Les analyses de Jacques Cheminade

Vaincre la misère politique du Parti socialiste

jeudi 15 janvier 2004, par Jacques Cheminade

En mal d’idées, de projet et d’hommes, le Parti socialiste s’avère aujourd’hui incapable de reprendre l’initiative politique. L’écart entre l’occasion qu’offre le désarroi du gouvernement Raffarin face à la crise mondiale et l’incapacité que manifestent les dirigeants socialistes à la saisir suscite, dans un premier temps, commisération ou perplexité. Ces dirigeants, qui ne sont, après tout, ni des imbéciles ni des médiocres, se trouvent tous comme paralysés face à quelque chose à laquelle ils ne s’attendaient pas. Leurs mots ne collent plus à la réalité. Et c’est à ce symptôme que l’on peut justement identifier le problème : dans leur grande majorité, bureaucrates ou gestionnaires se définissant par l’exercice du pouvoir, ils ont perdu tout sens de révolution ou de mission. Alors que ce qu’exige la situation actuelle et ce qu’attendent plus ou moins confusément les Français est un sursaut, un sens de mission de même nature que celui associé à une juste guerre, comme celle contre le nazisme d’hier ou les faucons américains d’aujourd’hui, mais avec pour horizon la paix par le développement mutuel et le dialogue des cultures, les vedettes socialistes vendent des images, gauche Star’Ac, gauche Drucker ou gauche alter. Ou bien elles accommodent leurs plats à la sauce de convictions livresques, tentant en bons sophistes de persuader au lieu de défendre une cause.

L’occasion

Personne ne peut nier que l’occasion soit immense. Jacques Chirac comptait, après le 21 avril 2002, que la « fracture sociale » se résorberait par une croissance retrouvée. Jean-Pierre Raffarin table, aujourd’hui sur le retour de la « croissance américaine » et sur les effets démographiques - plus de départs à la retraite et moins d’entrées sur le marché du travail - pour lui permettre d’afficher des chiffres meilleurs.

En attendant, il laisse faire en accompagnant le mauvais moment à passer avec quelques recettes de dames patronnesses parfois empruntées à la social-démocratie, tout en imposant une austérité sociale bien réelle pour « maintenir les équilibres » ; ou, plutôt, ne pas trop aggraver les déséquilibres. En clair, pour permettre aux entreprises de compenser leurs difficultés par le recours à une main-d’œuvre bon marché, et à l’Etat, son incapacité à créer de la richesse par une limitation de ce qu’il distribue.

C’est ainsi qu’il faut comprendre toute une série de mesures qui devraient susciter la critique passionnée de tout militant - ou même dirigeant - socialiste - ou même social. Enumérons-les : réformes de l’Unedic (180 000 à 250 000 demandeurs d’emplois se retrouvent ainsi en fin de droits au 1er janvier, par le jeu de la baisse des durées d’indemnisation), de l’ASS (allocation de solidarité spécifique,130 000 personnes en feront les frais), du RMI (revenu minimum d’insertion, voué à être le filet de sécurité des plus démunis) et de l’AME (aide médicale d’Etat dont les conditions d’accès pour les étrangers sans papiers ont été durcies). Bref, un ensemble de mesures aggravant la situation de chômeurs, de précaires et, en général, des plus démunis. La création du RMA sera un cadeau fait aux entreprises... et n’ouvrira aux travailleurs que des droits à la retraite et au chômage dérisoires.

En outre, le gouvernement a réformé le système de retraites (rendu plus dur pour les femmes qui travaillent) et bouleverse de fond en comble le code du travail au point qu’un accord d’entreprise pourra déroger à un accord de branche.

La majorité se prépare à une réforme de l’assurance-maladie (le but avoué étant de réduire les dépenses en faveur des vieux et des malades chroniques, comme aux Etats-Unis), à une amnistie fiscale et à une réduction de l’impôt sur la fortune (ISF, déjà très modeste). Au programme se trouvent également de nouvelles privatisations (Air France), un changement de statut d’EDF, une financiarisation de La Poste (moins de service public, plus d’activités financières, autorisation de distribuer des crédits immobiliers et bientôt des crédits à la consommation) et le démantèlement de la Banque de France.

L’on assiste sans opposition et successivement à un renflouement d’Alstom bénéficiant de fait et sans condition aux grandes banques, et à une main-mise du groupe anglo-canadien Alcan sur Péchiney, l’un de fleurons de notre industrie.

Face à ces outrages, le manque de combativité actuel du PS aurait été, en d’autres temps, inconcevable.

L’impuissance

Que se passe-t-il donc ? La vérité est que le PS a perdu tout sens de la période où il vit. Il n’existe que dans le déni de réalité et la multiplication des factions - il faudrait plutôt dire des écuries présidentielles. Il s’est inséré, avec François Mitterrand, puis avec Lionel Jospin, dans la règle du jeu et tente de s’y installer le plus confortablement possible, alors que la maison - la grande maison, celle de la France et de l’économie mondiale - brûle.

C’est pourquoi il attire non les ouvriers ou les démunis, mais les classes moyennes supérieures ou les cadres ayant fait, faisant ou espérant faire, carrière.

L’on aurait pu au moins attendre de lui, sinon un projet mobilisateur, du moins une capacité de résistance. Or l’on ne voit rien venir sur la mondialisation - ni plan de lutte, ni programme - rien sur le pacte de stabilité - sinon une condamnation du gouvernement pour ne pas s’y être tenu ! - rien sur le monde de demain.

