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Michel Aoun pourra-t-il sauver la nation libanaise ?

samedi 22 décembre 2007

Par Christine Bierre

Le 22 décembre prochain, les députés libanais tenteront pour la dixième fois d’élire un président de la République. Le pays est sans président depuis le 23 novembre dernier, date à laquelle l’ancien président Emile Lahoud a quitté ce poste en fin de mandat.

L’élection est l’objet d’un féroce bras de fer dont le résultat déterminera la survie et le futur de la nation libanaise. Du point de vue national, la présidence revient sans aucun doute au général Michel Aoun, président du Courant patriotique libre (CPL), pour plusieurs raisons. D’abord, le système confessionnel qui régit les institutions politiques libanaises exige que le président soit un chrétien. Le général Aoun ne soutient pas ce système qu’il s’est engagé à réformer, mais pour l’heure, c’est celui qui est en vigueur. Au-delà de cette particularité confessionnelle, plus d’un tiers du pays, une majorité de chrétiens mais aussi de plus en plus de musulmans, se reconnaissent dans le leadership du général Aoun. Enfin, le mémorandum d’entente signé entre le CPL et le Hezbollah de Hassan Nasrallah, qui représente à lui seul un autre tiers de l’électorat, fait de Michel Aoun le candidat naturel de la majorité dans ce pays meurtri par des années de guerre.

Cependant, d’autres ne l’entendent pas de cette oreille. Bien que l’on constate, au sein de l’armée et des institutions de la présidence américaine, une opposition de plus en plus déterminée à la poursuite de la politique de guerre perpétuelle inaugurée par l’administration Bush/Cheney, les éléments anglophiles de l’administration, proches de Cheney, voudraient poursuivre coûte que coûte ces guerres, ainsi que leur plan de réorganisation du Grand Moyen-Orient. Pour l’heure, ces forces apportent un soutien sans faille au régime du Premier ministre Fouad Siniora, soutenu par la Coalition du 14 mars dirigée par Saad Hariri, fils de l’ancien Premier ministre assassiné.

Le problème est que ces forces ne représentent plus depuis longtemps la majorité réelle du pays. S’ils comptent bien 68 sur 127 sièges au Parlement, il s’agit là d’un parlement croupion, élu suivant un système électoral organisé sous l’occupation syrienne. De plus, une dizaine des députés dont l’élection a été contestée suite à de nombreuses irrégularités continuent à siéger faute de pouvoir faire appel au Conseil constitutionnel, seul habilité à statuer sur ces irrégularités, mais qui a connu une mort administrative soudaine. En novembre 2006, en guise de protestation contre ce déséquilibre, et exigeant une présence plus grande au sein du gouvernement, six ministres de l’opposition ont démissionné du gouvernement Siniora, lui ôtant ainsi toute apparence de constitutionnalité.

L’administration Bush ayant mis un veto absolu à l’élection du général Aoun, celui-ci, avec la hauteur de vue de tout patriote qui fait passer son pays avant sa personne, a accepté de retirer sa candidature en faveur de celle d’un candidat de consensus, en la figure de Michel Sleimane, l’actuel chef d’état-major de l’Armée libanaise.

Mais alors que les forces du 14 mars voudraient capturer le Président nouvellement élu au sein des institutions faillies actuelles, Michel Aoun exige qu’un certain nombre de conditions permettant d’établir une paix et une stabilité à long terme dans le pays soient remplies avant l’élection. Parmi les exigences du CPL, l’adoption d’une nouvelle loi électorale devrait donner une véritable représentativité à un Parlement qui, depuis les accords de Taëf de 1989 ayant mis le pays sous la tutelle de la Syrie, est devenu la véritable source du pouvoir dans le pays. C’est en effet lui qui élit, aux deux tiers, le président de la République et à la majorité simple, le Premier ministre. Cette nouvelle loi électorale devrait éliminer des déséquilibres comme celui qui fait que les 70 % de l’électorat chrétien soutenant le général Aoun ne soient représentés que par 27 % des 64 sièges destinés à la faction chrétienne ! Dans cette option, le gouvernement d’union nationale devrait adopter la nouvelle loi électorale le plus rapidement possible, avant de procéder à de nouvelles élections.

Deuxième revendication du Général, la nécessité de recréer le Conseil constitutionnel pour juger notamment du cas des 10 députés soupçonnés de fraudes diverses.

L’opposition exige enfin qu’avant l’entrée en fonction du nouveau chef de l’Etat, la formation du gouvernement soit négociée, et en particulier que l’opposition comme la prétendue majorité obtiennent chacune deux ministères régaliens.

Intervention musclée de l’administration Bush/Cheney

Bien que ceux qui connaissent le pays s’accordent pour dire que, laissés à eux-mêmes, les Libanais seraient tout à fait à même de trouver les solutions qui s’imposent à leurs problèmes, des proches du parti de la guerre aux Etats-Unis et leurs alliés dans la région et dans le monde font tout pour imposer leurs partisans. Tout en accusant publiquement le général Aoun, l’opposition libanaise ou encore la Syrie de tout faire pour torpiller l’élection du président, en réalité, ce sont eux qui refusent tout accord, car sans Président, c’est le gouvernement Siniora qui continuera à diriger les affaires.

