L’Allemagne entraînera-t-elle la France dans sa chute ?

samedi 23 septembre 2023

Chronique stratégique du 27 septembre 2023

En 2022, l’Allemagne est de loin le premier partenaire commercial de la France, bien que sa part se réduise tendanciellement. La France est quant à elle le quatrième partenaire de l’Allemagne. Par ailleurs, notre voisin est le deuxième investisseur étranger en France derrière les Etats-Unis. Les relations économiques entre la France et l’Allemagne sont soutenues par un dispositif étoffé d’appui au commerce extérieur, notamment à destination des PME et des ETI.

Pendant la majeure partie de ce siècle, l’Allemagne a enchaîné les succès économiques, renforcée par une monnaie commune au détriment des autres membres de la zone euro. En s’appuyant sur un approvisionnement en hydrocarbures peu chers en provenance de l’Est, l’Allemagne arrivait, par son savoir faire industriel et des grosses PME, à générer une plus-value conséquente en exportant des produits haut de gamme tels que des voitures de luxe et des machines industrielles en partie produite en Europe de l’Est. La moitié de son économie reposait sur ces exportations, le chômage était faible et les caisses de l’État se remplissaient alors que les autres pays européens croulaient sous les dettes... en attendant des touristes allemands.

Plus grand contributeur financier de l’UE, l’Allemagne est devenue aujourd’hui « l’homme malade de l’Europe ». Avec l’explosion des prix de l’énergie, une transition énergétique forcée, le protectionnisme américain et la montée des capacités industrielles des pays des BRICS, l’Allemagne se retrouve selon certains comme « la grande économie développée la moins performante au monde ».

L’Association allemande de l’automobile a récemment indiqué que plus d’un cinquième de ses membres délocalisaient à l’étranger. La plus grande entreprise chimique du monde, BASF, a fait la Une des journaux début 2023 pour avoir délocalisé une partie de sa production vers la Chine. La raison : trop de paperasserie et de réglementation en Allemagne et des coûts énergétiques trop élevés. Les politiciens allemands attribuent ces coûts élevés à la guerre en Ukraine. En réalité, « grâce » à la sortie du nucléaire opérée par Mme Merkel, les fabricants allemands payaient leur électricité environ 50 % plus cher que les entreprises américaines bien avant le début de la guerre et le sabotage du gazoduc NordStream par les services américains. Enfin, le taux d’émigration en Allemagne est déjà le troisième plus élevé des 38 principales nations industrielles – et les trois quarts de ceux qui partent sont titulaires d’un diplôme universitaire.

A ce jour, aussi bien le Fonds monétaire international (FMI) que l’UE s’attendent à ce que l’Allemagne se contracte cette année. Hier encore citée comme l’exemple à suivre, elle ne l’est plus aujourd’hui.

Le 27 juillet, Helga Zepp-LaRouche, dans un article publié à la UNE de notre confrère Neue Solidarität, analyse la situation et esquisse des pistes de sortie de crise.

Réveillons-nous !

Nous sommes en train de perdre l’Allemagne ! Une autre politique s’impose !

Par Helga Zepp-LaRouche

Si les citoyens allemands prenaient pleinement conscience de ce qui arrive à l’Allemagne depuis un certain temps, ils seraient des millions dans la rue à exiger un changement immédiat de politique. La désindustrialisation est en marche, et avec elle, non seulement notre prospérité, mais aussi tous nos systèmes sociaux - santé, éducation, retraites, etc. - passent à la trappe. Le niveau de vie d’un Etat défaillant nous menace. Nous sommes entièrement intégrés dans une politique étrangère « fondée sur des règles » qui doit cimenter l’hostilité envers la Russie et ruiner les relations avec la Chine. Toute notre politique est adaptée aux intérêts du complexe militaro-industriel américain, ce qui nous ruine économiquement et entraîne le risque d’une escalade vers la troisième guerre mondiale.

Certains sonnent l’alarme : L’Institut de l’économie allemande (IW) rapporte, pour l’année dernière, une réduction de 125 milliards d’euros d’investissements directs de plus, ce qui représente « les sorties nettes les plus élevées jamais enregistrées en Allemagne ».

Les entreprises étrangères n’y ont plus investi directement que 10,5 milliards d’euros (l’implantation de Tesla près de Berlin n’a pas encore été prise en compte ici). La Fédération de l’industrie chimique (VCI) prévoit une baisse des ventes de 14 à 16 % cette année. Le vice-président de la VCI, Markus Steilemann, met en garde : « La maison brûle » !

