Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Responsabilité

mardi 3 mai 2005

Nous sommes aujourd’hui le 1er mai et nous allons voter « non » le 29 mai, sans états d’âme, car l’étrange « traité constitutif » qu’on livre à nos suffrages ne fait que renforcer par l’autorité du droit la soumission de l’Europe au libéralisme des XIXème et XVIIIème siècles. Les partisans du « oui » nous disent que le Traité prévoit quelques améliorations, ce qui est vrai si on considère chacun de ses aspects pris indépendamment. Cependant, pris dans son ensemble, le texte ne fait que consacrer ce que Pierre Mendès-France écrivait, dans La République moderne, en 1962 : « J’ai regretté en 1957 les modalités essentiellement libérales, capitalistes et libre-échangistes adoptées par la Constitution du Marché commun . »

Pire encore, le texte gèle à tout jamais le recours au crédit productif public. Les articles III-181 et III-188 interdisent en effet à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des Etats membres d’accorder des crédits aux institutions de l’Union européenne ou à des institutions nationales et de solliciter ou accepter des instructions des institutions, organes ou organisations de l’Union, des gouvernements des Etats membres ou de tout autre organisme. Cela signifie en clair qu’aucun grand projet mobilisateur ne pourra être mis en œuvre, car l’impôt et l’emprunt ne suffisent pas, et qu’aucune volonté politique ne pourra prévaloir sur celle des banquiers. C’est une Europe livrée à l’oligarchie financière, sans culture, sans vision, sans horizon social. C’est une Europe dans laquelle toute approche de type plan Marshall se trouvera bannie.

Je suis surpris qu’aucune des éminences « gaullistes » ou « socialistes », c’est-à-dire attachées à une économie volontariste et au respect du bien public, n’ait soulevé ce problème fondamental. Le peuple français pressent cette impuissance, nous montrons où elle se trouve.

Cependant, nous ne le faisons qu’avec un immense sens des responsabilités. C’est après le 29 mai que viendra le défi, quel que soit le résultat du vote. C’est pourquoi nous avons présenté notre projet pour sortir d’un système qui nous mène droit dans le mur. Considérons que depuis 1978, à structure de qualification constante, le salaire net moyen a connu une perte de pouvoir d’achat comprise en 4% et 8% et que cette détérioration a touché tous les salariés, du public comme du privé. Considérons que nous vivons au détriment de la main d’œuvre de la Chine, de l’Inde et des pays du tiers-monde, que nous dépouillons en mangeant et en nous habillant.

Dans l’Europe que nous voulons, l’intervention des Etats doit revenir sur la scène, pour la justice et le développement mutuel. Il faut une politique qui constitue un ensemble cohérent, dont les différentes parties, au lieu de se contrarier et de se neutraliser, se renforcent, se complètent, se soutiennent les unes les autres. Mendès appelait cet ensemble le Plan, de Gaulle l’économie dirigée, la doctrine sociale de l’Eglise le bien commun. Nous voulons l’appeler demain l’Europe, au sens propre du terme.