Les Roumains refusent que l’OTAN leur confisque leurs élections

samedi 11 janvier 2025, par Tribune Libre

Le 24 novembre a eu lieu le premier tour de l’élection présidentielle roumaine, remporté par Calin Georgescu avec 22,94 %, suivi d’Elena Lasconi avec 19,18%.

Or, le 6 décembre, alors que le second tour avait déjà commencé dans les circonscriptions de l’étranger et que plus de 50 000 électeurs avaient déjà voté, la Cour constitutionnelle prit soudainement la décision d’annuler tout le processus électoral, sur la base de documents transmis par les services de renseignement. La classe politique et les médias occidentaux ont aussitôt applaudi ce qui mérite bien le nom de coup d’État légal. 

Le fait est qu’en Roumanie comme ailleurs en Europe de l’Est, le vent tourne. Il était clair que le candidat indépendant Calin Georgescu allait l’emporter au second tour de l’élection, prévue le 8 décembre, mettant en péril l’orientation euro-atlantiste de la Roumanie, pays membre de l’OTAN, et la poursuite de la guerre en Ukraine.

Notre correspondante franco-roumaine Alexandra Bellea-Nourya rédigé pour nous ce compte-rendu. Pour S&P, il ne s’agit pas d’apporter son soutien à un candidat dont le projet politique est discutable, mais de défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes à travers des élections libres.

Rappelons qu’en Roumanie, le vote électronique n’existe pas. Les électeurs doivent se rendre en personne dans les bureaux de vote et faire leur choix sur des bulletins papiers, ensuite chaque bureau dresse un compte-rendu qui est affiché sur la plate-forme roaep.ro, que tout le monde peut consulter en temps réel.

Le résultat du scrutin avait été validé par le Bureau électoral central le 26 novembre et par la Cour constitutionnelle le 2 décembre. Entretemps, le président de la Roumanie a convoqué le CSAT (Conseil suprême de sécurité du pays) et le 4 décembre, il rendait publics des rapports de renseignement censés prouver une ingérence russe…

Quelle ingérence ?

D’après Le Monde, « ces documents déclassifiés détaillent comment ce candidat, virtuellement inconnu un mois plus tôt, a réussi, en quelques semaines, à devenir une star du réseau social chinois, dans des conditions troublantes ».

Les Chinois et les Russes sont d’une extrême sophistication car, selon le journal, « ces influenceurs ne mentionnaient pas son nom, mais les commentaires sous leurs vidéos étaient inondés de messages favorables à Georgescu ». On voit mieux d’où vient le vent lorsque Le Monde cite Victoria Olari, chercheuse au DFR Lab (laboratoire du groupe de réflexion américain Atlantic Council) et spécialiste de la Moldavie et de la Roumanie, pour qui « même sous les vidéos des autres candidats, environ un tiers des commentaires soutiennent Georgescu ».

Mobilisations juridiques...

Priver tout un peuple de son choix dans les urnes constitue un dangereux précédent. Les Roumains ont entamé une bataille juridique pour remédier à cette monstruosité, sous l’égide de la Coalition pour la défense de l’Etat de droit (CDED) dirigée par l’avocate Elena Radu et les avocats de C ?lin Georgescu, dont Marina Alexandru.

Aucune loi roumaine ne permettant de contester les décisions de la Cour constitutionnelle, la CDED a donc choisi de demander l’invalidation de l’application de cette décision par le Bureau électoral central. Une autre démarche vient d’être lancée à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

... et populaires

Alors que des manifestations pacifiques ont lieu dans plusieurs villes, l’essentiel de la mobilisation se concentre sur l’aspect juridique. Calin Georgescu a appelé à manifester devant la Cour constitutionnelle le 10 janvier pour exiger un jugement rapide concernant sa demande de révision de la décision du 6 décembre dernier et a annoncé une campagne de signatures citoyennes.

Le 31 décembre 2024, la Cour d’appel de Bucarest a rejeté l’action de la Coalition pour la défense de l’Etat de droit (CDED) et de Calin Georgescu concernant l’annulation des élections présidentielles en Roumanie. Cette décision sera bientôt contestée devant la Haute Cour de cassation et de justice.

