Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Bonace

vendredi 26 mars 1999

Un faux calme suit la tempête financière et monétaire de l’automne dernier. La crise brésilienne n’a pas « provoqué les effets secondaires redoutés sur l’économie mondiale », l’on s’est fait une raison du désastre russe, l’économie américaine « affiche une santé insolente » et l’Europe navigue à vue mais sans heurter d’écueil. Michel Camdessus a pu dire récemment que « les changements (de l’architecture financière et monétaire internationale) se feront non pas d’un seul coup, par une deuxième conférence de Bretton Woods, mais par un processus d’adaptation . » Dominique Strauss-Kahn affirme dans Le Monde du 27 février que la France est entrée dans un nouveau régime de croissance « à l’américaine », avec une « perspective centrale restant de +2,7% ».

Bref, les principaux dirigeants de l’économie mondiale sont devenus des enfants qui sifflent dans le noir pour se rassurer. La faille majeure de leur discours est sa pièce centrale : l’économie américaine, « acheteur en dernier ressort ». Tous en effet voient en elle un modèle d’efficacité.

La réalité est qu’elle repose sur une bulle financière prête à éclater. Le taux d’épargne américain est négatif, entraînant un déficit de 3% du PIB. Ce « trou » est comblé par le reste du monde, comme le montre le déficit de la balance des paiements courants supérieur à 300 milliards de dollars. Quant à la consommation américaine, ce sont les gains en Bourse qui ont permis son essor, alimentés par une hausse de la masse monétaire de près de 15% l’an et des effets de levier permettant de jouer plusieurs fois sa mise. L’endettement des Américains augmente donc exponentiellement, tout comme la dette extérieure du pays.

C’est, dans ces conditions, le centre même du dispositif mondial qui ne peut tenir. L’Europe, elle, n’a plus de direction : enfermée dans le pacte de stabilité, elle n’a plus les moyens d’en choisir une. L’Euroland rose est devenu une plante où les épines néo-libérales étouffent les fleurs nouvelles. Les capitaux spéculatifs qui l’arrosent sont condamnés à se tarir avec la crise américaine et elle n’a rien prévu pour cette proche échéance.

Un nouveau Bretton Woods (voir nos dossiers) est plus que jamais indispensable. L’Europe vécue comme une contrainte, un coût financier et un appât à capitaux va au désastre. Un grand projet européen, politique, économique et social est nécessaire pour sortir de la bonace avant le cyclone, rassemblant tous ceux qui ont le courage de défier l’oligarchie du Commonwealth anglo-américain.