Les analyses de Jacques Cheminade

Lettre ouverte sur Pierre Mendès-France à l’opposition de gauche

samedi 28 juillet 2007, par Jacques Cheminade

par Jacques Cheminade

« Est-ce un homme d’honneur ? » demandait souvent Pierre Mendès-France à ses amis ou à ses collaborateurs à propos d’un interlocuteur qu’il connaissait mal. « Honneur » : à notre époque de débauchages sarkozistes et d’intrigues entre éléphants et éléphanteaux, sexa, quinqua, quadra et MJS, ce mot paraît venir d’une autre époque, et même sentir la naphtaline. Et pourtant, c’est bien lui que la gauche devrait retrouver, ce véritable honneur qui ne consiste pas à acquérir des rubans, des maroquins ou des mandats, mais à servir la vérité et la justice, pour éveiller les consciences et les élever à la cause du bien commun, à la dignité d’homme.

Se vouer à rendre le monde et l’humanité meilleurs : s’il existe une différence entre la gauche et la droite, c’est bien cet engagement-là. La droite gère au mieux l’ordre des choses, au pire s’impose dans des rapports de force ; la gauche (si ce mot a un sens) se bat pour créer un environnement social plus favorable à l’expansion des pouvoirs créateurs de tous et de chacun.

Regardons maintenant yeux dans les yeux ce qu’est devenue la gauche aujourd’hui, face aux échéances décisives en Europe et dans le monde. Non seulement elle n’est pas à la hauteur du défi, mais comme Dominique Strauss-Kahn au FMI ou d’autres ailleurs, elle cherche à occuper des créneaux sur un bateau qui coule. Face à la désintégration du système financier et monétaire international, face au parti de la guerre aux Etats-Unis, face à la dislocation sociale, face à cette moitié de l’humanité qui vit avec moins de deux dollars par jour, face à notre jeunesse pour qui la consommation de cannabis, la tentation du suicide et la dépolitisation se banalisent, elle s’est installée dans la règle du jeu et a trahi ses valeurs. Elle a perdu et, si elle continue ainsi, elle continuera à perdre pour notre mal à tous. Nicolas Sarkozy a défini par ses mots le terrain du débat public dès 2002, établi son hégémonie culturelle et son pouvoir idéologique. La gauche n’a fait que s’adapter.

Il ne s’agit pas d’une simple question de morale ou de rigueur intellectuelle ; il s’agit d’une question d’efficacité. En croyant vivre en jouant la règle du jeu, la gauche a perdu ses cartes et son âme en même temps.

Que faire ? C’est ici que, pour nous autres Français, l’autre 18 juin - le 18 juin 1954, celui de Mendès - retrouve toute son actualité. Pendant ces journées, devant un Parlement faible et des parlementaires voués à la servitude volontaire des intérêts coloniaux, des puissances financières et du régime des partis, Mendès a redéfini l’intérêt général avec un courage tranquille. Réglant d’un même élan la question internationale - l’Indochine, la Tunisie, la Communauté européenne de défense - lançant avec Félix Gaillaud notre programme nucléaire, relevant les bas salaires, mettant en place une nouvelle politique de la jeunesse, il fut le seul chef de gouvernement de la IVème République ayant eu un projet et un sens de mission. Il haïssait les petitesses partisanes, ce qui lui valut peut-être le plus bel éloge que de Gaulle fit d’un homme : « C’est un cheval qu’on n’attelle pas. »

Alors, socialistes, communistes, PRG et humanistes d’aujourd’hui, dételez-vous ! Il est temps, il est presque déjà trop tard.
Comment ? En partant d’une situation internationale dans laquelle la France doit se fixer trois objectifs :

 participer au lancement d’un nouvel ordre économique et monétaire international, un nouveau Bretton Woods, qui redonne priorité au travail et à l’équipement sur les spéculations et le virtuel ;
 s’engager à construire un Pont terrestre eurasiatique, avec des corridors de développement Ouest-Est et Nord-Sud, de l’Atlantique à la mer de Chine, sur la base de grands travaux, de l’application de nouveaux principes physiques et de technologies nouvelles ;
 combattre en vue de ce projet l’administration Bush-Cheney aux Etats-Unis, pour qu’une Amérique libérée de leur emprise soit le moteur d’une alliance pour le progrès et le développement mutuel.

