Les analyses de Jacques Cheminade

Nouvelle définition du patriotisme économique : donner aux riches pour sauver l’emploi

mardi 25 octobre 2005, par Jacques Cheminade

Les analyses de Jacques Cheminade sont publiées tous les quinze jours dans le journal Nouvelle Solidarité, sur www.solidariteetprogres.org ainsi que www.cheminade2007.org, et consitutent le principal regard du candidat à la présidentielle de 2007 sur l’actualité française et internationale.

Pour éviter les délocalisations et sauver l’emploi, selon Thierry Breton, notre ministre de L’Economie et des Finances, « nous avons besoin au sein de nos entreprises d’avoir un capital stabilisé ». Les détenteurs d’actions, et en particulier les plus riches d’entre eux, vont donc, suivant cette imparable logique, bénéficier de cadeaux fiscaux à l’américaine. Les classes populaires qui, elles, n’ont pas les mêmes moyens de manifester leur patriotisme, seront l’hiver venu fort dépourvues. Voilà donc un gouvernement qui se prétend, du moins en la personne de son Premier ministre, héritier du « gaullisme social » et qui pratique dans les faits les méthodes du monétarisme anglo-saxon : assister très libéralement les riches en espérant qu’ils consentent à faire l’aumône aux autres.

Cette politique, en raison d’une coïncidence révélatrice, s’est manifestée dans quatre domaines différents de notre fiscalité.

Tout d’abord, Thierry Breton a annoncé le 20 octobre au Sénat qu’il inscrirait dans le prochain collectif budgétaire une exonération totale de l’impôt sur les plus-values mobilières après une période de détention des titres de huit ans. Jusqu’à cinq ans, ces plus-values resteront taxées à 15 %, mais à partir de six ans, elles bénéficieront d’une exonération progressive d’un tiers par année de détention. Certes, il faudra toujours s’acquitter des prélèvements sociaux de 11 %, mais le cadeau de 15 % est tout de même considérable. En effet, pour avoir droit à une exonération fiscale sur ses titres, il faut aujourd’hui avoir ouvert un plan d’épargne en actions (PEA). Cependant, ce PEA comporte un plafond de 132 000 euros. Ce que Breton ne semble pas prévoir : le pourcentage à payer sera le même pour le petit actionnaire que pour celui qui possède des millions, désormais sans plafond. Nous dirons même plus : c’est la raison d’être du projet de favoriser ce dernier !

Ensuite, il a été prouvé par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) que la récente réforme fiscale de Dominique de Villepin ne profitera pas en priorité aux classes moyennes, contrairement à ce qu’il a affirmé et confirmant ce que nous avons été ici les premiers à écrire. En effet, auparavant l’abattement de 20 % sur les revenus était plafonné à 117 500 euros. Aujourd’hui, en même temps que son intégration au futur barème, son plafond a disparu. En clair, tous les revenus au-dessus de cette barre vont voir leur imposition baisser de 20 % ! « Pour les plus hauts revenus, l’avantage de la réforme est simple à calculer : leur taux d’imposition passe pratiquement de 48 % du revenu annuel à 40 % », constate Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE.

Ensuite encore, les membres UMP et UDF de la Commission des finances de l’Assemblée nationale ont adopté un dispositif instituant un abattement de 75 % de l’impôt sur la fortune (ISF) sur la valeur des actions nominatives détenues par les salariés et les dirigeants actuels ou retraités d’une entreprise, dès lors qu’ils auront possédé leurs actions pendant plus de six ans. L’objectif est de favoriser les grands patrons ou cadres dirigeants pour éviter leurs délocalisations fiscales, principalement en Belgique. Autrement dit, dans le cadre de la libération des mouvements de capitaux au sein de l’Union européenne, on cède au chantage des plus fortunés !

Enfin, comme l’a souligné Thierry Breton, « nous instituons la garantie pour les particuliers qu’ils ne pourront pas payer (en impôts, Nda) plus de 60 % de leurs revenus, et pour les entreprises qu’elles ne seront pas imposées au delà de 3,5 % de leur valeur ajoutée au titre de la taxe professionnelle. » Cela, une fois de plus, favorise les plus « gros », tandis que ce plafonnement des impôts directs et de la taxe professionnelle réduit à néant l’autonomie fiscale des communes, départements et régions.

Comme on l’a déclaré crûment à Matignon, « le second (pilier, Nda), c’est le patriotisme économique qui exige de consolider l’actionnariat de nos entreprises ». La patrie, ainsi conçue, appartient à ceux qui la possèdent. A-t-on oublié que le général de Gaulle, en 1940, à qui on demandait pourquoi les élites françaises ne l’avaient pas rejoint à Londres, alors que les pêcheurs de l’île de Sein l’avaient fait, répondit : « Parce que les possédants sont toujours possédés par ce qu’ils possèdent. »