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Vu de nos propres yeux : encore un Français qui défend la City !

mardi 25 mai 2010, par Théodore Rottier

Mercredi 19 mai, la Bibliothèque municipale de Lyon invitait pour conférencier François Heisbourg, président du très honorable International Institute for Strategic Studies de Londres, et membre de l’Institut Aspen France. Ses appartenances à ces deux groupes de pensée laissaient à penser que nous serions mis face à un autre Français défendant pleinement les intérêts financiers, domaine où notre pays semble vouloir particulièrement se distinguer ces derniers temps, avec Strauss-Kahn au FMI, Lamy à l’OMC, Trichet à la BCE et Noyer à la Banque des règlements internationaux.

Thème de la conférence : les conséquences géo-stratégiques de la crise économique, thème suffisamment intrigant pour que tout citoyen se sentant concerné par l’avancement de la crise se dise qu’il va pouvoir enfin comprendre un peu mieux le monde dans lequel il vit. Là, il n’a pas dû être décu : les quelques 80 personnes présentes ont pu écouter un discours des plus pessimistes où seules les relations de pouvoir et de compétition entre Etats étaient prises en compte ; c’est ce qu’on appelle la géopolitique, discipline dont les Britanniques se sont fait la spécialité pour éviter tout débat sur les possibilités de développement mutuel entre Etats-nations souverains. Dans ce discours, l’Europe était considérée comme le grand perdant de la crise, avec une chute de l’euro sans précédent et la nécessité de mener des politiques d’austérité sociale sur 10 à 15 ans. Mais heureusement, les grands plans de renflouement, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, ont permi de sauver le système, nous évitant une nouvelle crise des années 30, où on avait laissé le système imploser. Evidemment, pas un mot sur l’hyperinflation qui va être engendrée par ces renflouements, et pas un mot sur les banques – hormis un petit « Wall Street, je suis le premier à dire qu’il faut mieux l’encadrer » perdu au milieu d’un discours de plus d’une heure.

Au moins, la ligne était claire : la rhétorique habituelle des medias, propagande anti-Etats et implicitement pro-finance, nous était donnée en direct.

Sauf que là, c’était mieux qu’à la radio ou à la télévision : on avait le droit de poser des questions. Malgré la volonté délibérée des modérateurs de diluer les questions en les regroupant par paquets de trois ou quatre, j’ai pu prendre la parole : « L’austérité sociale que vous avez posée comme étant nécessaire ne l’est pas. La dette publique de la Grèce, par exemple, est détenue à 70 % par des banques privées, spéculatives par ailleurs. Ne faudrait-il pas plutôt mettre ces spéculateurs en redressement judiciaire, à travers un retour aux critères Glass-Steagall, c’est-à-dire une séparation entre banques de dépôt et banques d’affaires, comme le propose le Sénateur McCain dans la loi introduite au Sénat américain il y a peu ? »

M. Heisbourg, visiblement interpelé par ma question, fit savoir qu’il répondrait à ce groupe de questions dans le désordre, en commencant par la mienne. Sa réponse fut très intéressante, dévoilant sans que personne le lui ait demandé pour qui il travaillait : « Je soutiens complètement l’idée d’un retour au Glass-Steagall. D’ailleurs le nouveau premier ministre britannique, qui est un libéral, très apprécié de la City et de la population, soutient cette idée de séparation entre banques de dépôt et banques d’affaires, et tout indique qu’il soit en train de préparer quelque chose à ce sujet. »

Petit paradoxe, n’est-ce pas ? Pour M. Heisbourg, il est possible de défendre à la fois la City et le Glass-Steagall ! Peut-être faut-il rappeler au lecteur que la City est la principale place financière pour la spéculation sur les devises, les assurances, les marchés à terme, etc. Et que le Glass-Steagall n’a de sens que s’il permet de protéger les banques d’épargne et de crédit aux entreprises en laissant couler les banques d’affaires spéculatives. En bref, une telle loi permettrait justement de flinguer la City. Si le gouvernement britannique pense vraiment à mettre le Glass-Steagall sur la table, c’est sûr qu’il sera frelaté. Les medias nous le vendront comme ils nous vendent les renflouements illimités des spéculateurs et les politiques d’austérité qui sont leur contrepartie « nécessaire », et on retrouvera M. Heisbourg en train de présenter James Cameron et la reine d’Angleterre en sauveurs du monde !

Mais qui a dit qu’on vivait dans l’Empire britannique ?

Le Sénat américain, poussé par la Maison Blanche, a finalement refusé l’amendement McCain-Cantwell pour un retour au Glass-Steagall. Mais la pression de la population en colère nous indique que ce combat est loin d’être terminé : le Glass-Steagall a été sorti par la porte, il reviendra par la fenêtre. Il nous revient de donner l’exemple en France, où l’on va devoir montrer aux Français anglophiles comme M. Heisbourg que la population pense à autre chose qu’à se serrer la ceinture.