Les analyses de Jacques Cheminade

Le « sarkozysme » : la couleuvre de l’austérité sous l’étiquette de la réforme

samedi 26 avril 2008, par Jacques Cheminade

par Jacques Cheminade

Lorsqu’un homme de tradition conservatrice, comme Hervé de Charrette, député UMP de Maine-et-Loire, juge que « le gouvernement est en train de rendre la réforme haïssable », c’est que sa politique le devient franchement. L’équipe Sarkozy-Fillon distille la rigueur en espérant ne pas se faire prendre : un ministre avance une « idée », un autre répète que « les caisses sont vides » et plusieurs baptisent « réorganisation » ou « modernisation » des coupes claires ou sombres. Leur problème, c’est que beaucoup devenant trop, ils se font prendre la main dans le sac. La logique de l’ensemble, comme le laissait prévoir, pour ceux qui l’ont bien écouté, le discours de Nicolas Sarkozy après le premier tour de l’élection présidentielle, c’est de faire des économies au détriment des plus pauvres pour payer la dette de l’Etat vis-à-vis des établissements financiers, laisser les riches s’enrichir davantage et lâcher quelques miettes aux nécessiteux. Ces derniers ne resteront pas au bord du chemin, mais ils marcheront sans trouver d’emplois honorables, avec de moins en moins d’argent pour leurs enfants et pour se soigner eux-mêmes. L’expression « réhabiliter la valeur travail » est la feuille de vigne (transparente) qui recouvre cette politique anti-sociale.


Pouvoir d’achat et travail

Récapitulons les mesures. Tout d’abord, il est évident que les prix montent, comme le ressentent les Français et comme le masquent les chiffres de l’INSEE, l’institut officiel de statistiques. Il y a donc une baisse du niveau de vie net des moins favorisés. L’ex-candidat du pouvoir d’achat affirme que la détaxation des heures supplémentaires est un succès et que son « paquet fiscal » (loi TEPA) a « rendu de l’argent aux Français », à tous les Français. Double mensonge : la détaxation des heures supplémentaires n’apporte du revenu qu’aux salariés favorisés des secteurs qui marchent (un tiers du total), la moyenne étant de 111 euros par Français et par an, et pour le reste, les nantis ont eu la grosse part du gâteau.

Quant aux mesures en faveur des familles, après l’imbroglio de la carte famille nombreuse de la SNCF (à la charge de l’Etat mais en prélevant un dividende plus important sur les bénéfices de la société publique...), l’on a appris le 15 avril que les majorations des allocations familiales ne concerneraient plus, à partir du 1er mai, que les enfants entre 14 et 16 ans (auparavant, c’était entre 11 et 16 ans). Concrètement, il s’agit de 600 euros de moins dans la poche des familles concernées par ce changement ! L’on dit bien que les 138 millions d’euros générés par la mesure devront permettre à la Caisse nationale d’allocations familiales de mieux financer l’allocation pour garde d’enfants par une assistante maternelle. Cette façon de dépouiller les uns pour servir les autres, sans garantir que l’intégralité de la somme sera redéployée, est politiquement obscène, alors que les dirigeants d’entreprise se gavent de stock-options et autres retraites « golden ». Parlons de retraites : Nicolas Sarkozy, jeudi soir (le 17), a décrit un monde fermé, où il n’y a pas assez d’argent (qu’il ouvre les yeux pour voir où il coule) et que, faute de pouvoir accroître les cotisations ou réduire les retraites, il faudra allonger la durée de cotisations à 41 ans en 2012, comme le prévoit la loi de 2003.

Vous avez dit social ? Il y a le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique. Qui va alors payer les pots cassés du manque d’enseignants, de personnel hospitalier, de magistrats ? Il y a les restrictions des contrats aidés aux bénéficiaires de minima sociaux et pour les chômeurs de longue durée. M. Sarkozy l’a dit : « J’ai demandé au gouvernement qu’il y ait un processus de sanction pour un chômeur qui refuserait deux offres d’emploi qui correspondent à ses qualifications (...) Au bout de trois mois, on serait obligé d’accepter un emploi qui représente 95% de son salaire ; au bout de six mois, on serait obligé d’accepter un emploi à moins d’une heure de transport en commun (deux heures aller et retour) de l’endroit ». Et tant pis s’il n’y a pas de transports en commun... Il y a encore, à l’embauche, « de l’autre côté du tuyau », l’allongement et l’unification des périodes d’essai : elles sont déterminées par la loi, pas par des conventions collectives, et iront d’un à deux mois pour les ouvriers et employés, jusqu’à trois ou quatre mois pour les cadres. Il y a encore la rupture à l’amiable des contrats, sans protection d’un recours ultérieur devant les prud’hommes, et la création d’un CDD à « objet défini », pour une mission bien précise et compris entre dix-huit et trente-six mois. Ce nouveau CDD, non renouvelable, prend fin avec la réalisation de l’objet défini par le contrat après un « délai de prévenance » (court) de deux mois.

