Les analyses de Jacques Cheminade

Arrêtons l’Etat policier en France !

jeudi 19 avril 2007, par Jacques Cheminade

Les analyses de Jacques Cheminade sont publiées tous les quinze jours dans le journal Nouvelle Solidarité, sur www.solidariteetprogres.org ainsi que www.cheminade2007.org, et consitutent le principal regard du candidat à la présidentielle de 2007 sur l’actualité française et internationale.

Un proche de Perben en prison

Jean-Yves Aubert, administrateur judiciaire à Chalon-sur-Saône, a été condamné lundi, pour malversations, à deux ans de prison ferme, assortis d’un mandat de dépôt à l’audience. Rarissime dans les affaires financière, cette décision est aussi un camouflet pour Dominique Perben, député de Chalon, qui avait remis la Légion d’honneur à Jean-Yves Aubert, qui avait été le trésorier de ses campagnes électorales.

Libération du 18 avril 2007

La France s’est d’ores et déjà donné les moyens d’être un Etat policier. Si Nicolas Sarkozy est élu Président de la République, ce qui paraît aujourd’hui vraisemblable, il disposera ainsi d’une arme de destruction massive. Qu’il en fasse ou non usage dépend de chacun d’entre nous. En l’empêchant, par notre vote, d’accéder au pouvoir et si par malheur il y accède, en défendant par tous les moyens légaux l’ordre républicain que la nature de sa politique d’austérité économique et sociale, autrement inapplicable, le poussera fatalement à enfreindre. C’est donc à une résistance organisée que nous appelons ici, en montrant la panoplie d’instruments potentiellement liberticides dont un futur gouvernement pourrait faire usage. Pour inciter chaque lecteur à les combattre et à imposer leur abolition. Il ne s’agit pas d’une rupture avec telle ou telle mesure ou disposition particulière, mais d’un renversement absolu de tendance pour sauver notre indépendance nationale et nos libertés.

La loi Perben II

Dans un contexte polémique, lors des élections cantonales de mars 2004 à Lyon, plusieurs candidats de notre parti, Solidarité et Progrès, avaient mis en cause un dispositif de la loi Perben II peu connu et aux implications scandaleuses : celui qui autorise les services de puissances étrangères à opérer en France, sous couvert « d’équipes communes d’enquête ». Le chapitre II du titre I de la loi, « dispositions concernant la lutte contre la délinquance et la liberté internationales », autorise la création par l’autorité judiciaire compétente « d’équipes communes d’enquête » entre la France et les autres Etats membres de l’Union européenne, constituées avec l’accord préalable du ministre de la Justice. En fait, « les agents étrangers détachés par un autre Etat membre » peuvent avoir pour mission, sur toute l’étendue du territoire national, de « constater tous crimes, délits ou contraventions et d’en donner procès verbal, au besoin dans les formes prévues par le droit de leur Etat ». En outre, ils peuvent recevoir par procès verbal « des renseignements sur les faits en cause, au besoin dans les formes prévues par le droit de leur Etat » et « de procéder à des surveillances et s’ils sont spécialement habilités à cette fin, à des infiltrations (...) »
Cela ne concerne, dira-t-on, que les Etats de l’Union européenne. Eh bien non, car le chapitre III de la loi, concernant des « dispositions propres à l’entraide entre la France et certains Etats » prévoit que les dispositions précédentes (du chapitre II) « sont applicables aux demandes d’entraide entre la France et les autres Etats partie à toute convention comportant des stipulations similaires à celles de la convention du 29 mai 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne ». En clair, cela concerne les Etats-Unis !

Ainsi, les services américains (CIA et FBI) et britanniques (MI5 et MI6) peuvent opérer sur le territoire français, suivant le droit anglais ou américain, avec le simple accord préalable du ministre de la Justice !

