Fin février, Jacques Cheminade s’est rendu au Salon international de l’Agriculture de Paris où il a pu s’entretenir avec différents responsables agricoles et participer à un débat télévisé organisé par l’Ecole supérieure du journalisme (ESJ).
L’occasion également pour nos militants de faire connaître aux visiteurs, par voie de tract, l’analyse et les propositions de S&P et de son président.
A l’heure où disparaissent nos exploitations agricoles, où plus de 20 % de nos agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté et où sévit l’agribashing, il paraît presque provocateur de dire que l’agriculture doit être le grand métier de demain.
Et pourtant les faits sont là :
- pour nourrir près de 10 milliards d’êtres humains en 2050, la production agricole de notre planète devra augmenter de 70 % et même tripler en Afrique ;
- pour la qualité de son alimentation de la fourche à la fourchette, le modèle agricole français est l’un des meilleurs au monde. Il a été placé en tête de son classement par le magazine britannique The Economist.
Pourquoi la passion de produire n’est-elle donc pas justement rémunérée ? Parce que les marchés agricoles ont été livrés aux spéculateurs internationaux, aux propriétaires d’exploitations gigantesques et à la grande distribution. Bref, la priorité financière a été placée avant les besoins des hommes. C’est donc tout un système qu’on doit remettre sur pied.
L’urgence : la juste rémunération du travail, une alimentation saine et accessible à tous.
Ceux qui travaillent 15 heures par jour et s’endettent pour nous nourrir ont droit à un traitement juste. C’est leur droit de producteurs et notre intérêt de consommateurs.
Voici les pistes à suivre :
- rétablir un juste prix, correspondant à ce qui est nécessaire à une exploitation pour vivre, rembourser, investir et produire une alimentation saine, sûre et accessible à tous ;
- imposer pour cela des prix planchers dans les secteurs les plus défavorisés : éleveurs de bovins, caprins, ovins, équidés et volaille ;
- organiser un moratoire et une restructuration des dettes des agriculteurs que les banques ont « poussés au crime », suivant la région, le secteur de production et le parcours individuel ;
- mettre fin aux traités de libre-échange (TAFTA, CETA, MERCOSUR…) lorsqu’ils sont des instruments de guerre économique visant à faire tomber nos normes, nos régulations et ce qui reste de nos protections légitimes ;
- arrêter l’accumulation de normes et de réglementations écologiques ou climatiques illégitimes qui, elles, sont trop souvent formatées pour l’agrobusiness, livrent nos producteurs à la concurrence de pays plus laxistes et leur imposent plusieurs heures de paperasserie par semaine ;
- la loi Agriculture et Alimentation, ayant élevé de 10 % le seuil de revente à perte et encadré les promotions à 34 % du volume par produit, n’a pas réellement abouti à un gain suffisant pour les producteurs. Des initiatives sont donc nécessaires pour s’attaquer à la cause du problème, en écoutant ce qu’ont à dire les producteurs. Seul un Etat solide et citoyen permettra de combattre efficacement l’oligopole des centrales d’achat ;
- multiplier chez nous les circuits courts afin de court-circuiter les vautours financiers, pour qui la terre n’est pas un milieu vivant mais un support à leurs spéculations insensées ;
- interdire les produits dérivés spéculatifs sur les productions agricoles et alimentaires, qui sont échangeables comme des instruments de paris sur les prix et non comme des titres d’assurance ;
- réorganiser les retraites agricoles de plein droit, équivalentes au SMIC avec des pensions de réversion à 75 %.
Faire de l’agriculture un grand métier du futur
Ces mesures d’urgence sont indispensables, mais c’est dans le cadre d’une autre politique d’ensemble que doit être définie l’agriculture nécessaire à tous, un « développement par le haut gagnant-gagnant ». Il s’agit de fermer le casino financier européen et mondial et de rétablir notre souveraineté et notre sécurité alimentaires :
- ne plus mettre les producteurs du monde en concurrence les uns contre les autres, mais négocier des marchés organisés à l’échelle internationale. La crise du coronavirus et la crise financière mondiale qui vient doivent être l’occasion de créer un nouvel ordre économique, redonnant priorité à ce qui est nécessaire à l’homme, et non au profit financier et monétaire. Utopiste ? L’échec du système actuel permet de répondre qu’une autre tentative s’impose. Les peuples y ont un intérêt vital, le défi est d’éviter que l’oligarchie financière les divise pour continuer à régner ;
- en Europe, le démantèlement des outils de régulation de la PAC a abouti au désastre agricole actuel, mais une Politique agricole nationale (PAN) ne peut être mise en place dans une situation de marchés et de productions intégrés. La solution est de dissoudre l’Union européenne actuelle, qui s’autodétruit, pour refaire une Europe des Etats, planifiant les productions agricoles entre partenaires ayant des intérêts communs, où l’on sait ce qu’on veut produire, comment et pour qui. On ne pourra sauver notre agriculture ni seuls, ni avec l’UE actuelle, mais en rétablissant la régulation des productions et des marchés entre Etats, unis par des coopérations renforcées et une volonté de souveraineté alimentaire. La seule porte de sortie est une rerégulation par les Etats en faveur des producteurs. Utopiste ? L’alternative est de continuer à aller dans le mur, dans un marché faussé où nous serons tous enchaînés par le crédit et des subventions qui s’arrêteront fatalement un jour ;
- la valorisation par l’intégration des filières. On peut pratiquer une politique d’intégration en utilisant des capteurs, des drones et des robots, tout ce qu’il faut pour contrôler la production de manière dynamique dans une agriculture moins consommatrice d’intrants chimiques et d’énergie, produisant mieux et davantage. Les machines autonomes ou avec pilotage à distance peuvent intervenir à pratiquement tous les stades de l’activité : attelage automatisé travaillant en essaim, robot désherbeur, surveillance de l’état sanitaire des plantes, distributeur automatique d’alimentation des plantes, robot spécialisé dans le maraîchage, débroussailleuse à chenille téléguidée, automoteur à haute pression radiocommandé pour faciliter le nettoyage des bâtiments avicoles…
Ainsi se développe l’agriculture du futur, économisant intrants et travail humain, et permettant un suivi en temps réel des productions et de la santé des plantes. Les fermes du futur seront encore davantage des « fermes de compétence ».
Reste un point fondamental : d’ici une dizaine d’années, 45 % des chefs d’exploitation vont partir à la retraite. Or les installations de jeunes sont freinées par de nombreux facteurs, allant des difficultés d’acquisition du foncier au revenu insuffisant de la vente des produits, en passant par la difficulté à obtenir des financements. Il faut donc instaurer une nouvelle loi foncière permettant un meilleur accès des jeunes à la terre et améliorer le système de transmission des exploitations, outre, comme nous l’avons vu, la fixation de justes prix.
Dans ce contexte, la permaculture, l’agriculture biologique, l’agriculture raisonnée et une agriculture de grandes surfaces (pourvu que ce ne soit pas le moyen d’imposer une nourriture industrielle de synthèse visant à détruire l’agriculture traditionnelle) ont chacune leur place. Les agriculteurs ont besoin de justice et les consommateurs de nourriture.
Ils doivent s’unir « par le haut » contre une oligarchie qui impose l’austérité « par le bas » et conduit le monde à la catastrophe. Notre défi est de faire une Europe des Etats-nations selon ces principes, et non de maintenir l’UE actuelle tombée sous la coupe de financiers et de faux monnayeurs.