Jordan Bardella et le RN, nouvelle option de l’oligarchie financière

vendredi 28 juin 2024, par Jacques Cheminade

La campagne électorale des législatives s’est concentrée sur des mesures de politique intérieure, démagogiques car inapplicables dans le système existant, alors qu’aucun des trois « Rassemblements » n’apporte ni moyens ni stratégie pour en sortir. Tous sont aveugles ou complices face aux périls et aux contraintes venant de l’extérieur. Tous, au mieux, parlent pour ne rien dire ou, au pire, s’adaptent à la règle du jeu de l’oligarchie financière existante. Nul n’apporte, comme je ne cesse de le répéter, les moyens pour faire de la France le champion de la paix, c’est-à-dire du salut commun, contre le double risque de guerre mondiale et de guerre civile intérieure. Tous manœuvrent dans le contexte politique créé par le pyromane-pyromane de l’Elysée, aucun ne se lève pour éteindre le feu qui brûle notre maison France.

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I. Le Rassemblement national

Nous nous pencherons d’abord, compte-tenu de son succès électoral, sur le camp de Jordan Bardella et du RN. En quoi consiste sa dédiabolisation ?

1) À soutenir la livraison d’armes à l’Ukraine et à applaudir aux apparitions de Volodymir Zelensky. Ils ont donc rallié le parti de la guerre, comme les deux autres Rassemblements. Seul bémol, ils affirment qu’ils refuseront de livrer des armes de longue portée pouvant atteindre le territoire russe, ainsi que la présence officielle ou officieuse de militaires français sur le territoire ukrainien. Ce n’est toutefois qu’une pétition de principe, car si Marine Le Pen avait un moment envisagé le retrait du commandement militaire intégré de l’OTAN, il n’en est plus question aujourd’hui, alors que l’OTAN entend s’étendre dans le domaine économique, porter son emprise jusqu’au Pacifique et défendre la politique allemande imposant un bouclier aérien à l’Europe, reposant sur des technologies allemandes, américaines et israéliennes. Dans ces conditions, demeurer au sein de l’OTAN tout en prétendant maintenir la souveraineté et la défense de la France revient tout simplement à mentir.

2) En renonçant à la quasi-totalité de ses réformes sociales pour rassurer les marchés, le RN se soumet à la domination de l’oligarchie financière de la City et de Wall Street, qui fait la loi sur ces marchés. Cette oligarchie forme le parti de la guerre, dans l’illusion de sauver sa bulle de spéculation financière en soumettant par tous les moyens ceux qui ne se sont pas ralliés à elle. De fait, Jordan Bardella et Marine Le Pen se sont pliés aux bons conseils de François Durvye, Pierre-Edouard Stérin et de bien d’autres encore, comme Vincent Bolloré, qui représentent la faction identitaire-internationaliste du patronat de notre pays, c’est-à-dire les collaborateurs de fait du monde de la City et de Wall Street.

3) On dira que seuls les imbéciles sont incapables de changer, mais dans tous les domaines, l’opportunisme déborde au RN. Prenons deux exemples. Jadis opposée au nucléaire, Marine Le Pen l’a ensuite considéré comme un moindre mal, pour s’en faire aujourd’hui le chantre décomplexé. Il est clair que ce n’est pas par compétence scientifique. Le RN du « Durafour crématoire » et de ses fondateurs respectivement SS et OAS, auprès de Jean-Marie Le Pen, est devenu ardemment gaulliste et défenseur de notre communauté juive, voire du gouvernement israélien actuel. Il est clair que ce n’est pas par humanisme œcuménique que Marine Le Pen a déclaré le 29 mai que « le Front national a toujours été sioniste ». Si elle-même et Jordan Bardella sont favorables à la reconnaissance d’un Etat palestinien, ils pensent, comme Emmanuel Macron, que ce n’est « pas encore le moment de le faire ». De plus, comme leurs adversaires le proclament, il est tout aussi clair que beaucoup de leurs candidats n’ont pas pris le tournant verbal requis.

4) Reste, par-delà les domaines mentionnés ci-dessus, ce sur quoi le RN n’a pas changé : l’immigration et la sécurité. Posant deux vraies questions, il leur apporte des réponses incompétentes ou excessives. Car ces problèmes ne peuvent trouver de solution que dans un cadre international de sécurité et de développement mutuels. Deux exemples. Le RN réclame la suppression de l’Aide médicale de l’Etat, ce dispositif de prise en charge des soins pour les étrangers en situation irrégulière, pour la remplacer par une « aide d’urgence vitale ». Ce qui paraît acceptable sur le papier en raison de nombreux abus, mais qui est en réalité contraire au serment d’Hippocrate. Par ailleurs, cela amènerait à accueillir dans nos hôpitaux des malades souffrant de pathologies plus lourdes que s’ils avaient pu être soignés plus tôt, à un coût donc plus élevé, et créant des réservoirs d’épidémies. Seul un ordre international de développement mutuel permettrait de financer sur place des services de santé leur assurant un traitement de meilleure qualité.

Le RN veut changer au sein d’un système financier qui bloque tout changement

Second exemple, le RN réclame une priorité nationale en matière d’emploi. Or c’est déjà, en principe, prévu : vérifier qu’aucun Français ou européen n’est disponible pour un emploi est légal, le vrai problème étant qu’on ne dispose pas des moyens humains pour le faire. Et l’on pourrait continuer longtemps cet examen. Le RN veut changer au sein d’un système financier qui bloque tout changement, sans stratégie pour faire sauter le verrou financier. À terme, il discréditera le changement.

II. Le Nouveau Front populaire

Le meilleur allié du RN est la nature de ses opposants.

