SwissMetro : un Maglev sous vide

dimanche 6 décembre 2009, par Yves Paumier

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En mars 1994, l’Allemagne envisageait de construire une première ligne du Transrapid Hambourg-Berlin, projet sabordé par la suite. Pourtant, les ingénieurs avaient résolu les principaux problèmes techniques du train à lévitation magnétique (Maglev). C’est en Chine que le premier Maglev verra le jour.

Le moins que l’on puisse dire est que la gestation de cette technologie fut longue, puisque l’idée de se déplacer grâce à un système électromagnétique apparut pour la première fois dans les années 30 avec Hermann Kemper.

L’ingénieur suisse Rodolphe Nieth fait partie de cette génération d’aménagistes qui ont élaboré de grandes idées depuis une vingtaine d’années. Son propre projet, un métro à lévitation magnétique baptisé SwissMetro, permettrait de relier chaque ville principale de la Confédération en 12 minutes. Sa particularité par rapport au maglev Transrapid allemand : il se déplacera dans un tunnel sous vide - ou plutôt sous très basse pression.

Allons-nous connaître une révolution technologique dans les transports ferroviaires ? Du premier train à vapeur jusqu’au TGV, la roue a subi des améliorations techniques importantes. Cependant, nous sommes toujours restés dans le même cadre, celui de la roue. Aujourd’hui, grâce à l’introduction de principes physiques nouveaux comme la lévitation magnétique, nous allons vivre un saut technologique qui transformera radicalement la société et la vie de chaque citoyen.

Mais avant de se pencher sur le SwissMetro, et afin de mieux apprécier les enjeux de cette nouvelle technologie, regardons comment et dans quelles conditions le chemin de fer est né au début du siècle passé.

L’approche technique

De tout temps, l’homme a eu besoin de transporter des charges lourdes. Au même rythme que la population et l’urbanisation, les besoins de transports pour l’agriculture, les carrières et les mines croissaient. L’homme a trouvé dans la nature certaines réponses encore satisfaisantes aujourd’hui comme, par exemple, les rivières. Etant donné que les carrières et les mines ne se trouvaient pas toujours à proximité d’un axe fluvial, il fallait creuser des canaux. C’est ce que fit Vauban (1633-1707) pour acheminer les pierres des Vosges jusqu’à la ville nouvelle qu’il voulait construire dans la plaine d’Alsace, Neuf-Brissac.

Sur terre, la route empierrée fut la solution courante - solution peu satisfaisante car des ornières se formaient vite sous le poids des charges. Dans les mines, l’on essaya alors de poser des planches jointives sous les roues cerclées de fer des tombereaux mais, hélas, elles s’usaient trop vite ou se cassaient. Certains retirèrent alors le cerclage de fer des roues, trop agressif pour les bois. Ensuite, il fallut alléger le tombereau. Enfin, d’autres proposèrent - quelle audace ! - de poser des bandes de fer sur les planches. A cette époque, le fer était réservé aux usages nobles (les armes, la ferronnerie,...) mais de là à en mettre sous les roues de charrois plein de terre... C’est ce qui fut pourtant réalisé avec bonheur. Cela fonctionnait si bien qu’un problème inattendu apparut : les chariots allaient trop vite dans les pentes et se heurtaient aux voûtes des galeries de la mine. Quelqu’un d’ingénieux trouva bon d’ajouter un bourrelet au bord extérieur des bandes de fer, puis sur le bord des roues ferrées. Au croisement des galeries, il n’y avait pas ce rebord ce qui permettait de faire tourner le tombereau dans l’autre direction.

Ainsi après une trentaine d’années d’évolutions et d’inventions (aiguillages,...) on aboutit à la solution retenue universellement : un essieu de roues d’acier épaulées reposant sur une voie de rails d’acier en forme de champignon, légèrement inclinés vers le centre et posés sur des traverses (poutres de bois) non jointives, le tout sur un ballast de cailloux. Ce choix fut le bon car le contact acier sur acier est celui qui offrait le plus d’adhérence pour un moindre frottement.

