Sainte-Soline : empoisonner la contestation sociale par la violence ?

vendredi 31 mars 2023, par Karel Vereycken

La guerre de l’eau a commencé, nous dit-on. Le 25 mars, des milliers de militants écologistes et de défenseurs du climat (30 000 selon les organisateurs, 8000 selon la police) se sont heurtés à 3000 policiers et gendarmes, lors d’une manifestation internationale contre la construction d’une retenue d’eau à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres. Éléments d’enquête.

Venus de 10 pays et de toute la France, les manifestants déclarent 200 blessés, 7 hospitalisés et un dans le coma. 28 policiers et 2 journalistes ont également été blessés. Déjà en octobre 2022, sur le même site, quelque 3000 manifestants avaient affronté 1700 policiers, blessant 61 gendarmes par jets de mortiers, boules de pétanque et cocktails Molotov.

Infrastructures de l’eau

La première cause du problème est le manque d’investissement décisif dans les infrastructures d’eau, en particulier dans la récupération des eaux de pluie, un investissement jugé non essentiel jusqu’à présent. La France ne recueille que 0,9 % des eaux de pluie, contre 14 % en Italie et même 91 % en Israël.

A-t-on les compétences ? Oui. A Windhoek, en Afrique du Sud, l’entreprise française Veolia transforme même les eaux usées en eau potable. En France, la loi interdit de réutiliser les eaux domestiques « grises » (cuisine et salle de bain) et n’autorise l’utilisation de l’eau de pluie que pour certains usages limités. Ainsi, seulement 0,6 % des eaux usées sortant des stations d’épuration sont réutilisées au lieu de finir dans les rivières. L’arrosage des terrains de golf et des cultures agricoles est autorisé, mais rare. Israël recycle 91 % de son eau pour arroser ses cultures ou remplir ses nappes phréatiques. Sans aller aussi loin, l’Espagne et l’Italie en recyclent respectivement 8 % et 14 %.

Selon le rapport du Sénat sur l’avenir de l’eau, l’irrigation des terres agricoles ne représente qu’environ 10% des prélèvements d’eau. Environ 20% des exploitations agricoles sont équipées d’un système d’irrigation et 6,8 % de la surface agricole utile (SAU), soit 1,5 million d’hectares, est irriguée, alors que la moyenne mondiale est de 18 %.

La pratique de l’irrigation n’est pas uniforme sur le territoire, elle varie en fonction du climat, de la nature des sols, des types de cultures et de la facilité d’accès à la ressource. Ainsi, 15% des surfaces sont irriguées dans le Sud, l’Ouest, l’Alsace et la Beauce mais seulement 1% des surfaces dans le Nord et dans l’Est. 60% des surfaces irriguées concernent des productions de maïs (30% des surfaces de maïs sont irriguées).

Le rapport souligne que des progrès énormes ont été fait :

Les progrès techniques de l’irrigation depuis le début des années 1990 ont conduit en 30 ans à une réduction de plus d’un tiers de le consommation d’eau pour l’irrigation agricole, à production constante, en passant de l’aspersion à la micro-aspersion puis au goutte à goutte. Cette modernisation des techniques d’irrigation n’est d’ailleurs pas achevée. Il existe donc encore des marges de manœuvre pour des améliorations techniques.

Or, parmi les progrès possibles, la réutilisation des eaux usées pourrait couvrir 15 % à 20 % des besoins de l’agriculture française.

En outre, le volume de pertes par fuites sur le réseau de distribution d’eau (hors partie privative) avoisine 20 % du volume introduit dans le réseau de distribution (2017). Autrement dit, pour cinq litres d’eau mis en distribution, un litre d’eau repart dans le milieu naturel sans passer par le consommateur. À l’échelle de la France, cela représente un gaspillage de près d’un milliard de mètres cubes d’eau par an.

Privatisation de l’eau ?

Faute d’une politique volontariste de l’Etat qui n’a pas voulu voir les défis à relever, depuis 2000, pour faire face à des périodes de sécheresse, les agriculteurs, pour ne pas disparaître, se sont organisés pour faire face.

Pour accompagner leurs efforts, les Agences régionales de l’eau ont subventionné à hauteur de 70 % la construction de « retenues de substitution ». Étant donné que certaines ont la taille de 7 terrains de football, les écolos les ont immédiatement baptisés en « méga-bassines »

Ces retenues ne recueillent pas l’eau de pluie, mais remplissent un bassin de surface en prélevant de l’eau de l’aquifère souterrain en hiver, lorsque le niveau de la nappe phréatique est élevé et même déborde, pour l’utiliser à des fins d’irrigation pendant l’été sec.