Ce texte a été négocié par Dominique Perben et John Ashcroft, alors ministre de la Justice américain et auteur de la loi Patriot II. Lié à des intérêts racistes du Sud américain (Southern Partisan) et accusé d’être le « Torquemada de la loi américaine » (une allusion aux méthodes de l’Inquisition espagnole) par le « père » du journalisme américain, Walter Cronkite, John Ashcroft représentait (il n’est plus aujourd’hui ministre) le pire de l’administration Bush, ce qui n’est pas peu dire. Or le 11 mai 2004, à une conférence organisée au Four Seasons Hotel, à Washington, Dominique Perben a indiqué qu’un « aspect intéressant » de sa loi était « la possibilité offerte (...) à des services étrangers de continuer des infiltrations sur le territoire français ». En outre, au journaliste lui demandant si la France avait quelque chose de semblable au Patriot Act, Dominique Perben a répondu : « Je crois pouvoir dire qu’à ce point, grâce tout particulièrement la loi du 9 mars, nous disposons de l’arsenal judiciaire permettant de combattre le terrorisme même avant qu’une attaque se produise. »

Le tract des candidats de Solidarité et Progrès, intitulé « Non à Perben, arrêtons le hold-up du FBI », dénonçait cet aspect des choses et la collaboration entre Perben et Ashcroft en montrant côte à côte les photos d’une poignée de mains entre les deux hommes et de celle entre Philippe Pétain et Adolf Hitler à Montoire. Mauvais goût, excès, « diffamation envers le Garde des Sceaux, ministre de la Justice ès qualité de membre du gouvernement », le Tribunal de grande instance de Lyon, par jugement correctionnel du 5 octobre 2004, confirmé par celui de la Cour d’appel de Lyon du 9 février 2005, me condamna personnellement à 15 000 euros d’amende (deux fois mes revenus annuels d’alors) et M. Eric Sauzé, responsable de notre antenne lyonnaise, à 10 000 euros. Ainsi, en tant que président de Solidarité et Progrès, j’ai été personnellement reconnu coupable d’un tract produit dans des circonstances électorales et que je n’avais pas signé, alors que, par exemple, le numéro du 10 novembre 2004 de Charlie Hebdo publiait une caricature de Jacques Chirac serrant la main à George Bush avec la légende « nouvelle poignée de main de Montoire », illustrant un article intitulé « Bush est élu : collaborons », sans qu’aucune poursuite n’ait été engagée.
Je suis donc, ayant été personnellement choisi pour en pâtir, bien placé pour mesurer les conséquences scandaleuses que prévoient les textes dont dispose le gouvernement et ce qu’il en coûte de s’y opposer.

En outre, rappelons ici que quelques « avions de la CIA » ont bel et bien survolé le territoire français (et certains s’y seraient même posés) alors qu’ils transportaient des « suspects de terrorisme » aux mains du gouvernement américain, délocalisés vers des Etats complaisants pratiquant l’extraction d’aveux par des moyens expéditifs. MM. Sarkozy et Perben étant à l’époque respectivement ministres de l’Intérieur et de la Justice, la question de leur responsabilité se pose dans une décision qui est cohérente avec l’esprit de la loi Perben II.

Nous ne nous étendrons pas ici sur d’autres dispositifs de la loi, qui permettent de punir sévèrement de petits délinquants et d’admonester sans trop de conséquences M. Jean-Luc Delarue, ni sur certaines initiatives de M. Perben comme celle consistant à autoriser la saisie et la vente de biens de prévenus avant qu’ils aient été jugés, une sanction infligée avant toute condamnation et avant même toute instruction. L’usage que l’on pourrait faire de ce texte est terriblement inquiétant : par exemple, dès le début de l’enquête sur les lycées de l’Ile-de-France, la police aurait pu saisir les comptes des partis politiques impliqués, alors que la justice les a par la suite blanchis...

Le passeport électronique et les fichiers de suspects

Le passeport « électronique », imposé à la France par l’administration Cheney-Bush, où sont rassemblées les données biométriques (empreinte digitale, signature de l’iris et/ou numérisation de la face), permet pratiquement de contrôler chaque individu en tout lieu de la planète. De plus, les données inscrites sur la puce du passeport peuvent être facilement copiées à moins de dix mètres, ce qui ouvre toute grande la porte à la création d’identités fictives, permettant au besoin de lancer des poursuites contre des personnes totalement étrangères à des actes éventuellement commis.

