C’est en ce moment, du 22 au 24 octobre, que se déroule à Kazan, en Russie, le sommet annuel des BRICS. Les dirigeants de 24 pays y participent, ainsi que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et au moins 26 autres pays candidats à l’adhésion. Dans le même temps ont lieu les assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale à Washington (du 21 au 26 octobre).
Et tandis qu’à Washington, les dirigeants et décideurs occidentaux se contentent de verser des larmes de crocodiles sur les problèmes mondiaux de pauvreté et d’inégalité, qu’ils ont eux-mêmes contribué à engendrer, les dirigeants de la « Majorité mondiale » (ou « Sud planétaire ») posent les jalons d’une nouvelle architecture financière et économique internationale, basée sur le développement mutuel de l’économie physique et humaine.
Même France Info, du fond de la vallée des paumés, s’interroge : « A part la photo montrant que Poutine n’est pas isolé, c’est quoi l’enjeu ? »
Sur place, à Kazan, nos envoyés spéciaux Sébastien Périmony et Jason Ross rapportent une ambiance incroyable et enchaînent des entretiens que nous publierons dès que possible sur notre site.
En réalité, ce sommet, éclipsé médiatiquement par les élections américaines, est l’événement le plus important de l’année, « celui qui déterminera le cours de l’histoire mondiale », comme l’écrit Jacques Cheminade dans son éditorial du 22 octobre au mensuel Nouvelle Solidarité.
La sénatrice Valentina Matvienko, présidente du Conseil de la Fédération de Russie (le sénat russe), précise le 19 octobre sur Telegram que ce sommet, et non l’élection présidentielle américaine, jouera un très grand rôle dans la suite de l’histoire.
Je crois qu’en 2024, le vecteur du développement humain aura été établi à Kazan, et non dans les États-Unis vacillants, écrit Matvienko. Les trois jours du sommet des BRICS et les négociations des dirigeants de la majorité mondiale dans la capitale du Tatarstan auront une influence décisive sur notre avenir.
S’affranchir du système dollar
« L’histoire ne s’est pas faite dans le Sud », avait déclaré un jour Henry Kissinger. En quelques décennies, un changement fondamental s’est chargé de renvoyer l’ancien secrétaire d’État américain à ses préjugés racistes : désormais, l’importance des pays du Sud dépasse celle du secteur transatlantique du point de vue des capacités de production, et donc du potentiel de densité démographique relatif.
Aujourd’hui, les BRICS représentent en effet près de 50 % de la population mondiale, et leur PIB combiné a surpassé en 2023 celui du G7, atteignant 32,1 % du PIB mondial (en 1990, il en représentait moins de 10 %) contre 29,9 % pour le G7. Comme le président Poutine l’a souligné le 18 octobre lors du Forum d’affaires des BRICS, cet ensemble de pays devrait afficher en 2024 une croissance de 4 % en moyenne, tandis que les taux de croissance du G7 stagnent à 1,7 %, bien en-dessous de la moyenne mondiale, prévue à 3,2 %.
De plus, conscients de l’inefficience du système financier dominant de la City de Londres et de Wall Street, les BRICS multiplient les initiatives pour s’en affranchir et bâtir une infrastructure financière différente.
La Nouvelle Banque de développement des BRICS (NBD) joue notamment un rôle central dans leurs efforts visant à renforcer la coopération financière.
Nous nous attendons à ce que la Nouvelle Banque de développement devienne un investisseur majeur dans les plus grands projets de technologie et d’infrastructure de l’espace BRICS ainsi que de l’ensemble des pays du Sud », a déclaré Poutine le 18 octobre.
Parmi les mesures à l’ordre du jour du sommet de Kazan, figure ce que les Russes ont baptisé « BRICS Pay », et qui fait l’objet d’une promotion active sur son propre site officiel. Un article du Global Times chinois paru le 17 octobre le décrit comme « un système de messagerie de paiement décentralisé et indépendant, en cours de développement par les États membres des BRICS, comparable à SWIFT en Europe ». Cette initiative devrait offrir aux pays membres des options de paiement élargies pour le règlement des biens et des services, renforçant ainsi leurs échanges économiques. En outre, cette approche pourrait contribuer à réduire leur dépendance excessive à l’égard du dollar américain en favorisant la diversification financière.
Vers une nouvelle architecture financière et économique
Partant du constat que le système du FMI est « irréformable », l’économiste brésilien Paulo Nogueira Batista, qui fut vice-président de la NBD de 2015 à 2017, propose de former une sous-commission au sein des BRICS, chargée d’élaborer une nouvelle architecture financière qui devrait impliquer, entre autres, des systèmes de paiement alternatifs, l’utilisation des monnaies nationales dans les transactions extérieures, et surtout, la création éventuelle d’une nouvelle monnaie de réserve internationale.
[Premièrement], le dollar, l’euro et le système de paiement occidental ont été dramatiquement utilisés à mauvais escient en tant qu’armes politiques et économiques, explique Nogueira. Deuxièmement, les fragilités fiscales et financières de l’économie américaine soulèvent des doutes légitimes quant à la faisabilité de continuer à compter sur le dollar comme monnaie de réserve internationale hégémonique. Nous devons donc agir », lance-t-il.
L’économiste brésilien pourrait ajouter que le système financier occidental, avec sa bulle de plus de 2 millions de milliards de dollars de produits dérivés et d’autres paris financiers spéculatifs, se trouve irrémédiablement en faillite.
C’est pourquoi la question n’est pas de savoir si c’est la « Majorité mondiale » qui façonne l’histoire ou pas, mais si les pays occidentaux vont enfin se résoudre à abandonner ce Titanic financier pour rejoindre la dynamique des BRICS.
Dans ses Dix principes d’une nouvelle architecture internationale de sécurité et de développement, publiés en 2022, Helga Zepp-LaRouche, la présidente de l’Institut Schiller, écrit :
Un nouvel ordre économique mondial est en train d’émerger, impliquant la grande majorité des pays du Sud. Plutôt que de chercher à contrecarrer cet effort, les nations européennes et les États-Unis devraient se joindre aux pays en développement et coopérer avec eux pour façonner la prochaine ère de développement de l’espèce humaine, afin qu’elle devienne une renaissance des expressions les plus élevées et les plus nobles de la créativité.