Typique de leurs manœuvres, le 16 décembre dernier, David Welch, secrétaire d’Etat adjoint chargé du Proche-Orient, s’est rendu en visite éclair au Liban pour rencontrer, à la veille d’une nouvelle tentative pour élire le Président, tous les acteurs de la crise : Michel Sleimane, Fouad Siniora, Saad Hariri, Samir Geagea et Walid Joumblatt. Tous sauf un : le général Aoun ! Ce dernier a pourtant été nommé par l’opposition libanaise négociateur en remplacement de Nabih Berri, président musulman du Parlement qui en avait été chargé jusqu’au 14 décembre. De même, Walid Joumblatt, le dirigeant des Druzes qui s’était récemment rapproché de la position d’Aoun, a dû battre en retraite face aux fortes pressions du même David Welch. Dans une interview à Al Jazeera, le général Aoun ne s’est pas privé de dénoncer Welch comme un « danger pour le pays ».

Plus récemment, en marge de la conférence qui a rassemblé à Paris des donateurs pour la Palestine, il y a eu un tir groupé sur l’opposition libanaise. Un communiqué signé par les Etats-Unis, la France, l’ONU, l’Union européenne, l’Arabie saoudite et plusieurs autres pays pressait le parlement libanais d’élire « sans plus de délai » un président. Le communiqué sommait les « puissances extérieures » - la Syrie et l’Iran, sans les nommer explicitement - de « respecter pleinement la constitution du Liban et ses institutions démocratiques » et réitérait son soutien au gouvernement Siniora.

A ce stade, le blocage prend une forme institutionnelle. Pour élire Michel Sleimane à la présidence, il faut réviser la Constitution qui spécifie qu’un haut fonctionnaire ne peut être élu à la Présidence, a moins qu’il ait démissionné de son emploi deux ans avant l’élection. Pour réformer la constitution, il faut cependant une majorité des deux tiers, que n’a pas l’actuelle majorité. Le compromis proposé par Saad Hariri permettrait à Sleimane d’être élu si le mouvement de 14 mars accepte de ne pas détenir une majorité de deux tiers, et l’opposition, de ne pas détenir une minorité de blocage d’un tiers. Le général Aoun accepterait ce compromis que va loin, en échange d’un accord préalable sur la formation du gouvernement ainsi que sur le rôle d’arbitre attribué au Président de la République. Le tout devrait être inscrit dans la Constitution.

On voit donc bien qu’il y au sein de l’opposition une volonté de se battre pour créer les conditions d’un véritable pouvoir démocratique et souverain dans le pays et que les tentatives de déstabiliser cet accord émanent de l’administration Bush/Cheney. L’assassinat, le 12 décembre dernier, du général François el-Hajj, un ami de Michel Aoun qui était pressenti pour remplacer Michel Sleimane en tant que chef d’état-major de l’armée, et qui, de plus, avait mené la bataille contre le mouvement terroriste Fatah al Islam qui s’était emparé du camp palestinien de Nahr el Bared, au nord du Liban, montre que certains voudraient torpiller toute possibilité d’accord stabilisant le Liban et le reste de la région. Rappelons-nous, dans ce contexte, les multiples déclarations de responsables de la région, faisant état d’une collusion entre Dick Cheney et la faction anglophile du Prince Bandar d’Arabie saoudite dans le financement du Fatah al Islam.

Le rôle de la France

Que fait la France dans ce bras de fer ? Après les multiples rencontres et voyages dans la région de Bernard Kouchner et de Jean-Pierre Cousseran pour assurer une médiation entre les différentes factions, le Président Sarkozy s’est entretenu personnellement pas moins de trois fois par téléphone avec le président syrien Bachar el Assad.

Bien que sous la pression de la faction Bush/Cheney, la France ait durci ces jours-ci le ton face à Damas, tenue comme principal responsable de la non élection, des déclarations de responsables syriens font état, au contraire, d’un accord favorable aux exigences de l’opposition libanaise, conclu entre la Syrie et la France. En effet, dans une déclaration daté du 20 décembre, Walid Mouallem mentionne des discussions syro-françaises qui auraient permis d’aboutir à une déclaration de principe en trois points : l’élection d’un président de consensus en la personne du général Michel Sleimane, après un amendement de la Constitution, la formation d’un gouvernement d’union nationale et l’amendement de la loi électorale au Liban de manière équitable. Walid Mouallem a accusé les Etats-Unis d’avoir entravé les efforts syro-français en vue de l’élection d’un président libanais, tout en assurant que les contacts syro-français se poursuivaient. S’exprimant à Damas lors d’une conférence de presse, il a regretté que « les Français ne se soient pas éloignés du rôle américain qui a entravé la solution syro-française ».

En réalité, bien que la France puisse aider à la recherche d’une solution, en fin de compte la balle est dans le camp des Etats-Unis, profondément divisé entre les anglophiles autour du vice-président Cheney et des factions extrémistes en Israël, qui veulent poursuivre la politique de guerre et ont donc tout intérêt à torpiller tout effort de paix durable au Liban, et ceux qui, au sein des forces armées et des institutions de la présidence américaine, tentent d’imposer le retour à une politique de paix et de coopération économique. Ce sont les mêmes qui s’efforcent de favoriser l’ouverture de pourparlers sérieux entre la Syrie et Israël pour stabiliser la région et mettre fin à ce jeu d’influences cynique et destructeur. Dans ce bras de fer, tous nos espoirs vont à Lyndon LaRouche et à ceux qui se battent avec lui pour garantir la défaite de Cheney.