Tout ceci ne faisait pas encore un train. II fallait lui ajouter la machine à vapeur. Dans l’Europe du XIXème siècle, l’animal ou l’homme, et même l’enfant constituaient la force motrice principale. C’était aussi le cas dans les mines de Saint-Étienne (créées par l’Ordonnance de 1823), que nous prendrons en exemple. Après extraction, le minerai était acheminé vers la Loire. La tâche était facilitée par le dénivellement : il suffisait de descendre sur une bonne voie ferrée pour atteindre Andrezieux-sur-Loire. Les chevaux remontaient ensuite les tombereaux vides vers la mine. Mais pour augmenter la production, il fallait trouver une autre solution de traction. On essaya la machine à vapeur qui servait déjà, en poste fixe, comme pompe d’extraction de l’eau de ruissellement du fond des mines. L’énergie provenait de la condensation de la vapeur en eau dans un cylindre. Ce fut un échec : les chevaux allaient plus vite que la machine.

Il semble malgré tout plus simple d’améliorer l’outil que la nature : on avait déjà les meilleurs chevaux de trait, mais les Anglais avaient mis au point une meilleure machine. Elle tirait son énergie non pas de la condensation de la vapeur, mais de la qualité du gaz vapeur d’eau vive très dynamique, qui se condensait à l’air libre ; elle crachait la vapeur en grands panaches, au lieu d’attendre de la condenser. On l’acheta, puis une autre encore meilleure qui remplaçait la grande marmite d’eau bouillante par de nombreux tubes léchés par les flammes. L’efficacité augmenta, mais le poids de l’engin aussi et la machine enfonça la voie dans la terre. En allégeant la machine, le manque d’adhérence l’empêchait de tirer le train de tombereaux. Alors, on construisit une machine à vapeur vive lourde, sur une voie lourde. En Angleterre, James Watt (1736-1819) fit encore quelques inventions indispensables comme un autorégulateur qui dispensait les chauffeurs de réglages incessants. La machine moderne était née dans ses grandes lignes.

Cette révolution que fut l’invention du train au XIXème siècle se limita-t-elle aux besoins de la mine ? Non, car on aboutit très vite à la création de nouveaux commerces. L’existence des manufactures de Saint-Étienne est liée à l’apparition d’un commerce de gros, remontant depuis le Rhône et la Loire. L’enrichissement de la bourgeoisie nouvelle suscita partout et dans tous les domaines, l’idée de réseaux. C’est par exemple, l’époque où naquirent les Compagnies d’Orléans, du midi, du Nord à partir de la première ligne touristique, sans vocation fonctionnelle, entre le quartier prolétaire et marginal de Paris Saint-Lazare et le château de Saint-Germain-en-Laye. Parallèlement, Eugène Freyssinet (1879-1962) lança la construction d’un réseau de canaux.

L’approche technique que nous venons de décrire consiste en une addition des différents éléments : voie ferrée + machine à vapeur = train. En fait, il s’agit d’une description a posteriori de l’invention. Dans notre exemple, les besoins spécifiques de la mine nécessitent la mise en œuvre de réponses techniques. Poussées par la demande accrue, celles-ci évoluent. A un certain moment la complexité et la spécialisation aboutissent à la naissance d’une technologie et d’un corps professionnel à part entière, les cheminots, qui créent une économie liée à un produit ou un service nouveau, et qui vont même jusqu’à influencer la culture du moment.

Cette approche, dite « libérale », même si elle paraît logique, est parfaitement fausse pour rendre compte de l’apparition d’une nouvelle technologie. En effet, l’invention ne naît pas d’un besoin, mais d’une idée.

