Depuis des décennies, l’Union européenne a conclu 46 accords de libre-échange. Sur la table depuis 25 ans, celui avec le Mercosur, un marché commun constitué en 1991 en Amérique du Sud entre le Brésil, l’Argentine, la Bolivie, le Paraguay et l’Uruguay, soit 265 millions d’habitants.
Aujourd’hui, Ursula von der Leyen, la présidente de l’UE, rêve de profiter du sommet du Mercosur, prévu en Uruguay les 5 et 6 décembre, pour annoncer triomphalement la conclusion d’un accord définitif de libre-échange UE-Mercosur. Pour le monde agricole européen et surtout français, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
En gros, bien qu’il y ait d’autres composantes (vin, textile, produits laitiers, chocolat, etc.), l’accord engagera les pays du Mercosur à acheter plus de voitures (surtout allemandes), en échange de la possibilité pour les éleveurs sud-américains d’exporter chaque année en Europe 160 000 tonnes de bœuf, avec des droits de douane réduits ou nuls. Rappelons que la France, jadis grande puissance agricole, importe déjà 30 % de sa viande de bœuf et 50 % de sa volaille !
Comme le précise Le Monde :
Si cela peut sembler dérisoire par rapport aux 6,4 millions de tonnes de viande bovine produites chaque année dans l’UE, ce quota n’en demeure pas moins substantiel quand on le compare à l’ensemble des importations de viande de bœuf en Europe : 351 000 tonnes en 2023, dont près de 196 000 tonnes proviennent déjà des pays du Mercosur. Avec l’ouverture d’un nouveau contingent, les éleveurs français craignent la concurrence déloyale d’une viande brésilienne beaucoup moins chère, car produite avec des normes environnementales et sanitaires moins strictes », et du même coup, très nocive pour notre santé !
Sans précédent, l’accord doit passer, non par un vote unanime du Conseil européen mais à une majorité qualifiée, donc possiblement contre l’avis de la France, démontrant ainsi que contrairement à ses illusions, elle n’a plus son mot à dire dans les affaires européennes.
Alors que toute la classe politique française se dresse (verbalement) derrière nos derniers éleveurs, ailleurs en Europe, les avis sont partagés. Or, pour être adopté, le texte doit réunir 55 % des États membres (15 pays), représentant au moins 65 % de la population de l’UE, avant d’être ratifié par le Parlement européen. Il sera donc fort compliqué de réunir une minorité de blocage pour s’y opposer, bien qu’en principe, quatre pays suffisamment peuplés suffisent. Si, par le passé, la Pologne et l’Autriche ont exprimé des divergences vis-à-vis du texte, elles n’ont toujours pas officiellement rallié le non français. A l’opposé, l’Espagne y est favorable et l’Allemagne bien plus encore, frappée de plein fouet par une vague de désindustrialisation résultant de son alignement aveugle sur les Etats-Unis dans la guerre en Ukraine.
La France s’oppose au traité, mais seulement en l’état. Ainsi, Macron ne conteste point le caractère néfaste d’un libre-échange prédateur, mais uniquement des normes environnementales inacceptables. Ce qui veut dire que si demain matin, le Mercosur annonce qu’il accepte les accords de Paris sur le climat, qu’il va cesser de raser les forêts et réduire l’usage excessif de pesticides, la France cédera...
En réalité, cet accord est une véritable calamité, aussi bien pour les consommateurs que pour les producteurs des deux côtés de l’Atlantique. Au lieu de créer des marchés organisés, il aura pour effet d’accentuer une concurrence brutale entre une multitude de pratiques agricoles différentes, au lieu de mettre en valeur leur complémentarité.
Dès lors, on peut se poser la question : « L’Amérique du Sud manque-t-elle de bouches affamées de viande ? » Sans doute en a-t-elle déjà beaucoup trop, puisque les Etats-Unis dressent des murs à leurs frontières pour les empêcher de s’approcher des frigos étasuniens… Mais évidemment, du point de vue comptable, et donc financier à court terme, tous ces affamés ne valent pas grand-chose par rapport au marché rentable que représente l’UE…