Selon Clemens Fuest, chef de l’Institut économique IFO, la désindustrialisation est déjà en marche, les secteurs clés de l’automobile et de la chimie se sont effondrés depuis longtemps, la production dans l’industrie automobile ne représente plus aujourd’hui que les deux tiers de celle de 2018 et la tendance est à la baisse. L’Union allemande des industries (BDI) annonce que 16 % des entreprises moyennes ont déjà commencé à délocaliser leur production à l’étranger, 30 % en plus l’envisagent sérieusement. Cela fera donc 46 % !

La raison en est que les conditions d’implantation en Allemagne se sont dramatiquement détériorées, en premier lieu à cause de la hausse massive des prix de l’énergie. Ceux-ci sont le résultat des effets des sanctions contre la Russie, imposées en premier lieu par les Etats-Unis, qui ont commencé bien avant la guerre d’Ukraine.

Le sabotage des gazoducs Nord Stream, dont le journaliste d’investigation américain Seymour Hersh rend l’administration Biden responsable, a, dans les circonstances actuelles, anéanti la possibilité de réduire les coûts énergétiques par la réouverture des gazoducs et l’approvisionnement en gaz naturel russe bon marché qui en résulte. Au lieu de cela, l’Allemagne est désormais plus dépendante de l’énergie que jamais - mais cette fois-ci des États-Unis et du GNL américain, qui coûte plusieurs milliards.

Avec la loi américaine Inflation Reduction Act (IRA) et les subventions qui en découlent pour ceux qui investissent aux Etats-Unis, l’administration Biden incite désormais les industries qui sont asphyxiées en Allemagne en raison des prix élevés de l’énergie à se délocaliser aux Etats-Unis. Le principe « America First » prévaut de manière impitoyable, et il ne sert à rien que le chancelier Scholz répète sagement au Président Biden qu’on « fera tout ensemble » dans l’alliance transatlantique.

Une autre raison de la fuite de nos grandes PME vers l’étranger réside dans la montagne de règles et de normes européennes, généralement en lien avec le « Green Deal » d’Ursula von der Leyen et la politique des Verts, et à une pénurie massive de main-d’œuvre qualifiée, elle-même résultat de décennies de politiques néfastes.

Toralf Haag, patron de l’entreprise familiale Voith fondée en 1825, a souligné au journal Welt qu’il avait dû embaucher 30 nouveaux employés administratifs au cours des deux dernières années en raison de l’avalanche de réglementations et qu’en raison de ces conditions, l’industrie allemande risquait non seulement de « perdre son ADN », mais aussi tout potentiel pour l’avenir.

[TITRE]Une incompétence basée sur l’idéologie

Outre les raisons géostratégiques de la désindustrialisation de l’Allemagne, il y a l’incompétence basée sur l’idéologie de la politique économique des Verts, qui sape désormais la productivité de l’économie au vu et au su de tous. Ainsi, il apparaît désormais que tous les parcs éoliens offshore ne sont pas rentables en raison de l’augmentation de l’inflation. Les coûts sont tels qu’ils ne pourront probablement plus être construits. A cela s’ajoute que la plupart des lignes électriques qui auraient dû transporter l’électricité vers les Länder (régions) du sud n’ont pas été conçues pour les énormes quantités d’électricité éolienne et solaire et que de nombreuses installations ne peuvent même pas être raccordées au réseau.

Mais on constate également une chute massive dans la rénovation du logement ainsi que la vente des matériaux d’isolation thermique et des pompes à chaleur. Dans une lettre ouverte adressée au gouvernement fédéral le 19 juillet, quinze associations professionnelles, de consommateurs, de protection de l’environnement et du climat, ont fait part de leur grande inquiétude face à la menace d’un effondrement du taux de rénovation des bâtiments. « Une vague de licenciements menace le secteur et sa main-d’œuvre qualifiée. Les entreprises qui ont développé des capacités, suite à des signaux politiques, ne peuvent pas les maintenir en cas de manque de demande », écrivent-ils.

La situation est encore pire que dans l’industrie et la construction. La demande de construction de logements neufs s’est effondrée malgré une pénurie catastrophique de logements à prix abordable. Ce recul massif dans le bâtiment se manifestera encore plus violemment lorsque les commandes en cours seront réalisées.

La liste pourrait encore s’allonger considérablement.