Léonard de Vinci (1452-1519), avait eu trois siècles plus tôt, une idée : remplacer la force musculaire par la force mécanique, à une époque où aucun besoin ne s’en faisait sentir. II avait élaboré une solution sous la forme d’un cylindre utilisant de la poudre noire. Bien plus tard, Gottfried Leibniz (1646-1716), relança les études sur Léonard à l’Académie des Sciences de Jean-Baptiste Colbert, et Denis Papin (1647-1714) reprit l’idée (1687). Les Anglais donnèrent refuge à Papin et à son invention qu’ils enterrèrent pendant près d’un siècle, malgré le fardier de Cugnot (1771). La révolution américaine permit à Robert Fulton (1765-1815) de développer la machine à vapeur pour la navigation sur l’Hudson. Finalement, l’Angleterre décida d’utiliser la machine à vapeur car elle permettait d’extraire l’eau de ruissellement, et donc de creuser plus profondément les mines. C’est alors le début de la Révolution industrielle grâce, non pas aux pragmatiques soucieux d’accroître leur productivité mais à l’idée de Léonard de Vinci, Gottfried Leibniz et Denis Papin de remplacer le travail musculaire de l’homme par des machines. Tant pis pour les pragmatiques, mais les grandes avancées de l’histoire sont l’œuvre d’idéalistes.

Les transports en Suisse

Depuis plus de 150 ans déjà, la Confédération Helvétique a une politique volontariste en matière de transport public.

Pour ses chemins de fer, suite à l’achèvement des premiers tunnels alpins du Saint-Gothard (1882) et du Simplon (1906), elle a réalisé l’électrification de ses 71 réseaux pendant la première guerre mondiale. Cette confédération a toujours pratiqué, la « décentralisation concentrée » en ce qui concerne l’énergie, la poste (très impliquée dans les transports secondaires et le désenclavement par les cars postaux) et les transports. Inversement, la France aurait plutôt tendance à pratiquer la « centralisation déconcentrée » ou la « déconcentration centralisée » - ce qui est probablement l’un des facteurs qui conduisit Louis Armand à souhaiter que la France ait une structure confédérale.

Il serait donc facile, dans le même esprit, de relier les 6,6 millions d’habitants suisses par un chemin de fer souterrain comme on relierait des quartiers d’une grande ville, d’autant plus que le relief suisse rend la très grande vitesse impraticable sur des distances longues.

Par ailleurs, du fait qu’en Suisse les distances sont relativement courtes, les frais d’amortissement et d’exploitation des systèmes de transport sont difficilement recouvrables par les recettes directes, sur le plan comptable. La plupart du temps, les investissements sont couverts par des dotations confédérales ou cantonales plutôt que par des emprunts comme à la SNCF, et pour les trafics locaux et régionaux, le recouvrement des frais d’exploitation est « aidé » par diverses indemnités et subventions - même pour les réseaux privés comme le Jungfraubahn ou le Brig-Visp-Zermatt, très largement bénéficiaires par leur monopole touristique.

Mais dans les deux derniers siècles, il n’y a guère que les ultralibéraux qui n’ont pas compris qu’une véritable politique d’aménagement a son prix ; d’ailleurs a-t-on jamais demandé à chaque kilomètre de voie routière publique ou de canalisation d’eau qu’il soit rentable isolément ? Les Suisses, souvent taxés d’un conservatisme archaïque, ont compris depuis belle lurette ces règles de base : pour un tel système, ils paient fiscalement à peu près 1500 francs français [300€] par personne. De plus, s’il prend la peine de les utiliser, le citoyen suisse paie le prix au kilomètre ferroviaire deux fois et demi plus cher qu’en France ; ceci est d’autant plus étonnant dans un pays où l’automobile assure 8% des déplacements, où la part du rail dans le trafic du fret atteint 42% (Transit inclus) et où l’Union Européenne n’est pas là pour octroyer des crédits bon marché ou des subventions.

