Les analyses de Jacques Cheminade

PME, l’atout du travail suisse

lundi 5 juillet 2010, par Jacques Cheminade

Par Jacques Cheminade

« Travailler, travailler, se tenir à l’avant-garde de la recherche, choyer ses collaborateurs ouvriers et employés, connaître et maîtriser ses coûts », telles sont les raisons de notre succès. Ainsi s’est exprimé Bernard Sottas, dont l’entreprise de construction industrielle venait de recevoir le premier Prix de l’entreprise Suisse romande 2010, décerné par le Swiss Venture Club, le 24 juin 2010 à Lausanne. Pourquoi rapportons-nous, dans ce journal politique, un fait concernant apparemment la vie des entreprises dans un pays étranger ? Parce qu’il est, à nos yeux, fondamental pour une France trop pyramidale de prendre conscience des stratégies industrielles qui ont permis à un petit pays d’échapper aux pires conséquences de la première vague de la dépression économique, et qui constituent une inspiration en vue de la marche à suivre partout en Europe lors de la deuxième vague qui nous frappe, cette fois non pour y échapper, car ce serait impossible, mais pour participer activement à un changement d’orientation économique, politique et culturel. C’est-à-dire passer d’un système financier basé sur le court terme, la spéculation et l’endettement systématique à un ordre de croissance industrielle fondé sur le développement des capacités créatrices de l’homme.

Les six entreprises primées ouvrent toutes autant de pistes car elles ont un point commun : ne pas se laisser porter par un passé familial ou professionnel mais toujours penser en termes d’avenir, de valeur ajoutée et de calcul précis des prix de revient. Ecoutons Bernard Sottas, en 1992, parler de son projet : « Il me fallait l’usine. J’étais habité par un besoin viscéral de construire. » Commençant pratiquement comme serrurier, me voici engagé dans la physique de pointe, confiait-il à ses amis. Son entreprise s’est en effet constamment aventurée dans des solutions techniques inédites, en se concentrant sur « les façades high tech et les chantiers complexes » pour toujours dépasser la concurrence. M. Sottas a gravi l’échelle du système suisse d’excellence : apprenti à Yverdon, diplômé ingénieur ETS à Fribourg, employé pendant une quinzaine d’années d’une entreprise glânoise de constructions métalliques, il fonde ensuite sa propre société sur la base à la fois de la compétence (les bureaux techniques de Sottas emploient aujourd’hui une soixantaine de personnes dans les départements façades, charpentes et « all in one »), de l’application précoce de l’informatique à la gestion, et du suivi des clients en Suisse et à l’étranger. Son pari fut d’adopter les techniques les plus avancées pour permettre les constructions les plus légères possibles, aux courbes harmonieuses et aux lignes élancées : la « logique » de la construction de la tour Eiffel. Pour former la relève, Sottas s’est allié à trois autres entreprises pour créer, en 2006, l’Ecole du métal.

Les entreprises ayant obtenu les deuxième, troisième et quatrième prix ont toutes fait preuve d’un état d’esprit similaire : aller de l’avant en redéfinissant constamment leurs cibles et en offrant les meilleures conditions possibles de travail à leurs ouvriers et employés. Cela paraît presque naturel, mais cet état d’esprit participatif n’est pas toujours présent en France…

Plus encore, il est intéressant de souligner comment la Suisse, malgré le naufrage de l’Union de banques suisses (UBS) et le comportement scandaleux de son président, Marcel Ospel, a pu résister dans ses œuvres vives.

Tout d’abord, la Suisse a été portée par l’esprit de machine-outil de son industrie. Les constructions mécaniques de pointe, l’horlogerie, la fabrication d’équipements pétroliers et électriques ont des dirigeants qui ont su constamment améliorer et diversifier leurs produits et leurs marchés. Très tôt ils ont exploré l’Asie, en particulier la Chine et l’Inde, comme Gainerie moderne, la société fribourgeoise qui a reçu le second prix. Ce leader mondial de l’écrin de luxe a su élargir la base de sa clientèle, privilégier ses relations avec les grandes marques horlogères et établir en Asie des partenariats basés sur la durée.

Ensuite, ces entreprises travaillent étroitement avec à la fois des apprentis qu’elles forment et les réseaux d’ingénieurs des Ecoles polytechniques fédérales de Lausanne et de Zurich. Le lien industrie-apprentissage-enseignement supérieur est ainsi un élément constitutif du système.

Enfin, des réseaux bancaires de proximité et de grandes entreprises ont financé et promu les réseaux de PME. Le Crédit suisse n’a pas eu la même politique que l’UBS, et les banques cantonales, après une première période de tentation spéculatrice, sont revenues à leur environnement de proximité. Roland Decorvet, de Nestlé Suisse à Vevey, explique que son entreprise multinationale avait conscience qu’elle ne pourrait pas vivre si elle ne faisait pas appel à une centaine de PME de toute la Suisse. Dans quel autre pays, enfin, les quinze membres du jury du prix, qui sont des gens qui, dirait-on en France, « ont autre chose à faire », se seraient-ils mobilisés pour examiner les quelque 80 dossiers soumis et auraient-ils parcouru en autocar une distance équivalant à celle de plusieurs fois la Suisse romande, pour visiter sur place seize entreprises et en retenir six ? Comme l’a souligné Pierre-Olivier Chave, président du jury et dirigeant de PX Holding SA à La-Chaux-de-Fonds, nous avons pris notre temps et en avons été heureux, car « nous avons été surpris de la capacité de nos entreprises à réagir et à chercher des parades face à la globalisation. » Elles ont en particulier compris qu’un haut niveau d’emploi (le taux de chômage suisse est le plus bas d’Europe) est le meilleur garant d’une solide consommation et attire des milliers d’employés étrangers très qualifiés.

Bien entendu, en Suisse, tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possible et contre le tsunami financier qui vient, il ne peut y avoir de parade nationale. C’est pourquoi, dans l’intérêt même de l’esprit qui leur a permis de résister à la globalisation, les forces de progrès et de développement de ce pays ont intérêt à soutenir le retour à une politique internationale et européenne qui redonne priorité au travail et à la création humaine, pour éviter d’être pris dans un effondrement systémique global.