Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Où sont-ils ? Et vous ?

vendredi 23 juillet 1999

Je viens de relire les articles de Régis Debray, Bernard-Henri Lévy et Alain Joxe dans Le Monde, écrits à la mi-mai, au plus fort de la polémique parisienne sur la guerre du Kosovo. Terrible sentiment de honte vis-à-vis des élites installées de ce pays - le mien, la France - qui les prennent au sérieux, les publient, les écoutent et rentrent dans leur jeu narcissique.

L’on ne peut s’empêcher de crier que lorsque des hommes sont en train de souffrir et de mourir, le premier acte de ceux qui pensent ne devrait pas être de prêter attention à leurs confrères, mais de se battre pour que renaisse la dignité humaine, en ouvrant des chemins qui mènent quelque part.

Aujourd’hui, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Union européenne et les principaux pays occidentaux nous jettent au visage que la Serbie, le Kosovo qui en dépend juridiquement et l’ensemble des pays de la région balkanique ne peuvent être reconstruits pour des raisons de droit positif et de manque d’argent. En effet, la Serbie, avec ou sans Milosevic, ne fait pas partie du FMI et de la Banque mondiale, et le Kosovo, lui, fait partie de la Serbie. Alors on ne versera à ces déportés kosovars sur lesquels on a tant fait pleurer qu’une médiocre aumône, et ce sera tant pis pour les pays de la région - Roumanie, Slovaquie, Hongrie, Bulgarie... - qui voudraient voir le Danube rouvert à la navigation, puisque ce fleuve a le mauvais goût de passer par la Serbie...

Honte de ne pas entendre protester une seule voix « autorisée ». Honte de ne pas voir exigée l’application d’un nouveau plan Marshall. Honte d’entendre qu’il n’y a pas d’argent, alors qu’on déverse des flots de liquidités sur les marchés financiers pour sauver la bulle spéculative. Même le don de cinq générateurs de cinq mégawatts chacun pour fournir un minimum d’électricité et de chauffage au Kosovo cet hiver paraît poser un problème insoluble.

Où sont-ils maintenant, les défenseurs de la démocratie, de l’Europe et de l’ingérence humanitaire ? Où sont-ils, les défenseurs de la souveraineté, de la République et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Tous couchés, dans les deux camps. Tous couchés devant la loi du plus fort, la loi du marché et le droit des oligarchies qui est devenu leur camp commun.

Et vous, lecteurs, qui lisez ceci avant de retourner à vos affaires, où êtes-vous ? J’ai bien peur que vous ne soyez, depuis longtemps, installés vous aussi dans leur camp. Ne serait-il pas temps de briser votre miroir et, au lieu de prendre pour excuse ce que les autres ne font pas, de vous dire enfin : « Pourquoi pas moi ? »