La Cour internationale de justice ordonne à Israël de cesser ses actes de génocide

lundi 29 janvier 2024

Chronique stratégique du 29 janvier 2024

Vendredi 26 janvier, la Cour internationale de justice de La Haye (CIJ) a statué que l’Afrique du Sud avait présenté un cas plausible selon lequel Israël violait la Convention sur le génocide à Gaza ; qu’il y avait, bel et bien, un « risque de génocide ». Elle ne s’est pas prononcée sur le fond de l’affaire, mais a ordonné que des mesures conservatoires (des mesures d’urgence contraignantes) soient prises par Israël dans le mois qui suit pour empêcher le risque de génocide que la Cour reconnaît. Comme l’a déclaré Jacques Cheminade, le résultat est déjà très important ; : « c’est une reconnaissance qu’il y a un sujet, que des mesures conservatoires doivent être prises, et qu’Israël doit en rendre compte. »

D’ailleurs, parallèlement aux délibérations de la Cour de la Haye, un tribunal fédéral américain vient d’ouvrir un procès pour génocide contre le président Biden (voir ci-dessous).

Mais revenons aux ordonnances qui, comme l’indique le site de la CIJ, ont un caractère obligatoire :

  1. L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants : a) meurtre de membres du groupe ; b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe.
  2. L’État d’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus.
  3. L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza.
  4. L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza.
  5. L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza.
  6. L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci.
  7. Sur les 17 juges de la Cour, seule la juge Julia Sebutinde de l’Ouganda a voté contre l’ensemble des six ordonnances. Le juge ad hoc nommé par Israël, le juge Barak, a également voté contre quatre ordonnances. La juge Sebutinde a joint une opinion dissidente et le juge ad hoc Barak a annexé une opinion distincte à l’ordonnance de la Cour. Il convient de noter que le juge Barak a voté en faveur de la prévention et de la punition des actes d’incitation au génocide, dont la bureaucratie israélienne a de nombreux exemples, et en faveur de mesures d’aide qui s’attaquent efficacement au spectacle d’horreur dans la bande de Gaza.

L’Afrique du Sud salue la décision de la CIJ

Suite à la décision de la Cour de la Haye, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a déclaré qu’il s’agissait d’une « victoire pour le droit international » :

« Après plus d’un demi-siècle d’occupation, de dépossession, d’oppression et d’apartheid, le cri du peuple palestinien en faveur de la justice a été entendu par un éminent organe des Nations Unies, a-t-il déclaré. Aujourd’hui, Israël se tient devant la communauté internationale, ses crimes contre les Palestiniens mis à nu. Depuis octobre de l’année dernière, la population de Gaza est victime de bombardements et de frappes terrestres, maritimes et aériennes. Des maisons, des camps de réfugiés et des quartiers entiers ont été détruits, et même les hôpitaux et les lieux de culte n’ont pas été épargnés ».

Exprimant l’espoir de voir l’État hébreu respecter ces ordonnances judiciaires, la ministre sud-africaine des Relations internationales, le Dr Naledi Pandor, a affirmé que, quoi qu’il en soit, les très puissants amis internationaux d’Israël devront tenir compte de la conclusion de la CIJ. Interrogée sur le fait que les États-Unis et l’Allemagne ont déclaré que le dépôt de l’Afrique du Sud était « sans fondement », elle a souligné que le travail de la Cour consiste à délibérer sur la preuve du génocide, tandis que les pays qui ont rejeté la plainte devraient prêter attention aux dispositions concernant les complices de génocide.

Enfin, le juriste Francis Boyle, connu pour avoir appliqué avec succès la Convention sur le génocide pour la Bosnie devant la CIJ en 1993, a commenté aujourd’hui : « Il s’agit d’une victoire juridique massive et écrasante pour la République d’Afrique du Sud contre Israël au nom des Palestiniens. L’Assemblée générale de l’ONU peut maintenant suspendre Israël de la participation à ses activités, comme elle l’avait fait pour l’Afrique du Sud et la Yougoslavie. Il peut admettre la Palestine en tant que membre à part entière. Et, établir un tribunal pour poursuivre les plus hauts responsables du gouvernement israélien, civils et militaires ».

L’Allemagne et les États-Unis, qui avaient dénigré avec arrogance la plainte de l’Afrique du Sud, ont tenté pathétiquement de sauver la face. Dans une déclaration publiée en anglais sur le site du ministère allemand des Affaires étrangères, la ministre Annalena Baerbock a déclaré que, même si « la Cour internationale de Justice ne s’est pas prononcée sur le fond de cette affaire, (...) Israël doit se conformer à l’ordonnance de la Cour ». Outre-Atlantique, un porte-parole du département d’État américain a déclaré : « Nous continuons de croire que les allégations de génocide sont infondées et notons que la Cour n’a pas conclu à ce qu’il s’agissait d’un génocide ». Soulignons à cet égard que la Cour n’était pas tenue de prendre une décision finale sur le génocide lors de cette session ; cependant, elle a bel et bien statué que les allégations de génocide émises par l’Afrique du Sud étaient plausibles, et donc qu’elles n’étaient pas « sans fondement ».

Ouverture d’un procès pour génocide contre Biden

Vendredi, le jour-même des délibérations de la CIJ, le juge fédéral américain Jeffrey S. White a présidé une audience de quatre heures et demie sur la nécessité d’une action judiciaire contre le président Biden, le secrétaire d’État Blinken et le secrétaire à la Défense Austin, pour complicité directe ou indirecte dans le génocide en cours à Gaza.

White a ouvert l’audience en relatant des faits dont le monde est témoin : une « attaque brutale » le 7 octobre tuant des innocents, suivie par le meurtre « tout aussi brutal » d’enfants par Israël, « la destruction d’infrastructures, d’hôpitaux, d’écoles, etc., et de 45 % de logements ». Il a poursuivi en affirmant que « les accusés ont fourni de l’équipement et de l’assistance militaires » et « se sont rendus » dans la région pour renforcer la politique de soutien. Il a affirmé que la Convention sur le génocide interdit la complicité de génocide.

Les avocats des plaignants ont fait valoir qu’ils ne demandaient pas au tribunal de se prononcer sur une question politique, ce qui n’est en effet pas en son pouvoir, mais plutôt que, compte tenu du devoir des États-Unis « d’empêcher tout génocide », en envoyant des armes, de l’aide financière et de l’assistance à Israël, le président Biden « choisit d’ignorer » son obligation en vertu de la Convention sur le génocide.

Huit témoins ont présenté des récits personnels poignants sur « la mort, le déplacement et la destruction que leurs familles et leurs communautés » ont subis depuis le 8 octobre à Gaza, sous le feu de l’État hébreu.

En conclusion, le juge White, tout en prenant l’affaire en délibéré, est revenu sur les réalités que présente cette affaire. Face à l’horreur de ces témoignages, il a noté que le gouvernement ne conteste pas ce qui se passe, ajoutant qu’« au cours de mes 20 années à la magistrature, c’est la décision la plus difficile » qu’il aura eu à prendre. Il s’agit d’un « cas extrêmement tragique ».