Le meilleur allié du RN est la nature de ses opposants. Des défaillances de tous ceux qui ont gouverné jusqu’ici, il tire l’argument massue du « celui-là on ne l’a pas essayé, ça ne peut pas être pire ». Ne nous attardons pas sur Emmanuel Macron, qui a fait le lit du RN par calcul politique, en jouant au poker avec nos vies et en chassant constamment sur ses terres idéologiques. Ses manœuvres n’ont fait que renforcer le RN, y compris par l’aimable accueil réservé à Jordan Bardella lors des entretiens de Saint-Denis, qui en a reconnu l’« effet booster » sur sa campagne. En même temps, Macron a pris la tête du parti de la guerre au sein de l’Alliance atlantique et a vendu notre industrie à la découpe. Nous ne nous étendrons pas davantage sur son cas, tant ses fissurations sont devenues des plaies béantes que tous peuvent constater.

Reste le Nouveau Front populaire, dont toutes les composantes ont fait, elles aussi, le jeu du RN. Le Parti socialiste a mené une politique plus que complaisante vis-à-vis des intérêts financiers, ce qui lui a fait perdre son électorat populaire. En pariant sur le réflexe identitaire des banlieues pour capter politiquement son indignation et en entretenant une rageophilie verbale, Jean-Luc Mélenchon a privé la gauche du report de voix nécessaire pour remporter quelque élection que ce soit.

1) Dans ces conditions, le Nouveau Front populaire est clairement le résultat d’un accord électoral et non d’un projet politique. Le mariage des carpes Glucksmann et Hollande et des lapins Mélenchon et Bompard, sans parler de la fée verte Tondelier, malgré leurs talents respectifs, ne peut susciter que l’incrédulité à un peuple qui sait que les politiques lui ont volé son « non » à la Constitution européenne en 2005. Le jeune enthousiasme de ceux qui ne se souviennent pas de la trahison de la Gauche unie, en 1972-1973, ou la résignation de ceux à qui aucun autre remède vis-à-vis du RN n’est offert, ne peuvent tenir lieu de projet politique. L’accès au pouvoir serait synonyme de dislocation.

2) Plus grave encore, lorsque le NFP s’engage à « défendre indéfectiblement la liberté et la souveraineté du peuple ukrainien, ainsi que l’intégrité de ses frontières », notamment par « la livraison d’armes nécessaires », cela revient à dire, en novlangue orwellienne : la paix c’est la guerre. Car il est évident qu’aujourd’hui, en continuant à envoyer des armes à l’Ukraine, on soumet jusqu’au bout le peuple ukrainien au massacre. Ou, si l’on entend aller plus loin, il faut dire clairement qu’on est prêt à créer les conditions d’un conflit de haute intensité en Europe, auquel aucune armée européenne n’est préparée ou, au pire, à aller jusqu’à une guerre nucléaire avec la Russie, qui nous anéantirait sans doute tous. Les dirigeants du NFP le savent et nous trompent sciemment. Alors qu’il faut saisir au bond, sans angélisme ni arrière-pensées, les propositions de paix du pape François, du président Lula et de la Chine, ainsi que les offres faites par Vladimir Poutine dans son allocution du 14 juin aux responsables du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie. C’est « partir du principe que la future architecture de paix est ouverte à tous les pays eurasiatiques qui souhaitent y participer. ‘A tous’ fait également allusion aux pays européens et membres de l’OTAN, bien entendu. » Cette occasion doit être saisie dès aujourd’hui, car demain, la situation internationale ne pourra qu’être pire. La paix de Westphalie est l’exemple dont on doit s’inspirer pour comprendre qu’un ordre gagnant-gagnant devient possible dès qu’on participe à un projet commun.

3) Les promesses en matière sociale, dont beaucoup sont intéressantes et justifiées, ne pourront être tenues dans l’ordre du système actuel. Leur coût, évalué à 150 milliards, et l’espoir d’obtenir les recettes correspondantes dans le cadre du système existant, au sein de l’OTAN-UE et sans mentionner notre atout nucléaire, empêchent de prendre au sérieux la façon dont elles sont présentées et discréditent l’ensemble. Non pas que ces dépenses soient inutiles, au contraire, mais seule une politique internationale opposée à l’actuelle permettra de les mettre en œuvre. C’est ce que proposent Nouvelle Solidarité et l’Institut Schiller : une nouvelle architecture internationale de paix par la sécurité et le développement mutuels, ouvrant le jeu dans notre pays à une vraie politique du peuple, par le peuple et pour le peuple, avec tous les principes sociaux qui se trouvent inscrits dans le Préambule de notre Constitution. C’est la première étape d’une alliance entre les nations du Sud global, qui revendiquent leur souveraineté, et notre propre politique de souveraineté nationale, dans l’intérêt de nos citoyens et de nos travailleurs.

Le reste n’est qu’illusion et tromperie. Je comprends que certaines et certains veuillent voter pour « éviter le pire », en déposant des bulletins de vote souvent opposés. Je ne pratique cependant pas la politique du moindre mal ni de l’abstention. Je soutiendrai tous ceux qui se prononceront clairement contre la guerre et l’oligarchie financière. Avec ses six candidats, Solidarité & Progrès donne l’exemple, comme autant de missiles et de torpilles pour la paix. Les conditions contraires aux principes d’équité et de légitimité dans lesquelles se déroulent ces élections ne doivent en aucun cas nous mener à un lâche pessimisme. Au contraire, je suis convaincu que d’un mal peut toujours sortir un bien supérieur, pourvu qu’il y ait des êtres humains déterminés, explorateurs et inspirateurs, pour donner l’exemple. Du chaos qui nous attend après le 7 juillet peut sortir le pire ou le meilleur. Cela dépend de chacun d’entre nous.