Les Editoriaux de Jacques Cheminade

Féodalités

mercredi 24 mars 2010, par Jacques Cheminade


Les éditoriaux de Jacques Cheminade sont publiés tous les quinze jours dans le journal Nouvelle Solidarité, sur www.solidariteetprogres.org ainsi que www.cheminade-le-sursaut.org.


 
« …L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie. » Ainsi parlait le programme d’action du Conseil national de la Résistance, unanimement adopté le 15 mars 1944. « Le travail n’est pas une marchandise…La pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous. » Ainsi s’exprimait la Déclaration de Philadelphie, le 10 mai 1944. C’est avec cet esprit de justice sociale, de solidarité et de progrès, réaffirmé « au lendemain de la victoire remporté par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine », que notre pays et l’humanité doivent renouer.

Car aujourd’hui, partout, les Etats renflouent les nouvelles féodalités financières et condamnent leurs peuples au désespoir et à la colère. Nous sommes arrivés au point où ne pas réagir revient à se rendre complices.

Le texte publié par Niall Campbell Fergusson sur l’effondrement des empires, dans le numéro de mars-avril de Foreign Affairs, témoigne du cynisme de ceux qui s’identifient à la cause des pouvoirs en place. Les empires, selon lui, grandissent, se stabilisent puis périssent en obéissant à un cycle inéluctable, et nous sommes parvenus à un moment de chaos et d’effondrement. La seule chose qui resterait à faire serait de s’adapter à la situation. C’est la pensée même de la « fatalité oligarchique », suivant laquelle « il n’y a pas d’alternative », comme le disait un jour Margareth Thatcher.

Une politique semblable à celle de Brüning en 1930-1932 et de Laval en 1935 se met en place. La preuve immédiate en est chez nous la nomination d’Eric Woerth au ministère du Travail et de la Fonction publique, pour s’occuper de la « réforme des retraites ». Woerth, un austère au profil de rigueur… pour autrui, a été non seulement le trésorier de l’UMP et de Nicolas Sarkozy, mais l’homme qui a mené la réforme du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et mis en place le bouclier fiscal en faveur des nantis. Le Conseil d’orientation des retraites nous dit déjà qu’il faudra cotiser pendant 43,5 ans en 2050 pour bénéficier d’une retraite à taux plein et 41 ans d’ici 2012. A ceux qui protestent l’on répond qu’en Espagne, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Grèce, c’est déjà pire et qu’il faut aller plus loin.

L’austérité sociale reflète la lâcheté de nos dirigeants face à l’Empire de la City et de Wall Street. Se rendant à Londres en tant que commissaire européen chargé des Services financiers, Michel Barnier a déclaré que les discussions européennes sur les fonds spéculatifs visaient à trouver « un point d’équilibre » sans que « la City se sente mise en danger ». Tout est dit. Et puis ajoutons-le franchement : qui est aux commandes des politiques de collaboration avec l’Empire ? Quatre Français : Dominique Strauss-Kahn au FMI, Jean-Claude Trichet à la Banque centrale européenne, Pascal Lamy à l’Organisation mondiale du commerce et maintenant Christian Noyer à la Banque des règlements internationaux. Preuve en politique intérieure de cette même confusion des sentiments et des intérêts de nos élites ? Alain Minc, le visiteur du soir de Nicolas Sarkozy qui peut, selon Challenges, induire un changement de politique chez Renault, est en même temps l’homme qui a rassemblé les fonds auprès du grand patronat pour le compte de Martine Aubry lorsque sa Fondation agir contre l’exclusion (FACE) l’aida à traverser le désert, en 1993.

Il faut sortir de ce fatalisme social et de l’abstention mentale pour faire de notre combat un jeu de la vie.