle relais de Washington ». Mettons les choses &aegrave; plat : nous sommes ici pour des marchés organisés et contre le libre-échange généralisé, qui aboutit &aegrave; la liberté du renard dans le poulailler. Nous pensons donc que l’OMC, comme le FMI, est une de ces organisations internationales néfastes dans leur principe même, dont il faudrait mettre fin &aegrave; l’existence pour passer &aegrave; autre chose. Ce que nous préconisons est un nouvel ordre financier et monétaire international, un nouveau Bretton Woods, dans lequel l’argent aille au travail et &aegrave; la production, non aux spéculations financières. Pour parvenir &aegrave; le mettre en place, nous aurons besoin d’un changement de politique aux Etats-Unis mêmes ! C’est pourquoi nous refusons d’attaquer le peuple américain et les Etats-Unis en tant qu’Etat-nation. C’est aussi pourquoi nous soutenons la candidature de Lyndon LaRouche &aegrave; la présidence de ce pays : il vise les forces financières anglaises et américaines -l’oligarchie anglo-américaine - qui sont notre principal ennemi, et constitue actuellement une coalition politique permettant de vaincre cet ennemi. Dans ce contexte, nous sommes surpris que certains éléments d’ATTAC aient mis en garde leurs réseaux contre notre mouvement. Cette « rumeur d’Orléans » fait le jeu du système qu’ATTAC conteste, et un débat clair sur les enjeux du combat aux Etats-Unis nous ferait grandement progresser ensemble. Attaquer « Washington » sans autre forme de procès ramène - eh oui, encore une fois - aux discours de MM.

Mégret et Le Pen... Parlons maintenant des moyens. Nous sommes opposés &aegrave; une certaine « démagogie verte », pour qui toute forme d’action directe est bonne &aegrave; suivre et qui repose sur l’illusion d’un retour au passé. Il n’y a pas d’issue qui ramène au passé.

Le culte d’une France « paysanne » - au sens paternaliste du terme - me fait penser &aegrave; la France d’Henri Pourrat, l’écrivain favori de Vichy (étant auvergnat, j’en ai eu plein les oreilles). Ainsi, nous sommes convaincus que détruire les plantations expérimentales de riz transgénique du CIRAD ou les essais en champ menés par l’INRA pour examiner la possibilité de dissémination de gènes de colza modifiés sont des actes irresponsables, qui se trompent de cible. Monsanto, Novartis, les cartels de l’agro-alimentaire méritent d’être dénoncés et visés, non les expériences scientifiques menées pour mesurer les conséquences d’une découverte. Lorsqu’un écologiste extrémiste s’exprime dans le cadre de la liste de diffusion nature.fr en disant : « Je crois que l’heure est &aegrave; l’éco-terrorisme, le sabotage est la dernière arme que nous puissions utiliser contre ces monstres que sont les multinationales de l’agro-alimentaire.

Il va falloir sérieusement s’organiser, Kamarades », et que nous savons que celui qui parle est proche de Jean-Pierre Galland, défenseur de la consommation de haschisch et dirigeant du CIRC (Collectif d’information et de recherches cannabiques), nous disons « provocation ».

A qui profite les provocations ?

Comme nous disons « provocation » face aux méthodes de Greenpeace qui, au lieu, comme la Confédération paysanne, de recruter des citoyens &aegrave; des idées, travail qui requiert du temps et de la patience, préfère parler et agir en leur nom, en incitant quelques militants isolés &aegrave; mener des actions directes devant les caméras complaisantes des télévisions. Appeler des actions minoritaires de la « démocratie saine et vivante » est sans doute le sophisme le plus dangereux. Nous disons aussi « provocation » pour qualifier les émeutes qui ont eu lieu le 18 juin dans la Cité de Londres, contre des cibles légitimes - la réunion du G-8 &aegrave; Cologne et le LIFFE (1) - mais avec une violence gratuite qui a fourni aux autorités le prétexte pour mettre en place une « Operation Surety » anti-émeutes. Les services britanniques, en particulier, sont les experts dans la manipulation du cycle manifestation-provocation-répression. Pour conclure, réaffirmons que nous détestons les « deux poids deux mesures » et que les agriculteurs de Millau et leurs amis n’auraient jamais dû aller en prison, puisque les militants « paysans » qui ont envahi et dévasté le bureau de Dominique Voynet, les pêcheurs qui ont incendié le parlement de Bretagne ou les routiers ayant organisé des barrages bloquant la circulation n’y sont pas allés. Cependant, nous préférons des actions &aegrave; la Martin Luther King ou &aegrave; la Gandhi, qui revendiquent la loi en forçant l’autorité illégitime &aegrave; la faute, lui faisant perdre ainsi toute légitimité &aegrave; la face du monde. Nous espérons aller dans cette direction avec la Confédération paysanne, ATTAC et beaucoup d’autres en insistant sur un point : ce serait, pour eux, pour notre combat, se réduire &aegrave; l’impuissance que de ne pas considérer réellement et sérieusement ce qui se passe aux Etats-Unis.

1) Le LIFFE est le marché &aegrave; terme des instruments financiers anglais, l’équivalent de notre MATIF, centre mondial de spéculation sur les produits dérivés.