Les analyses de Jacques Cheminade

Quand Terra Nova francise l’Obamania

dimanche 26 juillet 2009, par Jacques Cheminade

par Jacques Cheminade

« Terra Nova », « Terra Nova » : non, ce n’est pas le cri des marins de Colomb découvrant l’Amérique, mais le nom de la « fondation progressiste » qui a découvert les méthodes politiques de Barack Obama en janvier 2009. Si nous commentons son Rapport de la mission d’étude sur les techniques de campagne américaines, c’est que dans le désarroi actuel du Parti socialiste, dont les Bernard-Henri Lévy et les Manuel Valls vont jusqu’à jeter l’appellation aux orties, il y a désormais un risque que les « innovations américaines » soient considérées comme des « leçons pour la France ». C’est en tous cas ce que voudraient les auteurs, qui formulent une douzaine de « recommandations » agrémentées d’une conclusion (« créer une commission de réflexion transpartisane ») dont l’opportunisme politicien n’a rien à voir avec la tradition de militantisme politique et social de la gauche.

Ce que nous formulons ici est une mise en garde : l’on ne peut en aucun cas séparer les méthodes d’accession au pouvoir d’Obama (ou plutôt de ceux qui l’ont sponsorisé) de la politique qu’il applique. Or cette politique vise à réduire les soins médicaux de la population américaine, sous prétexte d’assurer tout le monde, et à servir au contraire les établissements financiers qui l’ont promu en les renflouant par milliers de milliards de dollars (23700 milliards, selon l’estimation du TARP – Troubled Assets Relief Program). Le style, c’est l’homme : Obama est un Narcisse sans scrupules dont on mesurera très vite ce qu’il sert, ce « fascisme financier » que je dénonçais dans ma campagne de 2006-2007. La vérité est que les « comportementalistes » font aujourd’hui ce que les néo-conservateurs de George W. Bush ne pouvaient plus faire en raison de leur impopularité : défendre le système jusqu’à détruire son propre peuple et ses moyens de production. Cependant, le peuple américain n’est pas dupe et la popularité d’Obama se trouve aujourd’hui en chute libre. On est en droit de se poser la question : est-ce la direction vers laquelle Terra Nova veut entraîner le Parti socialiste ?

L’objectif de Terra Nova

Terra Nova ne cache pas son objectif : cette « plateforme intellectuelle progressiste » entend s’inspirer de la méthodologie professionnelle des « think tanks politiques » nés aux Etats-Unis. Elle opère à partir d’une « expertise de haut niveau » : un réseau de 250 experts entend orienter des hommes politiques, trop occupés à régler leurs positionnements respectifs, sur les questions fondamentales.

C’est le statut de l’expertise à l’américaine ou à l’anglaise : ceux d’en haut sont le rémora qui oriente le requin parti à la chasse au pouvoir et dont le but est d’arriver en s’adaptant au milieu dominant.

Aussi, ces experts sont émerveillés par la victoire d’Obama et étudient le « renouvellement des pratiques » au cours de sa campagne, en soulignant que « l’Amérique, bien sûr, n’est pas la France », mais que « l’Amérique, pour autant peut inspirer la France ». On admire au passage la pirouette.

Ils soulignent, dans le message du futur Président, « le changement ». Et de commenter : « Les campagnes politiques traditionnelles reposent sur un projet politique. Les campagnes modernes se centrent sur la personnalité du candidat. Barack Obama innove en important dans le monde politique le modèle des campagnes de cause caritative. C’est la première campagne politique de type Téléthon. (...)

« Mais l’originalité de la campagne Obama n’est pas simplement d’avoir identifié dans le changement un message électoral fédérateur. Son originalité fondamentale, c’est d’avoir quitté la sphère stricte du politique, rationnelle, et d’avoir suscité la mobilisation d’une "communauté Obama", fondée sur l’émotion. (...) Il draine ainsi vers lui des foules de supporters.

« Le coup de génie de la campagne d’Obama, c’est d’être sorti de cette campagne charismatique pour basculer vers un nouveau modèle de campagne : la campagne de cause, de type caritatif. (...)

« La clé de la campagne de cause, c’est l’appropriation : les électeurs deviennent acteurs du changement. La texture du message, d’une rare capillarité, permet cette appropriation. Le changement est une notion suffisamment vague et polysémique pour permettre à chacun d’y mettre sa propre vision du changement. »

En d’autres temps, on aurait appelé cela « démagogie », avec les dangereuses dérives que ce mot implique depuis Périclès. Pour Terra Nova, qui révèle ainsi ce qu’elle est, c’est une recette efficace pour arriver au pouvoir qu’il faut administrer aux Français, en y mettant les formes.

Dépolitisation et embrigadement

Les auteurs voient bien qu’une telle approche implique une dépolitisation, voire un bourrage de crâne. Mais ils admirent l’acteur ! « La stratégie de la campagne Obama renverse la logique : il ne faut pas attendre que les supporters viennent à la campagne, il faut aller aux supporters. "Go where the people are." Or les gens sont désormais sur les réseaux sociaux d’internet (Facebook, MySpace, mais aussi les réseaux communautaires comme Black Planet, Asianave, My Batanga ou Mi Gente). C’est pourquoi la campagne y nidifie : en utilisant les réseaux d’internet les plus "liquides" et les plus "viraux", la campagne d’Obama a pu mobiliser à une large échelle.

« Reste enfin un outil exceptionnel : la base de données Catalist. Barack Obama a réussi le rêve orwellien de tout candidat américain : ficher l’intégralité du pays. (...) La campagne d’Obama a atteint une nouvelle dimension dans le micro-targeting. Elle a investi massivement dans l’achat de fichiers (30 M$). Surtout, elle y a ajouté la collecte militante tout au long des primaires et de l’élection générale : les deux tiers des informations proviennent de la campagne elle-même. A l’arrivée, il y a la création de la base de données la plus impressionnante jamais réalisée, Catalist : un fichier unique qui répertorie individuellement 220 millions d’Américains, avec jusqu’à 600 informations par personne.

