Les analyses de Jacques Cheminade

Mise au point : libéralisme, socialisme, capital fictif

dimanche 8 juin 2008, par Jacques Cheminade

par Jacques Cheminade

Dans son dernier livre, De l’audace, Bertrand Delanoë affirme : « Je suis libéral (...) la gauche doit se réapproprier avec fierté le mot et la chose. » Et Ségolène Royal de lui répondre « qu’être libéral et socialiste, c’est totalement incompatible », elle qui affirmait quelques semaines plus tôt, dans le Point, que le libéralisme politique est « depuis longtemps indissociable du socialisme démocratique ». Alors, le tout Paris de se saisir du débat et d’y aller qui de ses commentaires érudits, qui de ses exégèses historiques et de ses sophismes de salon, comme si le monde réel, avec ses conflits, ses terribles souffrances et l’effondrement de son système financier n’existait pas. Quand le débat des idées arrive au point mort, on finit toujours par se gorger de mots.

Disons-le brutalement : cela fait longtemps (depuis 1982-1983) que le Parti socialiste a pris le tournant du libéralisme économique et de l’austérité sociale. En masquant ce tournant sous les couleurs d’une Europe frelatée et d’une adhésion, avec la présidence de François Mitterrand, à une monarchie républicaine. Aujourd’hui, l’affaire semble entendue : une majorité de socialistes ont laissé passer le Traité de Lisbonne et s’apprêtent à laisser passer la réforme institutionnelle de Nicolas Sarkozy. Alors, à quoi bon rentrer dans un débat dont les termes sont faussés ? A quoi bon prendre au sérieux ce jeu de positionnement : Bertrand Delanoë cherche à déborder Ségolène Royal sur sa droite, avec son quarteron de vieux mitterrandiens, et de séduire les électeurs centristes. Ségolène Royal, elle, lorgne à gauche et tente de coopter la montée d’un Olivier Besancenot parrainé par Nicolas Sarkozy comme Jean-Marie Le Pen l’était hier par François Mitterrand.

Ces jeux politiciens, bien entendu, ne nous intéressent pas. Pas davantage que la pseudo réflexion entamée par la Fondation Jean Jaurès, celle du Parti socialiste, qui accueille la fine fleur des partisans de la mondialisation financière, de Pascal Lamy, directeur de l’Organisation mondiale du commerce, à Matthieu Pigasse, le banquier de Lazard Frères qui conseille Ségolène Royal et tutoie transcourants.

Nous intervenons ici pour clarifier les choses à l’intention des militants socialistes qui sont, avec une vaste combinaison de volontés allant des gaullistes de gauche aux sensibilités les plus progressistes, ce que notre pays porte de meilleur dans sa vocation militante et son sens de mission.

Le libéralisme financier est l’expression des courants historiques destructeurs anglo-vénitiens qui, aujourd’hui, se manifestent au sein des réseaux de la City de Londres et de Wall Street. C’est ce libéralisme-là qui a enfanté, dans les années trente, la montée du nazisme. C’est lui qui, à la fin des années 1980, a engendré le consensus de Washington, prônant la réduction des impôts pour les riches et l’accélération des privatisations. Ainsi, il a créé les conditions de la crise économique, sociale et culturelle d’aujourd’hui, semblables à celles des années trente. Il est donc inadmissible de laisser planer la moindre ambiguïté à ce sujet.

Quant au libéralisme politique, celui des Tocqueville ou des Benjamin Constant, il a exprimé l’aspiration à l’émancipation des individus face aux tutelles de familles castratrices, d’une Eglise dévoyée et d’un Etat injuste. Cependant, « libéral », il n’a été porteur d’aucun projet, sinon celui de s’opposer. Promouvant l’initiative individuelle, « moteur de tout », et rejetant toute ambition collective, il a en fin de comptes promu le libéralisme financier jusqu’à en justifier tous les excès.

Cependant, diront les bonnes âmes, si vous rejetez le libéralisme, il ne nous reste que le nazisme ou le communisme ! La réalité est à l’inverse : c’est la production de capital fictif, dans un régime libéral économique et politique, livré à la loi du plus fort, qui crée, répétons-le, les conditions du nazisme et du communisme d’Etat, ou de toute autre forme de dictature. Alors quoi ?

C’est à ce point du débat que le texte publié dans le Monde du 22 mai 2008 (voir ici) par les « doyens » de la social-démocratie européenne, devient si intéressant. Eux, partant du réel et dénonçant précisément l’accumulation de « capital fictif », un capital qui n’améliore ni l’homme ni la nature, mais accroît les possessions d’une minorité, concluent que « la finance folle ne doit pas nous gouverner ». Pierre Larouturrou l’a bien compris dans les questions qu’il pose au prochain congrès du Parti socialiste, dont d’abord celle d’un Nouveau Bretton Woods.

Il faut cependant aller au-delà et définir l’horizon vers lequel on veut se diriger.

Il s’agit de « redécouvrir l’Amérique », c’est-à-dire le système qui a permis aux Etats-Unis de devenir la première puissance économique du monde, même si aujourd’hui ils se trahissent eux-mêmes. L’objectif d’une politique économique digne de ce nom est de créer les conditions les plus favorables à un développement des capacités créatrices d’individus pourvus des moyens pour les exercer. L’accroissement de la production par tête, par unité de surface et par ménage en est la condition. Cet accroissement dépend des découvertes scientifiques et des applications technologiques transformant la nature à un degré plus élevé. Ce qui exige des conditions de travail coopératif plus denses et toujours plus justes entre êtres humains associés à ce travail dans un projet commun.
Voilà par où devrait commencer une nouvelle donne à l’échelle du monde, une initiative politique répondant au défi du XXIe siècle. En bousculant tous les positionnements et les préjugés pour sortir d’une société mondialisée et financiarisée qui va à sa propre perte. Car nous ne voulons pas sombrer avec elle, faute d’horizon et de projet.