Les Suisses entendent continuer dans la même voie : ils ont déjà approuvé par référendum deux grands projets. Le premier appelé RAIL 2000, est une sorte de remise à niveau générale du service voyageur, qui engendrerait des temps de parcours moins longs et offrirait une liaison par demi-heure et par direction sur toutes les lignes du pays. RAIL 2000 a reçu l’aval du Conseil Fédéral en 1985 avant d’être approuvé par la population lors de la votation nationale du 6 décembre 1987. Le second, approuvé par les Suisses le 28 septembre 1992, est le projet des Nouvelles Lignes Ferroviaires Alpines (NFLA) qui a été proposé par le gouvernement de Berne dans le cadre d’un accord sur le transit conclu peu avant l’Europe des douze. Ceci offre une perspective d’expansion des « routes roulantes » que les Suisses et les Autrichiens ont mis en place pour résorber le flux nord-sud des camions de plus de 28 tonnes en transit dans leurs pays respectifs. Ces travaux devraient débuter en 1996 et terminer en 2006 coté Lötschberg -Simplon (un tunnel long de 33 km) et en 2015 coté Saint-Gothard -Mont Ceneri (Un tunnel de 55 km et un autre de 12,5 km). Souvent qualifié de « chantier du siècle », le projet des NFLA prévoit la réalisation de deux liaisons ferroviaires à travers la Suisse qui exigera le perçage, en terrain difficile, de larges tunnels totalisant deux fois la longueur du tunnel sous la manche.

Dans cette « cité » étendue de 41 293 km2, les citoyens sont souvent humbles devant la « grande vitesse classique » des pays voisins « nos trains ne doivent pas rouler aussi vite que possible, mais aussi rapidement que nécessaire ». La formule illustre à merveille la problématique du transport helvétique : aucune ville n’atteint le million d’habitants - Berne où siège le Parlement Fédéral en compte 300 000, Zürich 840 000, Genève 380 000, Bâle 350 000 et Lausanne 260000 - et ces agglomérations sont éloignées les unes des autres de 70 km en moyenne. Le réseau, remarquablement maillé, ne comporte pas à proprement parler, d’axes lourds supportant une très forte concentration de trafic... d’où le succès de l’horaire cadencé à une heure, entré en vigueur au printemps 1982.

La Suisse veut élargir la formule avec RAIL 2000. Ce programme, également inspiré par des considérations d’ordre idéologique, vise à établir une synergie totale entre les différents modes de transport collectif. II doit se traduire par une systématisation des correspondances et à terme un cadencement à la demi-heure des trains des CFF et d’une part importante des trains secondaires. La Confédération hésite devant son coût total (10 milliards de francs suisses), mais étant donné que le projet inspire toutes les modernisations des réseaux ferroviaires, RAIL 2000 avance aussi rapidement que nécessaire.

En vérité l’on voit bien que RAIL2000, NFLA et SwissMetro ne sont nullement en concurrence mais complémentaires comme les autoroutes avec les autres voies routières. Le projet NFLA répond à un besoin urgent concernant les marchandises en transit (actuelles et prévisibles) à travers le pays et sans celui-là, l’on aurait à faire des travaux encore plus titanesques pour dégorger le réseau routier, ou forcer ces flux à contourner la Suisse. Ce projet conditionne aussi les rapports avec les pays voisins ainsi que l’intégration éventuelle de la Confédération dans l’Union Européenne. La Suisse peut s’abstenir de la remise à niveau du réseau ferroviaire classique, mais ceci marquerait une rupture totale avec la politique d’aménagement du territoire qu’elle pratique avec succès depuis un siècle ou deux.

En ce qui concerne SwissMetro, ce projet requiert des qualités politiques devenues très rares, comme la hardiesse, l’audace ou le panache d’un André Citroën. Comme pour les deux autres projets, SwissMetro apparaît indispensable. Indispensable car la Suisse est trop petite pour avoir des services aériens intérieurs efficaces, et trop montagneuse pour avoir des autoroutes adéquates ou des trains à grande vitesse.