Certes, Michel Rocard, dans un intéressant article paru dans Le Monde du 28 novembre, invoque « le bon usage d’une Europe sans âme ». Il reconnaît que « nous vivons une époque où l’humanité voit s’installer le deuxième Empire romain de son histoire ». Il affirme « qu’il y a un immense besoin d’une politique étrangère et stratégique militant pour le multilatéralisme, la régulation négociée des affaires mondiales et la limitation de l’hégémonie américaine ». Cependant, il n’a à offrir aucun programme articulé et sombre dans une délectation morbide en phase avec le pessimisme auto-destructeur de notre époque : « Nul au monde ne peut résister militairement au nouvel empire américain. Sa puissance technologique, financière et médiatique lui permet de tenter d’imposer son cruel mais efficace modèle de société partout dans le monde. » Il ne resterait pour lui résister que « le droit », de quoi désespérer ceux qui attendent un sursaut. Dominique Strauss-Kahn parle d’un « socialisme de la production » tout en proclamant son admiration pour Tony Blair et sa mansuétude vis-à-vis du gouvernement Sharon - qui détruisent ce à quoi il affirme tenir ! Il est vrai que DSK est par ailleurs, comme ses amis, un chantre de la « flexibilité sociale ». Quant à Laurent Fabius, il balade l’auditoire tout en labourant les circonscriptions en vue de s’y créer des clientèles.

Que faire ?

Oui, disent les dirigeants actuels du Parti, mais que peut-on faire ? A l’extérieur, nous sommes prisonniers du diktat américain et ne pouvons espérer qu’un changement à l’élection présidentielle de 2004 - là-bas. A l’intérieur, nous sommes en butte à la démagogie du Front national et au harcèlement trotskyste.

Ce n’est même pas faux. Mais à ces contraintes, plus ou moins correctement identifiées, les socialistes n’opposent que leur traitement des problèmes au cas par cas, sans être capables de combattre pour un environnement qui permette de les résoudre en bloc.

Aussi, ils s’avèrent incapables de dénoncer les accointances entre Marine Le Pen et les néo-conservateurs américains, un vrai fascisme à visage faux et fardé. Incapables de montrer que le gouvernement Raffarin présente des initiatives qu’il ne se donne pas les moyens de mettre en œuvre (cf. les grands travaux sans financement). Incapables de dénoncer clairement le dispositif gouvernemental sur les retraites - n’est-il pas très proche de celui auquel pensait Lionel Jospin ? Incapables de remettre en cause un pacte de stabilité qu’ils ont eux-mêmes respecté à la lettre après l’avoir dénoncé en 1996, lorsqu’ils se trouvaient dans l’opposition. Incapables d’imaginer un autre modèle, sinon de poser des rustines sur l’existant. Incapables d’opposer à la démagogie gauchiste ou trotskyste autre chose que le « ils n’ont rien appris de ce siècle » de Laurent Fabius.

Justement, les « socialistes » non plus ! C’est tout le problème ! Ils sont en effet imprégnés jusqu’aux os par le pessimisme culturel du XXème siècle, celui qui est né dans les tranchées de 1914-1918 après l’assassinat de Jaurès et perdure jusqu’à aujourd’hui, malgré la reconstruction des Trente glorieuses.

Que faire ? Offrir aux Français, qui l’attendent, une mission à l’échelle de leur pays, de l’Europe et du monde. Dire non au pacte de stabilité, non au Fonds monétaire international, non à la Banque centrale européenne, et se battre pour un nouvel ordre économique mondial permettant de faire sauter le carcan. Proposer et se battre pour une politique de grands travaux à l’échelle du monde, avec un système public d’émission de crédits à faible taux et à long terme, un système de change fixes, une mise en règlement judiciaire des agents financiers spéculateurs et la création d’emplois qualifiés associés à ce projet.

Utopique ? Sommes-nous trop petits, trop faibles pour l’entreprendre ? Peu conforme au droit canon des institutions internationales et de l’Ecole nationale d’administration réunies ? Mais c’est justement le fait de s’être laissé paralyser par de telles questions qui a livré les dirigeants du PS à l’impuissance, au ridicule social et aux compromissions. En effet, il faut faire sauter le carcan financier pour pouvoir mener une politique de recherche, d’éducation et de santé publiques dignes de ce nom en France et en Europe. Il faut offrir une alternative au monde pour pouvoir combattre l’ordre militaro-financier des fascistes néo-conservateurs. L’on ne peut attendre une délivrance - Godot-Dean ? - en attendant passivement le résultat des élections présidentielles américaines de 2004 ; il faut tremper la chemise, comme un ouvrier sait le faire. Cela signifie bien examiner qui, aux Etats-Unis, représente une politique économique, sociale et internationale dans l’intérêt de la gauche et de la France, et s’associer à ses efforts. C’est le cas de Lyndon LaRouche. Il serait temps que les dirigeants socialistes prennent publiquement acte de son existence.

Sans cela, les socialistes ne seront au mieux qu’un sparadrap dans le monde inacceptable et inhumain décrit par Michel Rocard - qui, au moins, a le mérite de le décrire - et, au pire, qu’une composante, réticente mais active, de la machine à détruire.