Editoriaux

Cirque et tragédie

mardi 10 janvier 2012, par Jacques Cheminade


Les éditoriaux de Jacques Cheminade sont publiés tous les quinze jours dans le journal Nouvelle Solidarité, sur www.solidariteetprogres.org ainsi que sur son site de campagne www.cheminade2012.fr.


Une campagne présidentielle devrait être le moment où les grandes idées qui déterminent l’avenir d’une société sont débattues, élevant ceux qui y participent. Celle de 2012, la nôtre, devrait l’être encore bien plus que toutes les autres car elle se déroule à un moment tragique de l’histoire : désintégration de l’euro, banqueroute du système financier mondial, austérité destructrice imposée aux peuples et manne monétaire livrée aux banques, risque de guerre.

Cependant, les participants officiels et plus encore les médias en réduisent l’enjeu à un débat entre personnes et à un étalage de manœuvres plus ou moins déshonorantes. Procédons à un rapide tour de table. Présentant ses vœux à la presse, François Fillon a déclaré : « Regardez aujourd’hui, tous les Etats européens sont en situation de faillite. Il n’y a qu’à voir leurs comptes, comme les nôtres. » Tout en ne faisant rien pour changer une donne dont il est, parmi d’autres, responsable depuis plus de cinq ans et sans faire face aux établissements financiers dont la politique a ruiné les Etats dont il parle. Comme si un médecin préconisait une saignée face à une maladie terminale. Nicolas Sarkozy s’efforce de « faire président » en s’agitant et François Hollande imite jusque dans sa gestuelle un François Mitterrand qui a incarné le compromis de la gauche avec les oligarchies financières. Marine Le Pen exhibe son père tout en se réclamant de l’héritage gaulliste, sans doute parce que la captation est une habitude familiale. Elle est convaincue d’être au second tour tout en se plaignant que les élus lui refusent les parrainages lui permettant de figurer au premier. Dominique Strauss-Kahn s’offre un bain de foule dans son ancien fief tandis que tous les candidats s’efforcent de rallier Jeanne d’Arc à leur cause tout en prétendant qu’elle appartient à tout le monde. François Bayrou rallie Philippe Douste-Blazy.

Dans ce contexte, on assiste à un chantage au chiffrage des programmes. Prenant ainsi la question par les coûts, on n’évoque pas les bénéfices et on calcule sur la base d’un système qui s’écroule sur ses bases. Comme si on calculait la vitesse du Titanic pour mesurer la durée du trajet restant à parcourir au moment où il heurte l’iceberg.

En fait, pour ne pas remettre en cause le système, on réduit les visions à des chiffres.

Ce que nos lecteurs eux-mêmes ne savent pas, car personne à part nous ne le leur dit, est que tout le financement des partis politiques et des élections en France est basé sur une sélection par l’argent qui entretient ce système aberrant. Il y a bien sûr l’argent du délit, celui des mallettes et des valises, mais aussi le financement officiel de la vie politique, qui sert les gens en place. Au prorata du nombre d’élus à l’Assemblée nationale et du nombre de voix obtenues par ceux qui ont pu présenter plus de 50 candidats dépassant 1 %, les partis établis se partagent ainsi chaque année environ 75 millions d’euros pris sur votre argent et le mien. Certes, les dons versés à tous les partis jusqu’à 7500 euros sont pour les deux tiers déductibles de l’impôt, dans une limite de 20 % des revenus. Cependant, cet avantage est par nature réservé à ceux qui paient effectivement l’impôt, c’est-à-dire aux 50 % des plus riches Français. Tant pis pour les autres, et tant pis pour les partis qui les représentent.

Ainsi, pendant que se déroule la tragédie, ne vous étonnez pas de voir le cirque se perpétuer. L’orchestre continuait à jouer sur le pont du Titanic – pour les premières classes.