La Cour a évité de statuer sur le fond de l’affaire, se bornant à rejeter toute capacité juridique des institutions citées à comparaître. Les représentants de ces institutions (Bureau électoral central, ministère de la Défense, état-major général de la Défense, gouvernement, ministère public de la Haute Cour de cassation et de justice, Cour constitutionnelle et services de renseignement roumains, ainsi que le Président), se sont présentés à l’audience « les mains dans les poches » et n’ont pas pris la peine d’apporter la moindre preuve des irrégularités présumées de la campagne de Georgescu, qui a obtenu une large majorité lors du premier tour du 24 novembre 2024. Ils ont seulement refusé d’être partie prenante au procès. Un crime a peut-être été commis, mais personne ne l’a fait...

Ainsi, l’establishment roumain, après l’échec du lynchage de Georgescu par les médias, a pris le risque d’interrompre le processus démocratique au milieu du vote, en alléguant des soupçons d’illégalités et d’ingérence étrangère russe.

Il est très probable qu’ils aient agi sous pression étrangère, le président Iohannis ayant déclaré le 18 décembre, concernant la présupposée ingérence russe,

l’influence étrangère a été découverte après coup et je dois dire que sur cette question, nous avons bénéficié d’un soutien important de la part de partenaires stratégiques qui ont aidé les entités roumaines à découvrir ce qui s’était passé.

Ce coup d’État « légal » a eu lieu par le biais d’illégalités loufoques exposées par les avocats : les notes déclassifiées des services de renseignement faisant état d’une ingérence russe, qui ont servi de base à la décision de la Cour constitutionnelle, se sont avérées dépourvues de preuves réelles.

Les avocats de Georgescu ont demandé des preuves des allégations d’irrégularités de sa campagne, ou d’ingérence étrangère, mais sans succès. Par ailleurs, les institutions n’ont pas respecté la procédure légale : les bureaux de vote ont fermé sur la base de communiqués de presse de la Cour constitutionnelle et du Bureau central des élections, mais avant la publication des décisions dans le Moniteur officiel.

L’avocate de Georgescu a expliqué sur ROCTV que certains bureaux de vote avaient même continué à fonctionner le lendemain de l’annulation, faute de base légale pour fermer. Les procès-verbaux originaux de la réunion au cours de laquelle le Bureau central des élections a décidé de fermer les bureaux de vote, ne sont évidemment pas disponibles, etc. Selon les avocats, les irrégularités se poursuivent dans le procès lui-même, plusieurs procédures légales n’ayant pas été respectées. Ils se sont plaints du manque de transparence dans le choix du juge, qui a été récusé à trois reprises. 

L’atmosphère des audiences du 30 décembre était particulièrement tendue : juges et avocats devaient crier pour se faire entendre à cause de la manifestation organisée devant le bâtiment, où plusieurs milliers de personnes s’étaient rassemblées pacifiquement en arborant des drapeaux roumains.

Gleichshaltung

Malgré la Gleichschaltung [1] quasiment parfaite de la presse, la population est connectée au processus. Les nouvelles circulent à travers les réseaux sociaux, des transmissions live sur TikTok, Facebook, des télés alternatives et sur les profils des avocats impliqués, qui s’efforcent de donner une éducation juridique à la population. Il s’agit de réseaux et canaux de communication alternatifs déjà constitués à l’époque du COVID19.

Ion Cristoiu, journaliste de gauche réputé, a déclaré sur TikToK, avant le verdict, qu’en tout état de cause, Georgescu avait gagné d’un point de vue politique et moral.

Ce processus a exposé aux yeux du monde, non seulement la corruption des institutions roumaines, mais aussi ce que nos « démocraties » transatlantiques expirantes sont prêtes à faire si la volonté du peuple refuse la guerre, l’austérité et la souffrance. Le procès roumain accélère ainsi le mouvement mondial vers un changement de système. Il montre également que les citoyens peuvent lutter pour leurs droits de manière pacifique et digne, et qu’ils peuvent s’unir et acquérir une maturité politique en un temps record.

L’avocate de Georgescu, Marina Alexandru, a déclaré sur la télé alternative ROCTV, que tous les Roumains sont parties prenantes au procès et qu’ils mènent « la guerre invisible », référence chrétienne à la lutte intérieure pour la vérité et pour devenir meilleur, à l’image du Christ.

Le combat juridique se poursuivra devant la Haute Cour de cassation et de justice, mais ce qu’il est important de noter, c’est que la majorité des citoyens roumains s’engagent dans ce que Rosa Luxemburg a décrit comme un processus de « grève de masse » pour la liberté et la dignité. 


[1La Gleichschaltung (en français, « mise au pas ») est le processus mis en œuvre par Adolf Hitler et le parti nazi de 1933 pour imposer leur pouvoir en Allemagne.