Intervention de Philippe Grégoire, producteur de lait dans le Maine-et-Loire (49) et président du Mouvement national des éleveurs de nos régions (MNER), lors de la visioconférence de l’Institut Schiller, le 15 et 16 avril 2023.
Agriculture : retrouver l’esprit de la Charte de La Havane
Bonjour à tous,
Je voudrais dire quelque chose sur l’agriculture et pour résumer, je vais commencer non pas par la situation actuelle, que tout le monde connaît, mais par la proposition pour moi la plus simple : c’est de s’inspirer de la Charte de La Havane, du 24 mars 1948, qui ne reconnaissait ni le système néolibéral extrême américain, qui détruisait les industries et les agriculteurs, ni le modèle russe, le système soviétique, qui enlevait les terres aux agriculteurs et leur droit de propriété, et qui a échoué.
La Charte de La Havane, je vais en donner très rapidement quelques éléments, puis je mettrai le lien dans cette émission pour que les gens puissent la consulter.
Le principe en était l’opposition totale au libre-échange, à ce qui est devenu l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle proposait une approche très différente du système actuel, à savoir le développement de chaque pays sur la base de la coopération et non de la concurrence.
Voici les principaux points proposés par la Charte de La Havane :
- L’équilibre de la balance des paiements : personne ne doit avoir de déséquilibre budgétaire. C’est très important si l’on considère le déséquilibre actuel, à cause de l’euro, de l’objectif de déficit, qui est, par exemple, très élevé entre l’Italie et l’Allemagne.
- Le deuxième point est de donner la priorité à la coopération. Les Etats membres vont coopérer à la santé économique et sociale des Nations unies, dans le cadre d’une proposition visant à adopter des normes de travail honnêtes et équitables sur chaque continent, sinon, l’échange ne peut pas être honnête.
- Ensuite, le contrôle des capitaux est très important. Les Etats membres doivent prendre toutes les mesures pour éviter que les investissements dans les pays étrangers soient utilisés comme outils d’intervention.
- Le feu vert à des interventions d’Etat (subsides) ne doit pas organiser de fausse concurrence, les accords préférentiels sont possibles dans un cadre coopératif, les subventions dans certaines circonstances sont autorisées.
- L’interdiction du dumping des produits, la restriction possible des volumes de production. La production excédentaire peut être éliminée dans certaines circonstances, et la production d’aliments de base doit être considérée comme une catégorie spéciale.
- Par conséquent, les États peuvent stabiliser les prix et les échanges séparément des prix sur les marchés internationaux, afin d’éviter les importations déloyales. C’est simple : aucune politique de dumping n’est autorisée ; nous n’acceptons pas le principe du moins-disant de Ricardo.
- Pour moi, le cadre général de la Charte de La Havane peut être amélioré. Elle donne aux agriculteurs un modèle économique pour aujourd’hui.
Des années 1940 aux années 1980, il y a eu une forte restructuration de la main-d’œuvre agricole. Entre les années 1980 et 2000, ce sont les outils de production qui ont été repris par les coopératives et les [entreprises] privées.
Depuis 2000, nous assistons à une prise de contrôle financière très rapide et complète, contrôlée par les multinationales et les syndicats. L’agriculture n’aurait jamais dû être industrialisée.
Nous travaillons avec des animaux vivants, pas comme les politiciens qui vivent avec du vent. Nous travaillons avec le climat, nous plantons des végétaux qui ne sont récoltés que six à neuf mois plus tard. Nous ne pouvons pas industrialiser un modèle agricole.
Il faut s’occuper du monopole des facteurs de production. Ensuite, la politique actuelle aggrave le libre-échange par des mensonges.
On nous dit que Macron est allé en Chine, que nous avons obtenu des contrats pour exporter du lait ou du porc. Ce n’est pas une bonne chose. À chaque fois que l’on fait cela, on découvre qu’au final, ce ne sont pas les producteurs qui s’enrichissent ou qui font des bénéfices, mais seulement les grandes entreprises.
Il s’agit en fait d’augmenter le revenu des producteurs. Les volumes de production existent, mais il faut arrêter de gaspiller. Dans le système actuel, environ 30 % de tout ce qui est produit est gaspillé. La question n’est donc pas celle des volumes, nous devons simplement rendre le système plus rationnel. Il faut irriguer les terres qui en ont besoin, et ne pas faire de projets absurdes comme on le voit aujourd’hui en France.
Nous avons été manipulés au cours des 40 dernières années par une presse agricole qui diffuse des mensonges en nous disant que chaque agriculteur doit s’agrandir de plus en plus, pour nous manipuler comme des petits soldats dans l’armée de l’agro-industrie.
On nous dit que nous devrions attaquer les écolos. Nous devrions bien sûr nous attaquer à la consommation d’insectes et de viande synthétique. Ce sont les Verts qui poussent à cela, ils poussent des projets irréalistes et dangereux.
On nous manipule pour créer des divisions entre nous. Le vrai problème, ce ne sont pas les Verts, ce sont les salaires des agriculteurs. Les Verts ont des projets irréalistes qui détournent l’attention des vrais problèmes. Alors, chers agriculteurs, ne perdez pas votre temps, ce n’est pas le débat.
Une dernière une chose, la question de la monnaie en France. L’euro est une monnaie qui ne peut pas fonctionner pour le commerce agricole, parce que c’est une arme pour les exportations et les importations, rien d’autre.
Conclusion, la Charte de La Havane est la base pour maintenir les agriculteurs en vie. Cela implique des prix agricoles à la hauteur des coûts de production pour les producteurs de chaque pays et une gestion concertée des volumes dans un esprit de coopération, au lieu d’une concurrence prédatrice.
Je vous remercie.