Les analyses de Jacques Cheminade

Face aux faucons américains, la France et l’Allemagne doivent reprendre l’initiative !

dimanche 18 avril 2004, par Jacques Cheminade

Après la chute de Bagdad, la France et l’Allemagne sont arrivées à un moment décisif de leur histoire. Ou bien elles entérinent l’occupation de l’Irak et consacrent le succès des faucons de l’administration Bush, ou bien elles entament le combat pour un nouvel ordre économique et monétaire international seul susceptible d’extirper les racines de la guerre. Ce choix décisif ne peut être remis aux calendes grecques. Paris, Berlin et Moscou doivent sans délai sortir du dilemme par le haut, le « front du refus » de la guerre se transformant en une alliance positive pour la paix, par le développement mutuel des nations et des peuples souverains.

Voilà l’objectif&n,bsp ; ; il a le mérite d’être aujourd’hui particulièrement clair. Ne pas chercher à l’atteindre condamnerait Jacques Chirac, Gerard Schröder et Vladimir Poutine à la poubelle des occasions perdues.

ONU ou gauleiter américain ?

Nos paroles ne peuvent qu’être particulièrement dures car elles doivent être mesurées à l’aune du défi. Il ne s’agit de rien de moins que de créer l’environnement international permettant de changer la politique américaine, donc mondiale, et d’éliminer les faucons de la secte Bush.

« Impossible », « utopique », « ils sont trop forts », « il faut s’adapter », répondront certains. M. Pierre Rousselin, dans l’éditorial du Figaro du 11 avril, écrit que ce sommet (de Saint-Pétersbourg) devrait être « l’occasion de remettre les pendules à l’heure et de prendre acte avec humilité de la nouvelle donne ». Ce serait une terrible erreur, car elle reposerait sur une méconnaissance absolue de la véritable nature des faucons et de leur politique. Pour eux, l’Irak n’est qu’une étape. Leur but est de porter le fer en Syrie et en Iran, comme l’a dit crûment Donald Rumsfeld avec l’approbation de George Bush, (« Good ! »), de bousculer l’Egypte et l’Arabie saoudite et d’imposer la loi du plus fort à toutes les régions du monde, à commencer par la péninsule coréenne. Certains faucons plaident déjà pour un bombardement rapide du réacteur nucléaire de la Corée du Nord ; un Michael Ledeen évoque sans retenue une guerre entre les Etats-Unis et la Turquie ; d’autres rêvent d’un « siècle américain « s’imposant à la Chine, à la Russie et à toute l’Europe. James Woolsey, ancien patron de la CIA, devenu conseiller du Pentagone, a dit avec sa brutalité coutumière que « l’Irak n’était que le début de la Quatrième Guerre mondiale ».

Avec des individus de cette nature, il est illusoire de prétendre établir des « relations de confiance » ou passer des compromis diplomatiques. Leur vision idéologique du monde, leur volonté impériale de domination et leur fuite en avant dans des rapports de force militaires et policiers face à l’effondrement du système financier et monétaire international sont de même nature que les réactions d’Hitler ou de Mussolini au cours des années trente, même si eux ont aujourd’hui les mots « démocratie » et « liberté » à la bouche. Leur recours à ces belles paroles sont une véritable « novlangue », comme Orwell la décrivait dans son 1984 : elles ne servent qu’à manipuler les esprits faibles et ne sont jamais suivies des actes qu’elles désignent, mais de leur exact contraire. Le fait que beaucoup d’entre eux aient été formés par le plumitif Leo Strauss (protégé de Carl Schmitt, le théoricien de l’espace vital et du racisme hitlérien) à l’université de Chicago, ou par ses disciples, est significatif : ils se sont forgés une identité de « maîtres » manipulant les ombres sur les murs de la caverne de Platon et , pour les plus extrêmes d’entre eux, de « maîtres du monde », justifiés par leurs succès militaires et la peur qu’ils imposent.

Dans ces conditions, tant que ces hommes seront en place à Washington, toute discussion sur la nature du contrôle de la reconstruction de l’Irak revient à discourir sur les mérites de la raison dans un asile d’aliénés.

