Jacques Cheminade à Arras : "Arrêter le train fou de l’OTAN !"

mardi 1er octobre 2024, par Jacques Cheminade

Invité aux Assises de la souveraineté, le 14 septembre à Arras, Jacques Cheminade, président de Solidarité & Progrès, a pris la parole dans la table ronde sur la sortie de l’OTAN. Un événement organisé par Les Patriotes, le mouvement fondé par Florian Philippot, qui a rassemblé 2500 participants. Au-delà des divergences, de fructueux échanges citoyens ont pu avoir lieu tout au long de la journée, notamment au stand S&P qui a suscité un grand intérêt.

Quand notre souveraineté nationale est bafouée, il ne faut pas mâcher ses mots. Ne pas agir devient un crime contre l’histoire de notre pays. Il s’agit de la France face à l’OTAN. Nous avons été ramenés au sein de son commandement intégré le 7 novembre 2009, non par une décision annoncée en France mais devant le Congrès américain. Aujourd’hui, compte-tenu de ce qu’est devenue l’OTAN, sortir à nouveau de son commandement intégré ne suffit plus. Il faut que nous exigions sa dissolution, car elle n’a plus sa raison d’être ou, plutôt, sa raison d’être est d’abolir les Etats-nations. Comme nos partenaires refuseront, nous devons faire ce que le général De Gaulle fit vis-à-vis de la Communauté Économique Européenne (CEE) : pratiquer la politique de la « chaise vide ».

Surtout, dans ces conditions, ré-articuler notre politique internationale en la coordonnant avec les pays qui défendent leur propre souveraineté, ceux du « Sud global » et des Brics. Sans angélisme, ni aventurisme, mais avec la détermination du discours de Phnom Penh, en 1966, ou celui de Philippe Séguin du 5 mai 1992 devant l’Assemblée nationale.

Le traité de l’Atlantique Nord, du 4 avril 1949, était un traité de défense limité aux États-Unis et à l’Europe occidentale. Pendant la Guerre froide, non sans arrières-pensées bien entendu, il a revêtu un caractère défensif au sein de l’équilibre de la terreur. Mais à partir de 1991, les bombes otaniennes ont commencé à pleuvoir de plus en pus fréquemment et de plus en plus nombreuses, tant en Europe que hors d’Europe. Le jeudi 18 février 2021, dans un étude rédigée à la demande de son secrétaire général Jens Stoltenberg , le projet OTAN 2030 a été mis sur la table. Son orientation a été confirmée lors du sommet de Madrid les 28, 29 et 30 juin 2022. Il ne s’agit pas d’une révolution, mais de l’aboutissement d’une longue évolution, qui consacrée par la guerre en Ukraine et l’extension de la tutelle otanienne jusqu’aux eaux du Pacifique. Stoltenberg a déclaré crûment, le 16 juin 2022 : « Nous allons également décider d’un nouveau concept stratégique pour l’OTAN, en arrêtant notre position sur la Russie, sur les nouveaux défis et, pour la première fois, sur la Chine ». « Global NATO », l’OTAN à l’échelle du monde, illusion impériale assumée.

Deux faits significatifs :

Le premier, lorsque deux installations de radars russes d’alerte stratégique précoce, sur les dix que possède la Russie, ont été frappés par les ukrainiens à Armavir et à Orsk, en juin.

C’est un système de protection contre des missiles intercontinentaux, par delà le champ de la guerre en Ukraine même. Ainsi, nécessairement parrainés et guidés par des experts de l’OTAN, des militaires d’un pays frontière de la Russie ont montré qu’ils étaient prêts à aveugler la défense intercontinentale d’un adversaire disposant de toute la panoplie de l’armement nucléaire.

Je souligne que 2 juin 2020, le Président russe Vladimir Poutine a signé un décret intitulé « Principes fondamentaux de la politique de l’État de la Fédération de Russie sur la dissuasion nucléaire » stipulant que le le recours au nucléaire serait justifié par « l’attaque de l’adversaire contre les sites gouvernementaux ou militaires critiques de la Fédération de Russie, dont la perturbation saperait les actions de rétorsion des forces nucléaires ».

Or c’est bien le cas ici. Une ligne rouge a été franchie. Il faut se féliciter de la retenue manifestée par les militaires russes et sans doute américains, alors que l’on joue avec le feu. En se disant cependant qu’aujourd’hui, c’est pire : Joe Biden et Anthony Blinken ayant laissé entendre que les Etats-Unis vont désormais passer à une doctrine de menace éventuelle de première frappe, Vladimir Poutine et Serguei Lavrov en ont conclu que la Russie devrait adapter sa propre doctrine. C’est une situation aussi dangereuse que lors de la crise des missiles de Cuba en 1962, sauf que cette fois ce sont les intérêts vitaux de la Russie et non des Etats-Unis qui sont menacés et que nous autres européens sommes aux premières loges.