Le fichage ADN, réservé à l’origine aux seuls délinquants et grands criminels, a été étendu par la loi Perben 2, qui autorise le prélèvement autoritaire sur tous les détenus, puis encore davantage par Nicolas Sarkozy, puisque ce prélèvement peut désormais être fait sur des personnes mises en garde à vue pour vingt-quatre heures ou même moins : ainsi, des manifestants contre le CPE arrêtés pendant quelques heures ont été contraints à le subir.

On va ainsi vers un élargissement du contrôle à toute la population, avec un croisement des données et des moyens. Déjà Alex Türk, président de la Commission informatique et libertés (CNIL) propose la « légalisation des fichiers de suspects » créés par les sociétés privées. Il demande également l’interconnexion des fichiers de suspects STIC (de police) et JUDEX (gendarmerie), malgré leur illégalité selon les directives de 1978 de la CNIL elle-même. Aujourd’hui, déjà, les informations de JUDEX et du STIC, auxquelles peuvent avoir accès environ 90 000 policiers et gendarmes, sont transmises par des fonctionnaires à des collègues qui se sont recyclés dans le privé et spécialisés dans la collecte de données, qu’ils communiquent aux entreprises. C’est le début de « Big Brother » : pour une simple contravention, ou le dépôt d’une plainte (même une main courante), vous êtes inscrit sur le fichier, il est communiqué (sans précision sur la nature des faits) et vous pouvez avoir des ennuis. L’arme est chargée, il suffit d’appuyer sur la gâchette.

DMP et DLO

La « collecte de données » par le nouveau Léviathan s’étend maintenant aux informations sur la santé des personnes, malgré le code de déontologie qui interdit aux médecins la divulgation de données médicales des dossiers de leurs patients sans leur accord explicite.

Ainsi, le dossier médical personnel (DMP), concrétisant les données médicales d’un patient, est expérimenté localement à Lyon et Annecy depuis le 8 décembre 2006. Xavier Bertrand, porte-parole de Nicolas Sarkozy, avait préparé un projet de décret qu’il n’a pu faire passer avant son départ du gouvernement. Avec une présidence Sarkozy, ce ne serait que partie remise. Il permettrait l’accès au dossier médical à toute personne ou organisme étrangers aux milieux de santé, d’autant plus qu’il n’existe pas pour le moment de solution efficace pour sécuriser ce type de fichier.

De plus, la loi Dalo sur le droit au logement opposable, adoptée en toute urgence le 5 mars 2007, permet au bailleur d’avoir accès au dossier médical personnel des candidats à la location d’appartements en cas de « demande de logement adapté et spécifique ».

Il s’agit d’un premier coup porté à la déontologie médicale pour des raisons financières et politiques.

Machines à voter

L’introduction de machines à voter s’inscrit dans une même logique de « rationalisation » permettant une manipulation plus ou moins en douceur. Aux présidentielles, déjà un million et demi d’électeurs auront recours à ce mode de vote, sujet à toutes les dérives. Opaque et invérifiable, il est un danger pour notre démocratie. En effet :

  • à aucun moment l’électeur ne peut vérifier que son vote a bien été pris en compte ;
  • le citoyen ne peut participer au dépouillement ;
  • les erreurs de l’ordinateur sont toujours possibles, et on ne peut vérifier s’il a bien fonctionné ;
  • aucun recours n’est possible s’il n’y a pas de trace écrite.
    D’ores et déjà, les électeurs d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) ont déposé un recours contre ces machines devant le tribunal administratif de Versailles. Le représentant en France de la société américaine ES&S (Election System and Software), fabricant de la machine iVotronic choisie à Issy n’a pu être joint... et pour cause, car cette même entreprise, dirigée par un néo-conservateur notoire, a obtenu des résultats curieux, à l’opposé de tous les sondages et de tous les votes précédents, notamment dans l’Etat américain de Géorgie. La preuve que les machines peuvent être manipulées à distance a été fait aux Pays-Bas.
Sondages