L’Europe trouverait par ailleurs un intérêt à collaborer avec la Confédération qui de son coté cherche une certaine collaboration industrielle ; elle dispose d’une industrie électromécanique et ferroviaire tout à fait impressionnante pour un si petit pays, et ne demande pas mieux que de collaborer comme ABB avec ses voisins pour agrandir ses débouchés et développer ses marchés.

Ainsi M. Adolphe Ogi, ex-ministre fédéral, a présenté le SwissMetro en 1989 à la conférence européenne des ministres des transports pour proposer une extension EuroMetro. Ceci engendrera une synergie très fructueuse car ce projet a l’avantage de résoudre deux grands problèmes de transport terrestre à des vitesses supérieures à 200 km/h.

Tout d’abord, le problème de la traînée aérodynamique, étant donné que la pression atmosphérique est à son maximum au niveau du sol. Il est vrai que Rodolphe Nieth n’est pas le premier à y avoir pensé, mais il est le premier à proposer une solution : le transport dans un tunnel sous vide.

Le deuxième problème, qui représente une limite difficilement franchissable pour les trains à des vitesses supérieures à 450 km/h, est de maintenir un contact constant avec la source d’énergie électrique (qui n’est qu’un fil qui vibre dans certaines conditions, quelle que soit sa tension mécanique). C’est la raison pour laquelle le prototype TGV n°001 en France était un train à turbine à gaz. Depuis, les crises pétrolières sont passées par là, car ce prototype fut construit il y a déjà un quart de siècle. Ceci pour dire que le SwissMetro pourra nous permettre de rattraper le temps de progrès perdu.

Description du SwissMetro

L’idée du SwissMetro - pour le transport des passagers à grande vitesse - a germé dans l’esprit de Rodolphe Nieth à l’époque du premier homme sur la Lune ; il s’agit donc d’une réflexion sur une longue période, en collaboration avec l’Ecole Polytechnique de Lausanne (EPFI).

Les objectifs visés étaient la grande vitesse et un bon rendement énergétique. C’est nécessaire pour la Suisse si celle-ci ne veut pas devenir une enclave à cause de son relief accidenté qui pose un problème certain aux transports de surface. Rodolphe Nieth pensait que le transport souterrain sous vide était la solution pour rapprocher les villes suisses.

On peut dire aujourd’hui que la plupart des principaux problèmes techniques de ce projet ont été résolus, alors qu’il y a encore peu de temps, faire le vide dans un tunnel semblait relever de la science-fiction. La phase étude de faisabilité est donc achevée, et l’étude proprement dite démarre.

La construction des prototypes débuterait à partir de 1996 et la construction d’un tronçon d’essai sur la ligne reliant les aéroports de Bâle Mulhouse et Zürich -Kloten devrait être achevée en 2003.

L’aspect le plus excitant du projet réside sans doute dans le fait qu’il naquit de la rencontre de quatre technologies différentes qui s’y complètent harmonieusement. Disons plus simplement que chacune d’entre elles rend les trois autres nécessaires.

Ces technologies sont les suivantes

On retrouve l’association du moteur linéaire et de la sustentation magnétique dans les maglev japonais et allemand (Transrapid). La sustentation magnétique fait en sorte qu’il n’y ait aucun contact mécanique entre le véhicule et ses rails, contrairement au TGV, mais que le train soit maintenu « en l’air », et glisse à l’aide d’un champ magnétique attractif ou répulsif (suivant l’option choisie). Après des milliers d’années d’un règne sans partage, la roue se voit donc concurrencée.

Figure 1 : schéma du SwissMetro

La figure 1 illustre l’option « champ attractif » du SwissMetro : l’électroaimant solidaire de la cabine est attiré vers le haut par celui qui fait partie de l’infrastructure, de manière à compenser le poids du véhicule. Il est évident qu’en procédant de la sorte l’on supprime les frottements, ce qui permet, d’une part, d’économiser de l’énergie motrice, d’autre part, de simplifier la maintenance en éliminant l’usure des pièces.