Le second fait significatif est la décision récente annoncée par le chancelier allemand suivant laquelle les Etats-Unis ont décidé de déployer sur le territoire allemand, en 2026, des missiles de longue portée susceptibles de frapper en profondeur le territoire russe.

Sans débat public en Allemagne, au Parlement ou ailleurs, et sans que leurs alliés européens, dont nous, aient été apparemment consultés, contrairement aux consultations effectivement réalisées pendant la Guerre froide, au moment du déploiement des Pershing pour contrer les SS20 soviétiques ! Les dirigeants russes y voient un casus belli.

Il faut bien voir le contexte : tous les traités d’apaisement des tensions signés pendant la Guerre froide ont volé en éclats, du fait du gouvernement américain, sauf le START, traité de contrôle et de limitation des armements dont l’échéance est simplement reportée au 5 février 2026 – 2026, précisément la date où les Etats-Unis prévoient de déployer leurs missiles de longue portée en Allemagne ! Aujourd’hui, les Pays-Bas autorisent déjà les frappes ukrainiennes loin dans le territoire russe, bientôt ce sera les cas avec nos Scalp et les Storm Shadow britanniques, puis les missiles JASSM, qui ont une portée de 1500 kilomètres. L’engrenage est devant nos yeux.

Cette logique offensive de l’OTAN repose sur le paradigme d’une double menace extérieure.

La première a vise à créer un ennemi russe en le provoquant, comme dans le Donbass après 2014. En échange de la protection américaine contre cette menace russe qui pèserait sur l’Europe, on impose aux Européens une division autodestructrice de notre continent et on les embrigade dans une mobilisation contre une Chine vue comme l’ennemi ultime.

La deuxième menace de l’OTAN consiste à imposer l’ordre anglo-américain en prétextant l’efficacité et l’urgence de la décision. On contourne ainsi la règle interne du consensus : ce sont les opérations annexes de coalition de volontaires, du type Ramstein, réunissant tous les fournisseurs d’armes à l’Ukraine, et surtout la délégation d’autorité au SACEUR (commandement des forces alliées en Europe, sous contrôle américain en la personne de Christopher G. Cavoli).

Comme l’affirment nos amis responsables du Cercle de Réflexion Interarmées (CRI) : la « menace russe » est patiemment entretenue par un « narratif » inculqué à des militaires choyés et à des médias complaisants, en vue de « mettre au pas » les alliés européens envers Washington. Le comble est atteint avec la proposition fortement suggérée de bouclier spatial allemand, à trois couches : la première allemande, la seconde américaine et la troisième israélienne. Ce serait enterrer pour toujours l’indépendance de notre force de frappe, dont Emmanuel Macron propose d’étendre la garantie à nos alliés, tout en acceptant en même temps le bouclier allemand - double enterrement.

Il faut stopper le train fou avant qu’il ne soit trop tard ! D’autant plus qu’on a l’expérience de la façon dont l’OTAN a procédé, étape par étape, pour faire peu à peu bouillir l’eau dans laquelle a sauté la grenouille française.

Trahison de la promesse faite à Gorbatchev de ne pas étendre l’OTAN au-delà des frontières de l’Allemagne réunifiée. C’est Paul Wolfowitz, sous la direction de Dick Cheney, déclarant au général Clark, en 1991 : « Nous avons 5 à 10 ans pour nettoyer tous les régimes dévoués à l’ex-Union soviétique avant qu’une nouvelle superpuissance n’émerge pour nous défier » .

Le 7 novembre, toujours de 1991, nouveau concept stratégique, un texte qui n’est plus rédigé par les militaires mais par les politiques. Suivent, directement ou par procuration, le démembrement de l’ex-Yougoslavie, les deux guerres du Golfe, l’occupation de l’Afghanistan, l’élimination de Kadhafi, la complaisance envers Daech en Syrie, le soutien à une Ukraine sous influence bandériste et la fourniture d’armes, de bombes et d’aide financière au gouvernement Netanyahou pour mener son génocide à Gaza forment ainsi un tout. L’OTAN est sortie de son rôle, de l’esprit et la lettre du traité d’Alliance de 1949, notamment du cadre de son Préambule et de ses articles 1 et 5, elle est sortie de la légalité internationale en s’affranchissant du feu vert de l’ONU. Prétendre changer l’Alliance de l’intérieur est donc une vue de l’esprit.

