Mutinerie de Prigojine : cupidité et MI6

mercredi 5 juillet 2023

Chronique stratégique du 5 juillet 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le 28 juin, l’ancien inspecteur en désarmement de l’ONU Scott Ritter a publié un long rapport sur la mutinerie de Wagner des 23 et 24 juin, apportant de nombreux détails inédits sur ces événements et sur la façon dont les troupes de Wagner sont passées du statut de héros national à la voie de l’autodestruction.

Ritter épingle notamment le commandant de Wagner, Evgeny Prigojine, pour avoir troqué sa loyauté envers l’État contre la cupidité et l’ambition personnelle. Tout tourne autour des deux contrats d’un milliard de dollars que Wagner avait conclus avec le ministère de la Défense, l’un pour combattre dans le Donbass, l’autre pour fournir des services alimentaires à l’armée russe. Lorsque ces contrats ont expiré le 1er mai — le contrat de combat a été temporairement prolongé jusqu’à la fin des combats à Bakhmout – et qu’il est devenu évident que les contrats ne seraient pas renouvelés, Prigojine s’est mis en colère contre le ministre de la défense Sergei Shoigu et le chef de l’état-major général, le général Valery Gerasimov, les accusant de corruption et de tromperie sur les livraisons de munitions à Wagner.

« L’impact de la perte par Prigojine de près de 2 milliards de dollars de contacts, combiné à un niveau croissant de paranoïa de sa part quant au fait qu’il était pris dans une lutte à la vie à la mort avec Shoigu et Gerasimov, a conduit le dirigeant de Wagner à redoubler ses attaques au vitriol contre les dirigeants militaires russes, et à créer ainsi l’impression que lui et Wagner pouvaient à eux seuls garantir la victoire militaire de la Russie sur l’Ukraine », écrit Ritter. Il ajoute un paragraphe plus loin que « l’opposition de Prigojine à Shoigu et Gerasimov, et son complot pour les supplanter, n’ont pas échappé à l’attention du gouvernement russe, ni à celle des ennemis de la Russie en Ukraine, aux États-Unis et en Grande-Bretagne ».

Le MI6, en particulier, a utilisé ses liens avec les services de renseignement ukrainiens, en coordination avec les oligarques russes contrôlés par l’agence britannique et opérant depuis Londres, pour renforcer la conviction de Prigojine qu’il avait le soutien de l’élite militaire, politique et économique russe, dont Prigojine était persuadé qu’elle se rallierait à lui une fois que Wagner commencerait à marcher sur Moscou. Bien entendu, il s’est avéré que ce n’était pas le cas.

Ritter note cependant qu’une partie de la population russe, influencée par la campagne intensive de Prigojine, continue de croire que les plaintes de ce dernier contre Shoigu et Gerasimov étaient légitimes et que, par conséquent, sa marche sur Moscou l’était aussi. « Les faits parlent autrement. Au moment où Prigojine s’est précipité sur Moscou, Sergei Shoigu et Valery Gerasimov supervisaient une campagne militaire russe qui éviscérait l’armée ukrainienne entraînée par l’Otan, lui infligeant des pertes dans un rapport de 10 à 1. Au cours des trois premières semaines de la contre-offensive ukrainienne, plus de 13 000 soldats ukrainiens ont été tués et des centaines de chars et de véhicules blindés - dont beaucoup venaient d’être fournis à l’Ukraine - ont été détruits. L’armée russe était bien équipée, bien entraînée et bien dirigée. Le moral était au beau fixe. Toute idée selon laquelle Shoigu et Gerasimov étaient professionnellement incompétents a été démentie par les faits ».

Selon l’ancien inspecteur de l’ONU, la véritable raison pour laquelle Prigojine a mis fin à la marche de Wagner vers Moscou, « c’est qu’ils ont rencontré l’armée russe à l’extérieur de Serpukhov, au sud de Moscou. Là, quelque 2 500 membres des forces spéciales russes, appuyés par l’aviation russe, les attendaient. Au même moment, quelque 10 000 membres des forces spéciales tchétchènes ‘Akhmat’ s’étaient rapprochés de Rostov-sur-le-Don, où Prigojine avait établi son quartier général, et se préparaient à prendre la ville d’assaut avec l’intention de détruire les forces de Wagner qui y étaient déployées, ainsi que leur chef. L’expérience de Wagner au combat ne pouvait pas compenser le fait qu’il n’était pas préparé à mener un combat terrestre soutenu contre les forces terrestres et aériennes russes ».

Par conséquent, Prigojine a été confronté non seulement à la réalité de sa mort imminente et à celle des hommes qui l’avaient accompagné, mais aussi, contrairement aux attentes créées par les services de renseignement britanniques et ukrainiens avant la mutinerie de Wagner, au fait que « pas une seule unité ou officier militaire, pas un seul homme politique, pas un seul homme d’affaires — personne — ne s’est rallié à sa cause ; la Russie s’est rangée du côté de son président, Vladimir Poutine. Si la vaste campagne de relations publiques de Prigojine avait réussi à gagner les cœurs et les esprits d’un certain nombre des Russes, elle n’a pas réussi à les convaincre de trahir leur président ».

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