Dans le cas du SwissMetro, la sustentation et la propulsion sont découplées, ce qui signifie qu’en cas de panne du moteur, le véhicule continuerait à glisser jusqu’à un garage. En effet, le champ magnétique nécessaire à la sustentation sera généré par un solénoïde situé dans le train ; pour la propulsion, au contraire, l’énergie sera fournie par la piste. Il faut imaginer le moteur linéaire comme une planche de surf se déplaçant sur des vagues, ou comme un moteur électrique dont on aurait déroulé la bobine : le champ magnétique est créé par des solénoïdes (le « stator ») disposés sur le parcours, l’induit est un conducteur d’aluminium situé sous le véhicule, placé dans le champ magnétique du stator. L’une des options de ce système est représentée sur la figure 2.

Les détracteurs écologistes du Transrapid insistent souvent sur l’idée que celui-ci défigurerait le paysage, d’autant plus qu’il circule sur un viaduc de 5 mètres de haut ; il était dès lors naturel de penser enterrer le SwissMetro.

Figure 2

Cependant, en faisant cela on risquait de se heurter à un autre problème : l’effet piston. En effet, si cet objet circule à grande vitesse, il va créer localement une zone de surpression devant lui qui augmentera considérablement la résistance de l’air. Cette résistance existe d’ailleurs aussi à l’air libre : aux alentours de 400 km/h, les frottements de l’air consomment plus de 90% de l’énergie fournie, ce qui réduit en partie l’avantage du Maglev par rapport au TGV - avantage résultant de la suppression du contact physique avec la piste. La solution à ce problème est donc de faire circuler le train dans un vide partiel (0,01 à 0,1 atmosphère). L’utilisation du vide renforce l’idée d’enterrer l’infrastructure, car il est plus facile d’y assurer l’étanchéité. De plus, la sustentation magnétique se voit aussi justifiée, car si l’on utilisait des roues, les lubrifiants pollueraient le vide.

L’idée de faire circuler un train dans un vide partiel a donc fait son chemin, d’autant plus qu’aujourd’hui, on sait obtenir des pressions suffisamment basses dans un tunnel, afin d’arriver à un meilleur rendement énergétique que les trains classiques (en incluant bien sûr l’énergie consommée par les pompes situées tout au long du parcours). Le compromis optimal dû aux différentes contraintes, place le SwissMetro dans des conditions de pression voisines de celles d’un avion de ligne volant à 10 500 mètres d’altitude ; la pressurisation de la cabine ne pose donc pas de problème technique nouveau. Il est intéressant de souligner que puisque le son se déplace dans l’air, ce train ne produit quasiment aucun bruit, ce qui est un élément de confort en plus pour les passagers.

Les tunnels

L’infrastructure prévue devra comprendre deux voies : une dans chaque sens.

Une possibilité serait un tunnel circulaire de diamètre intérieur 8,30 mètres dans lequel les voies seraient l’une au-dessus de l’autre, avec une galerie latérale à pression atmosphérique pour évacuer les passagers en cas d’accident majeur. Cette possibilité présente le désavantage d’être plus sensible aux accidents géologiques que la suivante.

L’autre option consiste en deux tunnels de diamètre de 5 mètres (du même type que la figure 1), séparés par une distance d’environ 25 mètres, avec entre les deux un tunnel de sécurité. Dans ce cas, si une voie est momentanément hors service, il est possible de continuer à exploiter l’autre en y alternant les rames tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Par contre le coût des travaux (trois tunnels au lieu d’un seul) sera plus élevé que celui de la première option.

Le vide partiel doit être maintenu en permanence par des pompes car l’étanchéité n’est jamais parfaite : on a des pertes au niveau des sas d’entrée et surtout sur la longueur de la paroi des tunnels. On disposera donc deux pompes tous les 5 km (l’une fonctionnelle, l’autre de secours).

