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S&P s’invite au Cercle des économistes...

lundi 12 juillet 2010

Rencontres du Cercle des économistes à Aix-en-Provence

La moralité des élites à l’épreuve du Glass Steagall


Par Julien Lemaître


Du 2 au 4 juillet, comme chaque année, le gratin des « grands économistes reconnus et admirés » de France, qui forment le prestigieux « Cercle des économistes », organisent leur gala à Aix-en-Provence. Sur trois jours, avec de nombreux invités internationaux, ils balisent le débat économique national. Christine Lagarde ne s’y est pas trompée en choisissant cette grande messe pour venir invoquer sa fameuse « ri-lance », qui remplissait le lendemain les colonnes des journaux. Le ton de ces rencontres, comme nous nous y attendions, fut au consensus mou : couper les budgets tout en relançant l’économie, et réguler les banques sans entraver leur prospérité. Cet immobilisme de l’élite économique est bien entendu criminel, au moment où le système bancaire s’apprête à essuyer une violente réplique du tremblement de terre de 2008, et que les États sont à genoux, abdiquant sans lutter face au chantage des « marchés », c’est-à-dire ces mêmes banques.

Notre bureau Glass-Steagall devant l’IEP d’Aix-en-Provence

Pressentant sans grand mérite ce manque d’initiative, nous étions décidés à ne pas laisser ce week-end d’auto-congratulation se dérouler sans dissonance. Quatre militants lyonnais ont donc pris l’autoroute du Soleil (très chaud !), rejoins par quatre jeunes sympathisants bien contents d’avoir une occasion de s’activer dans la région. Munis d’une récente déclaration de Jacques Cheminade sur le Glass-Steagall Global, nous sommes allés mettre ces économistes à l’épreuve du feu, sur le terrain du courage politique et moral. Nous étions littéralement incontournables, ayant dressé une table militante juste à l’entrée de l’événement, et étant présents dans toutes les salles de conférence... ou presque, car il a fallu ruser pour se faufiler parmi les participants VIP reconnaissables à leur petit foulard, qui seuls pouvaient accéder à la salle des conférenciers et poser des questions dans nombre de séances. Les sessions n’étaient de toute façon pas faites pour le débat, avec très peu de temps pour chacun des nombreux intervenants, et encore moins voire pas du tout pour les questions. Nous avons eu deux fois le micro dans les trois jours, et l’essentiel s’est donc passé hors séance.

Choisis ton camp !

Sans effort créateur, l’humain s’avilit et se terre peu à peu dans le mensonge pour sauver les apparences. Ainsi, par exemple, dans sa contribution rédigée pour l’occasion, Olivier Pastré, avant d’appeler au contrôle progressif des marchés et à la normalisation sans interdiction des titrisations, exhorte les dirigeants politiques au sursaut : «  Réveillez-vous ! Ce qui a disparu, c’est la confiance, et celle-ci ne reviendra pas durablement si l’on applique des cautères sur la jambe de bois de la finance mondiale. "What we must fear is ….fear" (« Ce que nous devons craindre est le manque de confiance », a-t-il traduit) déclarait Roosevelt en lançant son New Deal en 1933. » Quelle fumisterie ! Dans ce discours, Roosevelt parle de la peur et non du manque de confiance, et il fustige les responsables économiques : « Confrontés à l’effondrement du crédit, ils n’ont proposé que le prêt de plus d’argent. Dépouillés de l’appât du profit par lequel ils induisaient notre peuple à suivre leur fausse direction, ils en vinrent aux exhortations, plaidant la larme à l’œil pour le retour de la confiance. […] Ils n’ont aucune vision, et sans vision le peuple meurt. »

Un de nos panneaux militants déployé sur place

Et c’est bien le sort du peuple et les instruments de son avenir qu’il nous fallait replacer au centre des préoccupations. Dès la fin des conférences, nous interpellions les intervenants assaillis de courtisans, en leur demandant leur position sur le sujet principal : la restauration d’un Glass-Steagall, cloison étanche entre activités de banque commerciale et de banque d’affaires. Première constatation : le débat est bien là parmi les économistes, bien qu’aucune séance du week-end n’ait traité le sujet ! Ensuite, il y a de profondes divergences dans leurs réponses, et cela tient plus à une question de conscience morale qu’à des considérations techniques.