Il reste le fameux revenu de solidarité active (RSA) de Martin Hirsch, dont Nicolas Sarkozy a promis qu’il serait « généralisé ». Il s’agit de la « miette » pour les nécessiteux. En effet, si l’idée est bonne et utile – un complément de ressources destiné aux travailleurs pauvres et aux bénéficiaires de minimas sociaux, pour éviter la rupture entre assistance et salariat – les bénéficiaires seront bien peu et son financement sera assuré par le redéploiement d’une partie de la prime pour l’emploi (PPE). A l’arrivée, le cumul salaire-assistance n’est prévu que pour les revenus inférieurs à 1,1 ou 1,2 SMIC, et la prime pour l’emploi (aujourd’hui perçue par 8 millions de personnes) serait recentrée sur ceux « qui en ont vraiment besoin ». On peut se poser trois questions. La dissolution de la PPE dans le RSA ne risquera-t-elle pas de faire beaucoup de petits perdants ? Que deviendront les moins de 25 ans qui n’ont pas accès au RMI mais peuvent toucher la PPE ? Comment éviter que le RSA ait un effet négatif sur la qualité des emplois et l’évolution des salaires ? Il semblerait bien que les dames patronnesses soient toujours condamnées à l’injustice...


Désintégration sociale et territoriale

A ces mesures concernant le pouvoir d’achat et le travail s’ajoutent d’ores et déjà les « franchises » (50 euros par an, on appréciera le mot) de la sécurité sociale, lourdes pour les petits revenus et faibles pour les gros. En outre, Roselyne Bachelot a évoqué le 13 avril la possibilité de transférer certaines dépenses de santé du régime général aux « organismes complémentaires ». Elle n’a pas listé les frais médicaux concernés, mais le débat s’est focalisé sur les lunettes (déjà mal remboursées) et, éventuellement, la dentisterie. Ce serait une « régression considérable », comme le dit le Syndicat des opticiens, et une privatisation larvée des soins. A un moment où 8% de la population n’a pas de mutuelle et près d’un tiers des Français les plus démunis ne se soignent plus ou se soignent mal. On parle aussi, dans la « réflexion » lancée par les 166 mesures annoncées le 4 avril, de « questionner » la « justice et l’efficacité » des remboursements de certaines affections de longue durée. Le diabète sera-t-il, dans ces conditions, moins remboursé que le cancer ? « Une première réflexion mérite d’être, elle aussi, engagée » sur la diminution des remboursements des arrêts-maladie.

Bref, on presse les plus pauvres tout en démantelant les institutions de proximité sur le territoire national. Après les tribunaux, passés au kärcher par Rachida Dati, ce sera le tour des garnisons militaires. Le plan des suppressions sera annoncé le 19 juin par Hervé Morin, ce qui redonnera une nouvelle actualité au mot « limoger », puisque l’abandon de la garnison de Limoges est envisagé pour 2010. De même, 235 établissements hospitaliers seraient dans le collimateur parce qu’ils comptent moins de 4000 interventions par an. « Il ne s’agit pas de fermer des hôpitaux, susurre la dame de charité élyséenne, mais d’apporter des soins adaptés aux populations » en « rationalisant l’offre de soins, car si l’on ne maîtrise pas les comptes, tout le système va s’écrouler ».

Evidemment, on ne parle pas du système financier et monétaire international, mais de notre système social.


Conclusion

Nicolas Sarkozy, le 17 avril, a assuré que « notre capitalisme a marché sur la tête, il doit être moralisé ». A l’international, le retour au sein du commandement intégré de l’OTAN et la ratification du Traité de Lisbonne, et à l’intérieur, les mesures que nous avons rapportées, augurent mal du sens que l’on doit donner à ses paroles. Les malades, les travailleurs et les habitants des régions dépouillées réclament en tous cas moins de capitalisme financier, moins de discours « moralisants », moins de rigueur et plus de justice.