Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Erasmus et les canaux vénitiens

vendredi 8 juin 2001

Les canaux mal récurés de Venise laissent parfois monter de leurs fonds vaseux des bulles d’air qui, lorsqu’elles éclatent à la surface, dégagent une terrible puanteur. Si nous ne voulons pas que la campagne présidentielle de 2002 véhicule de tels parfums, il est temps de nous ressaisir.

Comment faire, répètent ceux qui vivent au sein d’un système mercantile où tout se vend et tout s’achète « spot », dans l’instant ? Eh bien, justement, en sortant de ce système pour s’élever au-dessus des puanteurs qui, à la longue, deviendraient mortelles pour tous.

Les Françaises et les Français doivent retrouver un sens des solidarités collectives, d’une générosité ou, plus simplement, de la gentillesses humaine la plus élémentaire, au lieu de rester des voyeurs procéduriers. La France, elle, a un rôle essentiel à jouer dans le monde, qu’elle peut très vite retrouver en se battant pour un ordre de justice, qui redonne priorité au travail et à la production sur les spéculations, l’étourdissement des images et le refus des responsabilités.

Il s’agit d’une révolution, par laquelle d’abord nous devons reconstruire l’Europe. Prenons un exemple immédiat : il n’y aura pas d’Europe, malgré tous les débats hypocrites et impuissants, tant qu’un grand dessein commun d’éducation et d’excellence n’existera pas, tant qu’une culture commune ne sera pas suscitée. Or si, aujourd’hui, trente-deux pays viennent de se réunir à Prague pour réaliser d’ici à 2010 l’espace universitaire européen, les moyens, eux, sont dérisoires. Actuellement, en France, des programmes déjà anciens comme Erasmus et Socrates ne profitent qu’à 17 000 étudiants sur près de 2 millions.

Pour aller plus loin, il faut des moyens. Rappelons-nous ce que Colbert écrivait à son fils Seignelay : « Il est inutile d’adresser des instructions aux intendants si l’on n’a pas conjointement donné ordre aux trésoriers d’assigner les fonds nécessaires. » Reste que pour mobiliser ces fonds, il faut aujourd’hui un projet commun et mutuellement bénéficiaire : celui, conjoint, d’une éducation européenne à la frontière des savoirs et d’une politique économique européenne portée par des grands travaux d’infrastructure à l’échelle de l’Eurasie. C’est ce que je défendrai lors des présidentielles, pour éloigner mon pays de ses miasmes morbides.