D’un côté, les opposants à la disparition des « banques universelles », si chères à Michel Pébereau qui s’en fait le gardien dans les allés du pouvoir. Parmi eux, il y a ceux qui restent souriants, décrétant simplement que c’est d’un autre âge, qu’on a pas besoin de retourner aux années 1930 ; ceux-là se sont enfuis dans la rue ou dans les bras d’un flatteur sitôt qu’on leur répliquait que de ne pas faire un Glass-Steagall, c’est revenir aux années 1920 ! Puis il y a celui qui va prendre le temps de vous faire un cours, en trois points bien préparés, pour expliquer que le Glass-Steagall n’est qu’un argument de populistes américains, qu’il y a un problème sémantique à dénommer « banque » les institutions financières, et que de toute façon la loi Glass-Steagall était contournée par les malins de la finance, soi-disant toujours plus malin que les législateurs, et qu’on n’a fait qu’adapter le droit à une situation de fait en abrogeant la loi. Celui-là, fier de reprendre la ligne Pébereau, refusera évidemment de poursuivre la discussion sur la responsabilité morale de renflouer les spéculateurs avec l’argent de l’État. Enfin, il y a l’abject, qui a senti dans votre question que vous n’étiez pas là pour lui cirer les pompes, et qui d’un air méprisant interroge sur votre pédigrée, et vous tourne les talons. Il a probablement remarqué que je n’avais pas le foulard des « partenaires ».

De l’autre côté, il y a des économistes attentifs à la question, même s’ils ne sont pas toujours au clair sur la portée stratégique de notre proposition de Glass-Steagall global. Nous avons eu beaucoup de différentes réactions en ce sens, ce qui semble nouveau. Le plus significatif est un membre du cercle des économistes, que nous avions joint une dizaine de jours auparavant, et qui est venu directement à notre table à l’extérieur nous dire combien il avait trouvé intéressante notre documentation, bousculant son entourage en leur disant qu’il fallait s’intéresser à la candidature de Cheminade pour 2012. Voyant son collègue animer le débat avec nous, un autre membre du Cercle, qui venait d’assister à une intervention d’un militant sur le Glass-Steagall lors d’un débat, vint se joindre à la discussion. Il laissa sa carte pour être recontacté.

Fidèles à leur excellence technique, presque tous nuancent leur soutien à l’idée de rétablir une loi de type Glass-Steagall. « Ça n’aurait pas empêché les subprimes, le Glass-Steagall n’est pas tout » ; « Mais vous savez, les banques françaises sont tout de même moins exposées aux risques... » ; « C’est aussi une affaire de régulation, il n’est pas aisé de différencier les produits dérivés légitimes de ceux qui sont spéculatifs. » Mais lorsqu’on expose l’idée de créer ainsi un cadre dans lequel on aurait pu décider de protéger le tissu de banques utiles à l’économie, tout en laissant les spéculateurs se suicider en 2008, c’est le cœur et la conscience citoyenne qui parlent, et non plus les techniciens. « Sur le Glass-Steagall, je n’y connais pas grand chose, mais il faut absolument qu’on aille fouiller dans les comptes des banques et trier ! » ; « Ce n’est pas pour rien que le Glass-Steagall fut instauré en 1933, et c’est tout à fait normal d’en reparler dans la situation présente. » ; « C’est clair qu’il fallait garantir les moyens de paiement, mais pas la spéculation » ; « En tout cas, quand l’État met de l’argent, il devrait prendre le contrôle de la banque pour le diriger là où il faut. »

Mobilisons !

Force est de constater que malgré l’ouverture sans précédent que nous rencontrons, il y a du chemin à faire pour ces économistes, qui n’assument pas leurs idées dans le débat officiel. Nous avons interpelé une trentaines d’orateurs, et le travail reste à faire en recontactant les plus intéressants. Sur le moment, les échanges prometteurs viennent plus souvent du public ou simplement des passants. Ainsi, un dirigeant de PME qui surgit dans une conférence après l’une de nos interventions pour exiger un vote des intervenants à la tribune sur la question du Glass-Steagall ; un professeur d’économie quittant les lieux, excédé de la petitesse des débats ; un journaliste anglais, avec qui l’on a discuté au cours du week-end, et qui demande au micro si nous ne sommes pas au « Cercle des économistes disparus », personne n’ayant vu venir la crise ; une personne, stupéfaite de nous voir là après nous avoir vus au forum Libération à Grenoble récemment ; et de nombreux passants, s’estimant dépassés par les questions économiques, mais voyant que notre approche tranche avec les tergiversations habituelles.

Roosevelt disait, toujours dans le même discours : « Il devra y avoir un strict contrôle de toutes les activités bancaires, de crédits et d’investissements. » C’est bien par un nouveau Glass-Steagall que nous pourrons mettre en faillite organisée les spéculateurs, et il nous faut redoubler d’efforts pour réaliser cet impératif. Car sans dégager le terrain des effets toxiques, il ne peut y avoir de réelle reprise par le financement à long terme et faible taux d’intérêt de grands projets d’infrastructure : un véhicule dont le réservoir est criblé de trous ne peut parcourir de longues distances.


Campagne : Le Glass-Steagall global et le précédent français