Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Redonner sens

mardi 11 juin 2002

La campagne des élections législatives s’est déroulée dans un climat irréel, sans débats, sans projets, sans grandes réunions publiques, comme si les votes du 21 avril et du 5 mai n’avaient pas eu lieu, comme si la crise monétaire, financière et stratégique internationale avait disparu des écrans.

La première conséquence de ce déni de réalité a été un taux record d’abstentions, et la seconde, le succès de la droite parlementaire. Dans un univers assoupi, le principal responsable de l’anesthésie a logiquement gagné, par un chantage à la cohabitation et en égrenant des généralités repues. Il est vrai que la maison Raffarin n’a trouvé face à elle qu’une gauche résignée et rafistolée, une extrême-gauche en déconfiture, un pôle républicain en voie de disparition prématurée et une extrême-droite contrainte d’afficher son vrai visage.

Au soir de sa vie politique, sa majorité même prive ainsi Jacques Chirac de toute excuse. Or si celle-ci continue comme elle va, ou bien elle ne fera rien, ou bien elle fera pire, en vendant sous le nom de réforme « son adaptation à la loi de la jungle libérale ».

Ce qui signifie, en clair, la fin de l’exception française de l’après-guerre : économie volontariste, service public et protection sociale. Ce qui signifie, surtout, se soumettre totalement à l’oligarchie anglo-américaine. D’ores et déjà, l’Europe adhère à la vision états-unienne de réforme de l’OTAN - au moment même où le président Bush expose une inadmissible doctrine de guerre préventive - et la France adopte une logique mondiale et européenne de concurrence, de privatisations et de libre circulation des capitaux contraire à l’intérêt non seulement des Français mais de tous les peuples.

Pour ce qui est de la gauche, plurielle ou unie, l’on ne peut rien attendre de ses dirigeants actuels. Ils se sont eux-mêmes déconsidérés par leurs discours socio-libéraux, leur mauvaise foi et la manière dont ils se sont laissés asphyxier.

Le meilleur que l’on puisse trouver aujourd’hui en France est une multiplicité de bonnes pratiques de terrain. Il s’agit de les identifier, de les étudier, de les évaluer, de se battre pour elles et de les généraliser. Notre pays a besoin de moins de lois et de plus de courage. Cependant, ces pratiques ne peuvent être soutenues et se développer que dans le cadre d’une autre politique, d’une autre dynamique nationale et internationale, dont nous avons défini l’horizon : nouveau Bretton Woods et Pont terrestre eurasiatique.

Seul, en effet, un projet économique et social mobilisateur, national et international, peut donner sens et cohérence à la diversité des pratiques et rendre justice aux efforts de ceux qui se battent hors des sentiers battus. C’est par cette rencontre de la base et du sommet que le défi de notre époque peut et doit être relevé.