Certes, Jacques Chirac a eu formellement raison de déclarer dans un point presse, le mardi 8 avril, que « nous ne sommes plus à une époque ou un ou deux pays pouvaient assumer le sort d’un autre pays. Il appartient donc, a-t-il poursuivi, aux Nations unies et à elles seules d’assurer la reconstruction politique, économique, humanitaire et administrative de l’Irak ». Cependant, il s’agit d’un discours qui ne s’adresse malheureusement pas à la réalité de la situation. Le « modéré » Colin Powell y a répondu d’avance, le 7 avril : « Le commandement militaire (américain, ndlr) sera en charge du pouvoir pendant un certain temps afin de stabiliser le pays. Les membres de la coalition ont pris des risques politiques dans la guerre, ils ont engagé les finances publiques de leur pays, en ont payé le prix en vies humaines et ils doivent par conséquent assurer un rôle central dans la phase de transition, de reconstruction et de mise en place d’un gouvernement représentatif du peuple irakien. »

Jacques Chirac ne peut donc prétendre se battre sur le terrain défini par l’ennemi : entériner l’occupation américaine avec ou sans une certaine dose d’ONU ne change rien à rien.

Ceux qui ont utilisé un déluge de feu face à la moindre menace et laissé assassiner des civils, des journalistes et des représentants de la Croix rouge - « C’est le meilleur, c’est une machine à tuer », a dit le lieutenant-colonel américain en tapant sur l’épaule de son subordonné ayant tué de sang froid deux cameramen et blessé grièvement trois journalistes sur le balcon de l’hôtel Palestine, à Bagdad (cité par Le Figaro du 11 avril, page 2) - ne peuvent être des interlocuteurs, quelle que soit la formule administrative choisie. Qu’ils assaisonnent leurs crimes de prières hypocrites ne fait qu’aggraver leur cas.

Changer de terrain, élever le débat

Pour combattre cette nouvelle croisade et cet impérialisme pseudo-biblique, il faut revenir au terrain au véritable combat, celui sur lequel les faucons sont vulnérables : la dépression financière, monétaire et économique international. Jean-Pierre Raffarin l’a finalement admis : « Nous sommes face à une rupture de croissance comme nous n’en avons jamais connue dans notre histoire récente. » La Commission européenne et l’Observatoire français des conjonctures économiques - et même le FMI - ont révisé leurs chiffres à la baisse. Là se trouve la racine du mal, la source de la guerre, qu’il faut extirper.

Dans son éditorial du 2 avril, intitulé « le scénario noir », Le Monde constate lui aussi que « les structures de l’économie mondiale sont plus déséquilibrées, indépendamment de la guerre, qu’on ne l’avait cru ». Et il ajoute : « Il faudrait, face à un scénario noir, une concertation mondiale, notamment monétaire ».

Sans prendre de telles pincettes diplomatiques, nous répéterons ici que le système actuel est en voie d’effondrement et que tous ses acteurs financiers se trouvent, par rapport au poids de leurs dettes et, plus généralement, de leurs passifs exigibles, virtuellement en faillite. Comme au cours des années trente - c’est pourquoi nous avons cité précédemment Hitler et Mussolini, non à titre de symbole, mais de réalité - lorsque la loi du plus fort ne peut plus prévaloir par le jeu des marchés et les manipulations des médias, ceux qui rêvent d’un empire pratiquent la fuite en avant vers la guerre et le pillage.

La France et l’Allemagne, avec l’appui - sur ce point, fondamental - de la Russie, de l’Inde et de la Chine, ont le pouvoir de présenter aux yeux du monde l’alternative : un nouveau Bretton Woods, remettant l’argent public au service du travail et de la production, et un Pont terrestre eurasiatique, de l’Atlantique à la mer de Chine, définissant un domaine de grands projets pour rétablir les fondements d’une croissance partagée. Il faut faire vite. Sans attendre, car la course se trouve engagée entre une logique suicidaire de guerre et une dynamique de paix par le développement mutuel.

Nous n’avons rien à perdre en prenant des risques. D’autant plus qu’aux Etats-Unis, des échos favorables répondraient immédiatement à un tel projet - dont Lyndon LaRouche, l’homme politique américain qui est le principal opposant des faucons, a été le concepteur et le défenseur.