Les abus de sondages, effectués sur des échantillons insuffisants, dans des conditions scientifiquement contestables, avec des pondérations opaques et en absence de tout contrôle véritable, constituent l’un des éléments de manipulation des électeurs tenus dans la passivité par des médias dépendant de l’oligarchie financière La plupart des sondages sont non seulement organisés par des instituts de sondage (Sofres, avec le puissant fonds d’investissement américain Fidelity, Ipsos, avec Pinault et Fidelity, BVA, avec Resalliance et Erip, d’Edmond de Rothschild, Ifop, avec la présidente du Medef, Laurence Parisot) aux mains de puissants intérêts financiers, mais ils sont insérés dans des questionnaires à caractère commercial pour les « rentabiliser ». Bref, ces sondages, comme l’aurait dit Charles Pasqua, n’engagent que ceux qui se laissent berner par leur lecture.

Contrôle social

Nicolas Sarkoy a révélé une conception de la politique et de l’existence humaine qui fait froid dans le dos lorsqu’on comprend qu’elle s’appuierait sur les instruments de contrôle que nous venons de mentionner.

Dans son entretien accordé au numéro d’avril de Philosophie Magazine, il déclare en effet successivement : « J’inclinerais à penser que l’on naît pédophile (...) Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année (...) parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable (...) La part de l’inné est immense ».

Ces affirmations sont typiques des thèses néo-conservatrices américaines, avec des relents d’eugénisme européen, qui reviennent à réduire l’humain au biologique.

Il est logique que dans cette vision, une élite, responsable de par sa position, contrôle le reste de la société comme un vaste parc zoologique dans lequel il faut faire régner l’ordre. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs bel et bien préconisé, il y a un an, un dépistage « dès la maternelle » (3 ans) des troubles de comportement chez l’enfant pour prendre soin des futurs délinquants. C’est la société d’Orwell et du Meilleur des mondes, dans laquelle chaque être humain se voit coller une étiquette dans un destin figé d’avance, avec les forces de l’ordre nécessaires pour que chacun reste à sa place.

C’est contre ce cauchemar que nous devons résister.

Une nouvelle résistance

Notre projet minimum de combat est le suivant :

  • expurger la loi Perben II de toutes ses dispositions liberticides et contraires à notre souveraineté nationale ;
  • supprimer le passeport électronique, limiter les fichiers ADN aux grands délinquants et aux délinquants sexuels ;
  • interdire la diffusion des fichiers STIC et JUDEX sous peine de sanctions sévères ;
  • interdire toute diffusion des données médicales personnelles à des individus ou à des régimes autres que médicaux ;
  • introduire un moratoire sur le recours aux machines à voter tant qu’au minimum, les ordinateurs ne garderont pas une trace physique des votes et que les logiciels ne pourront pas être examinés par les autorités publiques (principe de la priorité du public sur le privé) ;
  • interdiction de tout sondage dans les quatre semaines précédant toute élection et contrôle des sondeurs par un organismes d’Etat indépendant, comme l’INSEE, avec obligation d’afficher la liste des financeurs ;
  • financer les travaux d’historiens, ainsi que leur diffusion auprès du grand public, sur les origines historiques de l’eugénisme et la réduction de l’humain (le pensant) au biologique.

Cependant, par delà ce programme de combat, c’est une conception générale de l’homme - la liberté de créer, de comprendre et d’améliorer les lois de univers pour le bien commun de son espèce - qui doit être politiquement défendue contre tout outrage. Ce combat, aujourd’hui, passe par la lutte contre Nicolas Sarkozy et aussi François Bayrou, qui vient de recevoir le soutien de Michel Camdessus, l’ancien directeur général du FMI. Quand les atteintes aux libertés deviennent insupportables, il faut, disait le grand poète allemande Friedrich Schiller, faire descendre sur terre « ses droits éternels qui sont suspendus là-haut, inaliénables et indestructibles comme les étoiles elles-mêmes ».