1962 : crise des missiles de Cuba
2024 : crise des radars d’alerte nucléaire

mardi 4 juin 2024

Les multiples frappes opérées ces derniers jours par l’Ukraine – avec le soutien logistique occidental – à l’intérieur de la Russie, ciblant son infrastructure radar antimissile nucléaire, amènent le monde à un point extrême de danger de guerre nucléaire, dépassant en gravité la crise des missiles de Cuba d’octobre 1962.

En effet, ces attaques de drones, dirigées sur des sites du kraï de Krasnodar (à Armavir) et d’Orenbourg (à Orsk), franchissent la ligne rouge de ce que la Russie considère comme une menace existentielle, ainsi que le gouvernement russe l’avait explicitement énoncé par écrit en juin 2020, précisément dans le but d’éviter de telles violations et une escalade vers la guerre mondiale. Selon Mikhaïl Rostovski, un analyste stratégique proche de Vladimir Poutine, les dirigeants occidentaux feraient bien de comprendre que le président russe ne bluffe pas lorsqu’il menace d’utiliser des armes nucléaires.

Dès le 25 mai, au lendemain de la première frappe de drone ukrainien sur la station radar d’Armavir, et tandis que l’ensemble des médias restaient silencieux, l’Institut Schiller a publié un communiqué intitulé « Alerte rouge : une attaque ukrainienne sur un radar russe d’alerte précoce menace de déclencher une guerre mondiale nucléaire », le diffusant à un large réseau international. En Algérie, la chaîne de télévision satellitaire AL24 News (500 000 abonnés) a donné 25 minutes d’antenne à un représentant de l’Institut Schiller, lors d’une émission de grande écoute, pour présenter les enjeux de la crise.

Le Washington Post sort du silence

Ce n’est que plusieurs jours après que certains médias occidentaux commencèrent à en parler, notamment le Washington Post, avec un article du 29 mai intitulé « Les États-Unis préoccupés par la frappe de l’Ukraine sur les stations radar nucléaires russes », dans lequel plusieurs hauts responsables du gouvernement expriment leur inquiétude.

« Washington a fait savoir à Kiev que les attaques contre les systèmes d’alerte précoce russes pourraient être déstabilisantes », rapporte le quotidien américain. La journaliste Ellen Nakashima, spécialiste des questions stratégiques, y écrit : « Les États-Unis craignent que les récentes frappes de drones ukrainiens visant les systèmes d’alerte précoce nucléaires russes ne déstabilisent dangereusement Moscou, à un moment où l’administration Biden envisage de lever les restrictions imposées à l’Ukraine sur l’utilisation d’armes fournies par les États-Unis, pour des attaques transfrontalières. » Nakashima cite un « responsable américain » resté anonyme : « Ces sites n’ont pas été impliqués dans le soutien à la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Mais ce sont des endroits sensibles, car la Russie pourrait percevoir que ses capacités de dissuasion stratégique sont ciblées, ce qui pourrait saper sa capacité à maintenir la dissuasion nucléaire vis-à-vis des États-Unis. »

Le Washington Post cite également Dmitri Alperovitch, fondateur de CrowdStrike : « Les attaques de Kiev contre l’infrastructure de dissuasion nucléaire russe ont le potentiel de déclencher une escalade périlleuse avec l’Occident. En fin de compte, les sites de commandement et de contrôle nucléaires et d’alerte précoce devraient être mis hors de portée. »

« Poutine ne bluffe pas »

Il faut croire que cette situation provoque des sueurs froides dans les chancelleries occidentales. Le 31 mai, au moment même où Washington et Berlin donnaient à l’Ukraine l’autorisation de frapper le territoire russe avec des armes américaines et allemandes, le quotidien italien Corriere della Sera publiait un article citant des commentateurs de médias russes qui avertissent que Poutine ne bluffe pas lorsqu’il menace d’utiliser des armes nucléaires si la ligne rouge est franchie. L’un d’eux, Mikhaïl Rostovski, qui écrit pour Moskovsky Komsomolets, est décrit comme « un commentateur cher au président russe ».

Rostovski prévient que la réponse de Poutine à la question sur la décision de l’Otan d’autoriser Kiev à frapper à l’intérieur du territoire russe n’était « qu’apparemment emballée dans des considérations techniques. Derrière cette série de détails, se cache un ultimatum absolument sans équivoque ».

« La situation est plus grave que la crise des missiles de Cuba de 1962, affirme Rostovski. À l’époque, il n’y avait que deux acteurs, Nikita Khrouchtchev et John F. Kennedy. Aujourd’hui, il y a une vraie foule du côté de l’Occident. Washington reste, sans aucun doute, le leader, mais il y a d’autres ‘leaders’ qui se présentent. À quel niveau de provocation réagirons-nous de la manière dont Poutine y fait allusion ? Nous n’avons pas encore atteint le point de non-retour, et j’espère que nous ne l’atteindrons pas. Mais j’espère aussi qu’en Occident, on écoute mieux Vladimir Vladimirovitch [Poutine] et que l’on comprenne qu’il ne bluffe pas. »

La Russie met en garde l’Otan

Le 31 mai, Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe, a averti sur sa chaîne Telegram que les pays de l’Otan ayant approuvé l’utilisation de leurs armes pour frapper le territoire russe, doivent savoir que leurs équipements et leurs personnels seront ciblés non seulement en Ukraine, mais également dans tout pays d’où la Russie pourrait être attaquée.