« La campagne d’Obama a ainsi eu pour principal objectif de développer une mobilisation collective autour d’une cause commune, en utilisant les mêmes ressorts qu’un campagne caritative de type Téléthon. »

Ce qui est terrifiant, c’est que les auteurs de Terra Nova, qui identifient ainsi parfaitement l’aspect Big Brother de la campagne d’Obama, l’admirent et la veulent en exemple pour notre pays !

La pyramide communautaire

Terra Nova note bien que le message du « changement » est « particulièrement cohérent avec la personnalité de Barack Obama. (...) Le messager doit correspondre au message. Or Obama incarne le changement : il est jeune, noir, avec des racines musulmanes – en rupture avec la figure politique traditionnelle américaine de l’homme blanc, mûr, protestant (...) Et il ne s’est pas abîmé dans les joutes politiciennes de Washington. » (Là, ce n’est qu’une apparence, car le sénateur Obama a utilisé à Chicago tous les artifices douteux de l’escalator social...)

Suit une analyse sur « Unity », « Hope », « Change », des mots-clés sans le moindre contenu politique mais créant un véritable culte, avec le « social website », « MyBo » (mon Barack Obama) et ses deux millions de profils créés au cours de la campagne.

Dans tout cela, zéro contenu politique réel : on peut hurler au changement pour que rien ne change, servir et se faire servir par Wall Street en étant « nice » – ou NICE, comme le service britannique de rationnement des soins médicaux dont le Président Obama s’inspire à présent pour sa propre politique de « santé publique ».

Le côté « décentralisé » et « participatif » de la campagne était une tromperie : un National Field Director, au sommet de la pyramide, contrôlait les Regional Field Directors, qui contrôlaient les State Field Directors, qui contrôlaient les Field Organisers, qui chapeautaient les Volunteers

auprès des électeurs. « Au niveau le plus élevé, les décisions étaient prises par la direction stratégique de la campagne, notamment David Axelrod et David Plouffe, voire, en dernière instance, Barack Obama lui même » !

Pour la France

A la vue de ce spectacle, on comprend que se précipitent au portillon les quadras (hé, hé, Manolo !) et les quinquas du Parti socialiste, pour « en un mot, revitaliser la démocratie française », bien entendu à leur manière.

Terra Nova recommande, en France, de « créer un parti de masse ouvert », en « diminuant le montant des cotisations d’adhésion et en simplifiant les adhésions en ligne ». Puis l’introduction d’un système de primaire ouverte (hé, hé, M.Montebourg !) aux sympathisants, avec une simple déclaration et le paiement d’un euro symbolique. « Abandonner le tractage », « limiter les grands meetings », « axer le militantisme sur le porte-à-porte de proximité » : en bref, l’illusion du local (la « proximité ») sous le contrôle pyramidal de sages experts investissant dans une « épine dorsale numérique ». Les grandes cibles seraient « les électeurs sporadiques et flottants ». Tant pis pour les vieux militants, vive les nouveaux arrivants « démarchés » (c’est le mot de Terra Nova) en fonction de leur « sensibilité ». Bref, coco, c’est ça être « moderne », avec la « professionnalisation des équipes », une « préparation en amont », avec une cellule ad-hoc (autant pour la « participation ») pourvue d’un « fichier national de listes électorales ».

Pas de surprise : tout le terrain doit être ainsi contrôlé en entretenant l’illusion de la libre-entreprise à la base. Alors, Terra Nova intervient pour écarter d’un revers de main les impudents qui ont osé briser la règle du jeu (l’omerta ?) lors des présidentielles : Gérard Schivardi (0,34% des suffrages en 2007) ou Jacques Cheminade (0,28% en 1995). Chassez-moi ces pelés, ces tondus, ces galeux qui ne représentent rien (ah bon, pourrait-on se demander, alors pourquoi mettre tant d’acharnement à les chasser ?) et tout ira pour le mieux dans la meilleure des « qualités du débat démocratique ».

On croit rêver. On en rêve pas : on est dans un « think tank » du Parti socialiste, en 2009 ! Soyons clairs : c’est le socialisme fabien, réservé à une élite qui contrôle les choses et fait au besoin – à la britannique – pour ses parrains des choses que la droite ne pourrait pas faire. Obama aujourd’hui, les dirigeants socialistes en France entre 1982 et 1993 : oligarchie nous voilà.

Et puis, hypocrites comme les bons fabiens d’outre-Manche. Pour la présidentielle, l’investiture serait assurée « par les partis politiques représentatifs (soit, par exemple, ceux ayant recueilli 5% des suffrages populaires aux élections nationales précédant le scrutin) ou bien par un "parrainage populaire" consistant en la réunion d’un certain nombre de signatures d’électeurs (tel que, par exemple, un million d’électeurs, soit 2,5% de l’électorat) ». Ceux de Terra Nova ne sont bien entendu pas assez bêtes pour ignorer que c’est impossible sans une très vaste et très coûteuse machine.

Alors, comment dit-on « closed shop » en français ? Mais là, de « poll progression » en « rub structure », on a déjà perdu son latin et l’on se trouve parlé par l’anglais d’aéroport du nouvel Empire. Ne dites plus « Terra Nova » mais « New Land », pour devenir avatar dans le Grand jeu vidéo où ils voudraient que nous soyons « participatifs ».

Ici nous nous battons, car nous n’avons pas le désir de cet avenir-là.