Tout cela va encore s’aggraver de manière dramatique, avec des banques centrales qui veulent veulent combattre avec des taux élevés l’inflation qu’elles engendrent elles-mêmes par des injections de liquidités. Le système financier néolibéral est massivement endetté avec des milliards de contrats de produits dérivés en cours spéculant sur l’avenir des dettes.

Conclusion

Celui qui, face à cette situation globale, compte sur les « forces d’autoguérison du marché » et veut s’en tenir à imposer un « plafond à l’endettement », comme le chef du FDP Lindner, ne comprend pas plus la situation réelle de l’économie allemande que l’auteur de livres pour enfants Habeck - dont on ne sait pas vraiment s’il manipule des moules à sable au ministère de l’Économie sans savoir ce qu’il fait ou s’il ne se réjouit pas secrètement que sa politique verte ait le résultat escompté.

La question décisive est de savoir si, face à ce danger existentiel pour l’Allemagne, il se trouve suffisamment de représentants de l’industrie, de PME, de comités d’entreprise ou même de personnes prêtes à rompre avec cette politique étrangère et économique autodestructrice esquissée et à se porter garantes d’une politique dans l’intérêt souverain de l’Allemagne. L’establishment politique ne le fait en tout cas pas, mais se prépare manifestement à confier sa fortune aux manœuvres de Wall Street et de la City de Londres - peu importe les conséquences pour le site industriel allemand et donc le niveau de vie des salariés, et peu importe si nous risquons notre existence physique par cette soumission totale à la politique de l’OTAN.

Nous avons besoin d’un changement fondamental en direction d’une politique qui représente à nouveau les intérêts intrinsèques de l’Allemagne en tant que nation industrielle et exportatrice. Pour ce faire, nous devons mettre au placard tout le paradigme néolibéral et vert dans lequel nous avons été peu à peu entraînés depuis le début des années 70 et l’hérésie malthusienne des prétendues « limites de la croissance » du Club de Rome.

Nous devons nous souvenir de notre identité en tant que « peuple de poètes, de penseurs et d’inventeurs », et de notre capacité à augmenter l’efficacité de notre action dans l’univers grâce à des découvertes scientifiques de principes physiques universels.

En effet, la croissance ne signifie pas une augmentation quantitative, comme les Verts veulent nous le faire croire, mais elle signifie le développement qualitatif supérieur systématique de l’humanité, la domination croissante de la noosphère sur la biosphère dans l’esprit de Cues, Kepler, Leibniz, Einstein et Vernadski.

Notre intérêt souverain est également de coopérer avec la « majorité planétaire » de l’humanité, c’est-à-dire les nations du Mouvement des non-alignés qui, avec les pays BRICS-PLUS, construisent un nouveau système économique dans lequel le bien commun de tous est la base de la coopération.

Cela signifie que nous ne devons pas nous laisser imposer une politique dite de « de-risking » avec la Chine, en réalité un autre mot pour un découplage dans le cadre d’un affrontement qui ne peut aboutir qu’à une Troisième Guerre mondiale.

Et au lieu de nous soumettre de manière autodestructrice à la politique d’affrontement de l’OTAN, où le bien commun des citoyens de notre pays est sacrifié sur l’autel de la militarisation de notre économie, l’Allemagne doit s’engager pour le rétablissement de la paix et peser de tout son poids en faveur des initiatives du pape François, du président Xi Jinping, du président Lula et du groupe d’États africains, qui s’engagent tous pour une solution diplomatique à la guerre en Ukraine.

Face au « démontage » complet de l’Allemagne qui s’opère sous nos yeux, il est ahurissant de constater à quel point notre société est paralysée. Ne comprenons-nous vraiment pas que tout ce que des générations ont reconstruit sur des ruines depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale est sur le point d’être perdu ? Que tout ce que l’Allemagne a produit en matière de grande culture, de musique classique et de poésie, risque d’être effacé par une contre-culture abjecte qui détruit notre sens d’humanité ?

Si l’on craint d’être entendu en exprimant une opinion différente de celle des médias grand public et que l’on préfère donc s’adapter par crainte des conséquences sociales, il faut se rendre compte que les conséquences de la politique actuelle sont encore plus à craindre.

L’émergence d’un nouvel ordre économique mondial, dans lequel les nations d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine veulent définitivement mettre fin au colonialisme des 600 dernières années, ne peut plus être stoppée, sauf par une guerre mondiale. Faisons en sorte que l’Allemagne se place du bon côté de l’histoire.