Il faut ajouter que l’article 42 du Traité sur l’Union européenne, par sa clause de défense mutuelle, lie de fait, sinon de droit, l’UE à l’OTAN. Pire encore, par la déclaration commune du 10 juillet 2018, le Président du Conseil européen, le président de la Commission européenne et le secrétaire général de l’OTAN sont convenus de « renforcer la coopération entre l’UE et l’OTAN… sa qualité, son étendue et son intensité. » Les signataires encouragent « la participation la plus large possible des Etats membres de l’UE qui ne font pas partie de l’Alliance aux initiatives de celles-ci. » Il est donc clair que la procédure d’intégration accélérée de l’Ukraine à l’UE est pour la Russie de même nature que le serait son adhésion à l’OTAN.

La Coalition internationale pour la paix (CIP), organisée par l’Institut Schiller international, a rassemblé les témoignages de Jack Matlock, l’Ambassadeur américain à Moscou de 1987 à 1991, qui a totalement confirmé les promesses faites aux autorités russes de na pas étendre l’OTAN à l’Est, du Pr Theodore Postol, l’expert incontesté de la guerre nucléaire et de Lawrence Wilkerson, de la Fondation Eisenhower et qui fut le proche collaborateur de Colin Powell, qui ont tous corroboré ce que je viens de vous dire. Des anciens du renseignement américains, devenu lanceurs d’alerte, ont fondé Veteran Intelligence Professionals for Sanity (VIPS) pour constituer un front de résistance contre les politiques de l’OTAN et la folie d’élites politiques qu’ils craignent bien plus que les militaires. Theodore Postol les qualifie de totalement ignorantes de ce qu’impliquerait une guerre nucléaire, vue par elles comme une sorte de scénario de jeux vidéo. Wilkerson a conclu qu’ils sont dans l’état d’esprit de Marc Antoine, dans le Jules César de Shakespeare : « Carnage, pas de quartier et lâchez les chiens de guerre. »

Ne mâchons donc pas les mots. Il faut sortir d’une culture de la guerre, qui nous condamne au piège de Thucydide avec des mâchoires nucléaires, et se battre pour la paix en associant notre souveraineté nationale aux pays qui se battent pour elle, ceux du Sud global.

La réunion des BRICS qui se tiendra les 22 et 24 octobre à Kazan, en Russie, est une date devenue bien plus importante que celle des élections américaines. Notre pays doit tenir son rang, vis à vis de son peuple et de l’humanité en s’inscrivant à nouveau dans une politique « d’entente, de détente et de coopération ». Cela signifie une nouvelle architecture de sécurité et de développement mutuels, en Europe et dans le monde. Dès 1995 j’ai appelé à une Eurasie du XXIe siècle, de l’Atlantique à l’Oural et de l’Atlantique à la Mer de Chine.

La paix est ainsi nécessite à l’avenir du monde, hors de la logique des blocs et de la géopolitique où les gagnants cherchent à rafler toute la mise. Elle ne peut être assurée qu’à un niveau supérieur de relation entre les peuples ; ce qu’un Jean Bodin appelait l’harmonie des dissonances en quoi il voyait l’art de gouverner. L’oligarchie qui dirige l’OTAN, elle, divise pour régner et porte en elle la guerre.

Idéalisme ? Oui, idéalisme nécessaire pourvu qu’il soit réaliste . Le monde bascule vers les BRICS, l’Organisation de la Coopération de Shanghai et l’Union Économique Eurasiatique (UEE), 80 % de l’humanité en peuplement et plus de 50 % en Produit intérieur brut corrigé en parité de pouvoir d’achat. C’est la nécessaire souveraineté de Coralie Delaume, nécessairement associée à celle des autres, c’est cette souveraineté qui prend forme. Et la conviction qu’une force faible représentant la justice et la vérité doit l’emporter sur ce qui apparaît dans l’immédiat plus pratique et mieux vu.

Pour survivre à sa crise, l’oligarchie a toujours eu besoin de faire la guerre mais cette fois c’est « l’anéantissement de l’humanité » évoqué par Charles de Gaulle qui est au bout du chemin. C’est pourquoi il faut non seulement dissoudre l’OTAN mais bâtir un ordre gagnant-gagnant, une nouvelle architecture de sécurité et de développement mutuels. Le Traité de Westphalie est un exemple historique qui nous en ouvre la voie. La France n’aura de sens que si elle redevient un peuple à destin, un peuple souverain libéré d’une féodalité financière destructrice et de sa culture de la guerre.

Aujourd’hui nous sommes occupés par cette féodalité, l’OTAN et l’UE en sont l’instrument. Je ne peux m’empêcher de dire : Vive une nouvelle Libération, vive la France libre !
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