Le « problème français » (et « allemand ») est que les Chirac ou les Schröder ont bâti leur carrière et leur succès dans un système donné dont, pour survivre, ils doivent désormais sortir. Dans le cadre de ce système, LaRouche, qui reprend l’impulsion des politiques de Roosevelt et de Martin Luther King, ne paraissait, jusqu’à aujourd’hui, avoir droit à l’existence. Marianne, dans son numéro du 7 au 13 avril, déplore ainsi que « faute d’un leader démocrate capable d’incarner l’autre Amérique, les Etats-Unis n’apparaissent plus que sous deux formes : Bush et Rumsfeld d’un côté et, de l’autre, ceux qui manifestent contre eux ».

C’est une expression particulièrement clinique d’un mal français très répandu : on avale les couleuvres livrées par les médias officiels américains ou les « sources informées », sans tenir compte de la réalité. Et on proclame que ce qui existe n’est pas, puisque le « système » d’où l’on parle le rejette. Donner la parole à LaRouche devrait donc faire partie d’une stratégie française sensible à nos propres intérêts nationaux. Car la presse américaine qui, aux ordres de la cellule de propagande noire du Pentagone, ne cesse de calomnier la France et les Français, est composée par les mêmes hommes et les mêmes intérêts qui ont tenté de noircir ou d’effacer de l’histoire la personne de LaRouche.

Hors des Etats-Unis, Chirac et Schröder, au lieu de tenir des paroles mielleuses vis-à-vis des « courageux » alliés anglo-américains et d’en appeler à l’entremetteur Blair, devraient aussi regarder du côté de la Russie. Là, Sergueï Glaziev, député à la Douma, principal conseiller économique de l’opposition et ami politique de LaRouche et de moi-même, vient de souligner que la principale raison de la guerre contre l’Irak n’est pas le pétrole en tant que tel, mais la crise générale du système financier international. Dans son interview donnée à la télévision russe (Canal 3), il a proposé que la Russie « aille à la rencontre de l’Europe » et « qu’à mi-chemin, l’euro et le rouble soient pris pour base de leurs échanges ». Il a souligné que les pays ayant recours au dollar financent aujourd’hui la guerre contre l’Irak. « Si nous voulons donc arrêter la guerre, nous devons proposer aux pays qui s’opposent à cette agression de passer à un nouveau système monétaire international. Il ne s’agirait pas d’enterrer le dollar, mais de revenir au moins à la situation prévalant avant 1971, lorsque les Américains ont mis fin à leur convertibilité du dollar en or et commencé à imposer leur devise au monde entier par la force. »

Nous avons donc des alliés. Nous ne sommes pas seuls, comme un chœur de pleureuses intéressé voudrait nous le faire croire.

Jacques Chirac devrait faire taire les Madelin, Barrot, Morin, de Courson et autres Goasguen de sa propre majorité et passer à une vitesse supérieure :

1) Exiger la présence des inspecteurs en désarmement de l’ONU en Irak, pour vérifier l’absence d’armes de destruction massive et, si c’est le cas, faire proclamer par les Nations unies que la guerre de la coalition anglo-américaine était non seulement illégale, mais non fondée au regard des buts mêmes de la résolution 1441 des Nations unies.

2) Le Conseil de sécurité des Nations unies étant bloqué par le veto des Américains et des Britanniques, avoir recours à la résolution 377, votée pendant la guerre de Corée, qui, en cas de ce blocage, permet à une simple majorité des Etats membres ou à sept Etats membres du Conseil de sécurité de saisir l’Assemblée générale. Celle-ci doit ainsi devenir le forum d’une « sortie de guerre », face à la perspective de guerre préventive illimitée des faucons américains.

3) Là devraient être débattus les fondements d’un nouvel ordre économique et monétaire international - un nouveau Bretton Woods pour la paix.

Paris et Berlin deviendraient pratiquement invincibles s’ils posaient le défi en ces termes, face à l’opinion mondiale et, en particulier, américaine, car nous représenterions le droit international et la justice. L’Europe ne doit pas avoir peur de reprendre l’initiative, depuis longtemps perdue, pour créer les conditions d’un autre monde.

Faut-il beaucoup de courage ? Un peu sans doute, mais en considérant que l’opinion mondiale, et en particulier américaine, se trouverait alors derrière nous et que les « faucons mouillés » de la Maison Blanche ont des cervelles de plomb et des pieds d’argile.