De ce triple engagement, nous ne pouvons être l’acteur principal, mais nous devons en être le catalyseur. Cette fois, nous sommes en mesure de participer au Dien-Bien-Phu de Bush et de Cheney, au nom de la vision développée par cette autre Amérique, qui est celle de Lyndon LaRouche et à laquelle en tant que Français et Européens nous avons une part, pourvu que nous ne tombions pas dans les jeux criminels de l’oligarchie. L’enjeu est la justice dans le monde, la paix ou la guerre. Le défi d’engager pour la paix et la solidarité entre les peuples des ressources plus grandes que celles qui l’ont été pour les guerres du XXe siècle. Un projet-phare, pour nous, serait la remise en eau du lac Tchad, dans le cadre d’un développement agro-industriel de toute l’Afrique centrale et d’une politique visant au recul du désert, donc à l’arrêt des migrations forcées des éleveurs vers le Sud.

Alors, le verrou financier international étant ainsi levé, autour d’un combat qui sera très difficile mais qu’on ne peut éviter, nous retrouverons notre liberté d’action dans notre politique intérieure, et pourrons mener une vraie réforme, retrouvant à l’échelle du monde l’élan de Roosevelt et, chez nous, de la Libération.

Cela suppose que nous jouions à fond notre atout nucléaire pour la justice sociale et le développement du tiers monde. Car c’est seulement avec les découvertes de la physique nucléaire des nouvelles générations - réacteur à haute température (HTR) et fusion thermonucléaire - que l’Europe et le monde pourront trouver à la fois la base énergétique nécessaire à un développement général, le moyen d’approvisionner le monde en eau par dessalement de l’eau de mer et la capacité de créer des ressources nouvelles par transmutation. Dans cet environnement de progrès retrouvé, aucune politique de recul salarial ne sera plus tolérée, car on aura ainsi arrêté net la logique de pillage des salaires et des entreprises productives par les intérêts financiers. La République pourra alors être remise dans l’école, l’université, l’hôpital, le laboratoire et l’entreprise, tant par le service public offert à tous que par l’organisation des pouvoirs au sein de chaque organisme.

L’Europe, dès lors, ne sera plus une addition d’intérêts égoïstes et un grand marché offert à la loi du plus fort, mais un terrain de développement mutuel où des centaines de milliards d’euros pourront chaque année être prioritairement dégagés en faveur de grands travaux et d’un grand projet culturel intégrateur. Le rétablissement des intérêts souverains de chaque nation sur sa monnaie est nécessaire pour lancer ce programme, reposant sur l’émission de crédits productifs publics à large échelle, long terme et faible taux d’intérêt, et sur des équipes pluri-nationales par projet, dépassant les querelles médiocres et subalternes comme celles que suscite l’aviation au sein d’EADS.

Voilà de vraies perspectives, à la Mendès, pour une France du XXIe siècle, promouvant les générations futures. La France de Christine Lagarde, avocate de la mondialisation, ou de Dominique Strauss-Kahn, porte-parole du FMI, est une France qui ne se gouverne pas elle-même. Comment une France qui se dispose à éliminer 17 000 postes dans l’Education nationale et fait des cadeaux aux fils de famille bénéficiaires de stock options (MM. Forgeard fils) ou des effets du bouclier fiscal (notamment CSG et CRDS) pourrait-elle être la France ?

Cela aussi, il faut le dire plus fort, en haussant le ton. Le gouvernement du peuple, par et pour le peuple, s’est transformé en un gouvernement de riches, par les riches et pour les riches. Nicolas Sarkozy en est aujourd’hui le gérant, mais bien des « hommes de gauche » en ont été auparavant, eux aussi, les gestionnaires.

Dételez-vous ! L’histoire n’appartient, en ces moments décisifs que nous vivons, ni à ceux qui appellent « prudence » leur lâcheté, ni aux héritiers administratifs, mais à tous ceux qui ne possèdent rien sinon le pouvoir d’un idéal et l’espérance d’y parvenir, ceux qui veulent agrandir nos tables pour y installer plus de convives, plutôt que de sombrer dans le chaos et la guerre de tous contre tous. Par delà les illusions d’une ouverture ou d’une refondation limitée à la pose de sparadraps, voici venir le temps de nouveaux Mendès et de nouveaux Jaurès. Qu’ils soient cette fois moins éphémères tient à chacun d’entre nous.

C’est une question d’honneur.