Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Cagnotte

jeudi 23 mars 2000

Cagnotte : plateau sur lequel les joueurs de bouillotte mettaient leurs jetons. L’étymologie du mot, après l’intervention de Lionel Jospin sur TF1, en dit davantage que beaucoup de discours.

En effet, sur le plan du jeu politique, à court terme, le Premier ministre a réussi un coup gagnant. Compétent, calme, satisfait de lui-même et de son gouvernement, il a su habilement sortir du bois médiatique par l’abaissement des impôts en faveur des catégories les plus défavorisées (11 milliards pour la taxe d’habitation, 18 milliards pour la TVA et 11 milliards pour les deux plus basses tranches de l’impôt sur le revenu) et l’augmentation bien tempérée des dépenses publiques (10 milliards en tout, dont 5 pour la tempête, 2 pour les hôpitaux et 1 pour l’Education nationale). Le surplus de 50 milliards pour l’an 2000 se trouve donc affecté au domaine social, alors que les quelque 30 milliards de 1999 avaient sagement servi à réduire le déficit budgétaire.

Cependant, le « second souffle », le « nouveau cap », la « nouvelle donne » ne sont pas au rendez-vous. Tout se passe comme si la gestion tenait lieu de politique, et comme si les rails de la croissance devaient mener à la station présidence. L’aveuglement de M. Jospin est apparu lorsqu’il s’est félicité que les sociétés de haute technologie se valorisent en Bourse, alors que la « bulle Internet » s’apprête à éclater !

Bref, le Premier ministre a été « bon » pour distribuer les jetons de la cagnotte, mais bientôt il ne s’agira plus de cela, mais de répondre au défi de la crise monétaire et financière internationale qui vient, c’est-à-dire de passer de Molière à Shakespeare.

Déjà, la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine doivent s’engager dans une hausse des taux qui va priver les marchés financiers de liquidités. L’Economist, Business Week et les investisseurs suisses ressentent tous une impression de déjà vu, celle des années vingt. Nous ajouterons que c’est bien pire : jamais avant 1929 une société comme Multimania, introduite le 9 mars sur notre Nouveau marché, n’aurait été valorisée à plus de 5 milliards de francs avec 9 millions de chiffre d’affaires et 34 millions de pertes. Jamais une société comme Liberty Surf, le fournisseur d’accès gratuit du groupe Arnault, n’aurait pu être introduite sur le « grand" marché - aujourd’hui le Règlement mensuel - avec une capitalisation d’environ 3 milliards d’euros, 6 millions d’euros de chiffres d’affaires et 24 de pertes.

M. Jospin, s’il est réellement « heureux » de cela, doit escompter un réveil plutôt rude. Ici, à Nouvelle Solidarité, sans perdre de temps à compter les jetons de la cagnotte, nous agissons en sorte que le choc, lorsqu’il surviendra, dissipe les illusions et retende les volontés.