Pour des raisons de sécurité, en cas d’accident majeur, il faut pouvoir remettre les tunnels en pression en quelques secondes pour évacuer les passagers vers le conduit de secours. Pour cette raison, des vannes de compartimentage sont prévues tout au long du parcours.

Les stations

Les passagers y accéderont par 4 ascenseurs : la redondance des moyens d’accès est un principe classique en matière de sécurité.

Dans une option, le véhicule arrivera dans la caverne de ripage qui contiendra trois tubes montés « en barillet » : deux d’entre eux servant à la circulation et le troisième au stockage de la rame. Aux moments de l’embarquement et du débarquement des passagers, la caverne de ripage sera fermée par rapport aux tunnels et on y rétablira la pression atmosphérique ; les passagers pourront alors transiter, par l’intermédiaire d’un sas entre la voiture et la caverne d’embarquement.

Il existe une autre option où l’on séparerait caverne de ripage et hall d’embarquement des passagers.

En cas d’incendie, il est aussi prévu de construire des galeries en légère surpression pour éviter leur envahissement par la fumée.

Les objectifs

Le SwissMetro prévoit de transporter, suivant les différents choix de conception possibles, 200, 400 ou 800 passagers assis par rame.

La vitesse maximum en première phase sera de 372 km/h. Cependant, il serait plus judicieux de parler de durée que de vitesse : l’objectif est de placer deux stations successives à 12 minutes l’une de l’autre, avec un temps d’arrêt de 3 minutes (distance moyenne : ± 70 km). La cadence prévue est donc d’environ quatre convois par heure en régime normal - dans l’hypothèse où, comme pour un métro classique, l’on s’arrête à chaque station, bien qu’ultérieurement il soit envisageable de faire des étapes plus longues.

L’objectif de sécurité antisismique prévu est de pouvoir supporter une secousse de 7,5 degrés sur l’échelle de Richter - à titre de comparaison, la secousse catastrophique de janvier 1994 à Los Angeles était de 7 degrés. Le SwissMetro présente en outre un avantage certain sur les transports en surface : les obstacles habituels tels que la neige n’existent pas.

Dans les calculs de consommation énergétique en exploitation, il faut tenir compte de l’énergie motrice, de l’énergie transmise au véhicule pour assurer la sustentation, la pressurisation..., l’énergie nécessaire pour maintenir le vide dans les tunnels, et l’énergie utile pour les stations (sas, ascenseurs,...). Pour un taux maximal d’exploitation, on estime une consommation située entre 16,3 et 18,6 Watts/heure (W/h) par passager et par kilomètre ; ceci est à comparer avec les 90 W/h par passager et par kilomètre annoncé par les Allemands pour leur Transrapid 06. Les supraconducteurs ne sont pas envisagés pour la première génération, mais ils représentent une promesse de perfectionnements substantiels.

Quelques questions ne sont pas encore réglées : que pouvons-nous prévoir des flux de passagers futurs ? Quel doit être le diamètre du tunnel ? Enfin, il faudra étudier attentivement l’aérodynamisme des corps dans les tunnels.

Malgré cela, les auteurs du SwissMetro, Rodolphe Nieth en tête, rêvent déjà à l’impact de leur projet. Ils inaugureront un âge où la roue ne sera plus indispensable au transport terrestre, mais de plus, ils veulent « modifier substantiellement les rapports économiques et sociologiques entre les régions ». On se plaît encore, et à tort, à décrire un état divisé par ses particularités régionales linguistiques et géographiques. Or si vous suiviez l’impact du projet de Rodolphe Nieth dans la presse, auprès des chefs d’entreprises, des écoles,... vous verriez que son utopie des années 70 est en train de soulever des montagnes !


Vidéo (en allemand) :
Swissmetro

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