Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Le « retard français »

vendredi 29 juillet 2005

« Le modèle social français est en faillite, plombant l’avenir du pays et bloquant la modernisation de l’Europe » : ainsi parle Nicolas Baverez dans Le Point du 21 juillet. Nicolas Sarkozy vante le « modèle britannique ». Il nous faudrait une « thérapie de choc » pour arrêter le « déclin », combinant libéralisme économique, libre-échange, privatisations, flexibilité salariale et réduction des dépenses publiques. Le tout est présenté comme un discours de « renouveau ». Ce tout est une escroquerie.

C’est d’abord une escroquerie parce que la crise que subit la France ne vient pas du « modèle français ». Ce « modèle » nous a légué certains avantages : une énergie bon marché, avec le nucléaire, des infrastructures de pointe (TGV, réseau électrique, gaz...), un système social et un mode de vie qui conduit les Britanniques à se faire opérer dans nos hôpitaux et à prendre leur retraite dans le Périgord. Nous restons un pays à natalité plus élevée que celle des autres pays européens, les investisseurs étrangers nous choisissent et nos exportations par tête sont supérieures de 30% à celles des Japonais et de 60 % à celles des Américains. Nos produits à forte valeur ajoutée - énergie, transports, ingénierie en télécommunications - sont ceux qui seront les plus nécessaires à la Chine ou aux économie en voie de décollage.

C’est ensuite une escroquerie car ce qui est conseillé, le modèle « anglais », n’a pas réduit le chômage (4,6% selon les chiffres offi ciels, mais il faut y ajouter plus de 9% d’« invalides », 5% de précarisés et 2% de congés spéciaux !), a entretenu la pauvreté (17% de « travailleurs pauvres ») et promu les inégalités. A Londres, le travail au noir est généralisé et, une fois pris en compte le coût du logement et des transports, 30% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Le pays fonctionne sur une base financière « hors euro » : 20% des prêts bancaires souscrits dans le monde, 50% des transactions en actions, 30% du négoce en devises et 40% des patrimoines gérés par les fonds de pension et les hedge funds transitent par Londres. Il s’agit d’un modèle fi nancier non seulement injuste, mais inapplicable ailleurs.

C’est enfin une escroquerie car les intérêts de la synarchie financière ont toujours joué la carte du déclin national pour imposer leur chantage. Ainsi, en 1925, le Redressement français d’Ernest Mercier dénonçait « une nation retardataire » et appelait de ses voeux un pouvoir « moins démocratique, plus indépendant des partis politiques ».

Car le véritable problème de la France, avec son taux de chômage, sa financiarisation de l’économie et sa recherche en recul, c’est de s’être soumise à la loi des marchés. La conclusion est simple : pour pouvoir jouer nos atouts, nous devons rompre avec la loi des marchés, c’est-à-dire avec le système de Maastricht, d’Amsterdam, du pacte de stabilité et de l’Union économique et monétaire. Impossible ? Impossible n’est pas français, si l’on veut vraiment construire l’Europe des peuples, des patries, du pouvoir d’engendrer des idées, de les fi nancer et de les réaliser.