Pour Moscou, toutes les armes à longue portée fournies à l’Ukraine sont de fait « directement contrôlée par le personnel militaire des pays de l’Otan. Il ne s’agit en aucun cas d’une simple ‘assistance militaire’, mais d’une participation à une guerre contre la Russie, affirme Medvedev. Et de telles actions pourraient bien devenir un casus belli. L’Otan devra décider comment qualifier les conséquences d’éventuelles frappes de représailles sur les équipements/installations/personnel militaires des différents pays du bloc, dans le contexte des articles 4 et 5 du traité de Washington. »

Au Kremlin, le porte-parole Dmitri Peskov accuse les pays de l’Alliance atlantique, les États-Unis en particulier, d’avoir délibérément intensifié ces derniers jours les tensions autour du conflit ukrainien. « Ils le font délibérément, nous entendons beaucoup de déclarations belliqueuses, a-t-il déclaré. Cela ne fait que provoquer un regain de tension. Les pays de l’Otan provoquent l’Ukraine à poursuivre une guerre insensée avec la Russie. Cela se fera en fin de compte au détriment des pays qui ont emprunté la voie de l’escalade des tensions. »

Les propos tenus le 28 mai par le commentateur Mark Whitney résument bien ce que Poutine a dit lors de sa conférence de presse en Ouzbékistan, concernant le déploiement des armes conventionnelles tactiques occidentales par l’Ukraine : « Ce que Poutine tente de faire valoir, c’est que les missiles à longue portée sont fabriqués par l’Otan, fournis par l’Otan, exploités et lancés par des sous-traitants de l’Otan, dont les cibles sont sélectionnées par des experts de l’Otan à l’aide des données de reconnaissance spatiale fournies par l’Otan. À tous égards, le tir potentiel d’armes de précision à longue portée sur des cibles en Russie est une opération Otan/États-Unis. Il ne devrait donc y avoir aucune confusion quant à la responsabilité. C’est l’Otan qui est responsable, ce qui signifie qu’elle a effectivement déclaré la guerre à la Russie. »

« Ces présidents américains qui jouent avec l’Armageddon nucléaire »

Dans un article publié le 29 mai sur Common Dreams, l’économiste américain Jeffrey Sachs met en garde sur la situation gravissime actuelle, tout en la replaçant dans la perspective des trente dernières années : « La politique étrangère imprudente et incompétente de Joe Biden nous rapproche de l’anéantissement. Il rejoint une longue liste de présidents qui ont joué avec l’Armageddon, y compris son prédécesseur et rival immédiat, Donald Trump. »

« On parle actuellement de guerre nucléaire, poursuit Sachs. Les dirigeants des pays de l’Otan appellent à la défaite et même au démembrement de la Russie, tout en nous disant de ne pas nous inquiéter des 6000 ogives nucléaires russes. L’Ukraine utilise des missiles fournis par l’Otan pour détruire des éléments du système russe d’alerte précoce d’attaque nucléaire. La Russie, quant à elle, se livre à des exercices nucléaires près de sa frontière avec l’Ukraine. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg donnent à l’Ukraine leur feu vert pour utiliser les armes de l’Otan pour frapper le territoire russe comme le juge bon un régime ukrainien de plus en plus désespéré et extrémiste. »

L’économiste rappelle également la crise des missiles de Cuba, se référant à JFK comme à « l’un des rares présidents américains de l’ère nucléaire à avoir pris au sérieux notre survie ». Il cite le discours de Kennedy à l’American University, le 10 juin 1963, dans lequel il avait souligné que « les puissances nucléaires doivent éviter les confrontations qui amènent l’adversaire à devoir choisir entre une retraite humiliante ou une guerre nucléaire (…). Adopter ce genre d’attitude à l’ère nucléaire ne serait que la preuve de la faillite de notre politique – ou un désir de suicide collectif pour l’ensemble du monde ».

Revenant alors sur « l’horloge de l’apocalypse », créée en 1947 par le Bulletin of the Atomic Scientists, Jeffrey Sachs rappelle comment elle a avancé ou reculé sous divers présidents : Eisenhower et JFK avaient fait reculer cette horloge ; plus tard, seuls Reagan et Bush père y sont parvenus, grâce à des contrats d’armement et autres arrangements diplomatiques avec la Russie et la Chine. « Aujourd’hui, Biden a porté l’horloge à 90 secondes [avant minuit] en entraînant les États-Unis dans trois crises explosives, dont chacune pourrait se terminer par un Armageddon  », écrit Sachs, évoquant le soutien du président américain à l’avancée de l’Otan vers l’Est en Ukraine, outrepassant la ligne rouge tracée par la Russie, son soutien au génocide israélien en Palestine et ses provocations vis-à-vis de la Chine.

L’économiste américain conclut en s’inspirant de Kennedy : « Nous devons crier pour la paix depuis le sommet de chaque colline. La survie de nos enfants et petits-enfants en dépend. »

Ce que vous pouvez faire

  • Envoyer notre lettre aux élus à votre député(e) et votre sénateur ou sénatrice [1], ou leur écrire votre propre lettre pour les informer de la gravité de la situation et exiger d’eux qu’ils agissent de toute urgence en faveur de négociations de paix.
  • Vous inscrire à la prochaine visio-conférence internationale organisée par nos amis de l’Institut Schiller les 15 et 16 juin prochain : infos et inscription ici.
  • Participer dès ce vendredi à la réunion de la Coalition internationale pour la paix sur Zoom (17h-19h) : envoyer un courriel à questions@schillerinstitute.org ou appeler au 07 83 34 26 75.
  • Nous soutenir par un don ou en adhérant.

[1Les coordonnées des élus se trouvent sur le site de l’Assemblée Nationale et du Sénat, mais également sur des annuaires en ligne : https://www.voxpublic.org/spip.php?page=annuaire&cat=deputes&lang=fr ou https://www.nosdeputes.fr/deputes par exemple