Le narratif officiel, qui prétend qu’il s’agit là d’une privatisation de l’eau, un bien commun de l’humanité, n’est pas factuellement erroné. Puisque l’Etat a failli, le privé s’est accaparé d’une compétence qui aurait du rester aux mains de l’Etat.

Agro-business ?

Par contre, prétendre que cet accaparement se fait exclusivement au profit d’un agro-business préférant de loin le profit financier à l’environnement et à une nourriture saine, est assez faux et toute personne faisant l’effort de creuser le sujet le concédera.

Dans le département des Deux Sèvres, le projet des 16 retenues de substitution qui permettront de stocker 6,9 millions de m3 d’ici 2025 est porté, non par les multinationales Cargill, Bunge, Dreyfus ou Monsanto, mais par La coopérative de l’eau 79, un système coopératif constituée de 316 associés coopérateurs qui permet à tous les irrigants du bassin concernés (et pas exclusivement les gros) de participer équitablement au financement des ouvrages destinés à être transmissibles sur plusieurs générations et au retour à l’équilibre quantitatif de la ressource en eau.

La coopérative de l’eau 79 précise que

l’atteinte de l’objectif passera aussi par des efforts très importants consentis par la profession agricole pour économiser les volumes d’eau utilisés. Des efforts qui se traduiront par toute une série d’actions d’efficience de l’irrigation : amélioration du matériel (sondes capacitives, arrosage au goutte à goutte), meilleur pilotage, changement des pratiques culturales.

Il s’agit

d’un projet de transition agro-écologique accélérée par l’eau en définissant des objectifs d’économie d’eau, d’évolution des pratiques agricoles (développement des labels AB ; HVE, des filières de cultures, baisse des IFT) tout en favorisant la biodiversité par la plantation de haies, le développement des jachères ou encore la baisse des traitements phytosanitaires.

Ce principe de mutualisation des frais des études et des coûts d’investissements a été contesté par certains membres de la coopérative, soutenus par la Confédération paysanne, arguant qu’il faudrait presque deux coopératives, le monde des maraîchers bio étant différent de celui des céréaliers...

Retenue de substitution (mega-bassine), quézako ?

Une réserve de stockage en eau est un ouvrage destiné à stocker l’eau durant l’hiver pour permettre l’irrigation des cultures en été. Ces prélèvements hivernaux se substituent à des pompages qui se faisaient auparavant en période d’étiage (lorsque le niveau est le plus bas) (printemps, été). Plus on stocke de l’eau l’hiver, moins on en pompe l’été. Les niveaux des rivières et des nappes sont ainsi préservés en juillet et août. Du coup, aussi bien les producteurs que l’environnement y gagne.
Enfin, en cas d’incendies importants, les communes disposeront de réserves d’eau importants.

De taille variable, la réserve est creusée dans le sol, surélevée par la création d’une digue de quelques mètres de hauteur et étanchéifiée par une membrane géotextile. Le remplissage se fait par pompage dans le milieu naturel (nappes et rivières), pendant les périodes où la ressource est largement excédentaire.

Sur le bassin Sèvre-Mignon, les 210 exploitations avec irrigation représentent presque le quart des 847 agriculteurs des 62 communes du bassin où il y a de l’irrigation.

Arguments favorables

Dans le rapport Changement climatique, eau, agriculture. Quelles trajectoires d’ici 2050 ?, le CGEDD et le CGAAER considèrent que les réserves de substitution sont « le mode de sécurisation de la ressource en eau le plus satisfaisant ». Ils constituent un cadre pour combiner sécurisation de la ressource, économies d’eau et évolution des pratiques agricoles.

Par exemple, dans le cas précis du projet des Deux-Sèvres, les réserves de substitution ont « un impact négligeable » sur les nappes souterraines et le débit des cours d’eau, selon une évaluation du BRGM du projet de construction dans les Deux-Sèvres publiée en juillet 2022. Selon le rapport, le projet permettrait « une amélioration globale du niveau des nappes en printemps-été » et une augmentation du débit des cours d’eau (+5% à + 6%).

Les promoteurs des réserves de substitution soulignent que les bassins sont remplis en prélevant dans la nappe uniquement quand elle déborde. L’administration utilise des capteurs pour mesurer le seuil de remplissage des nappes. Le pompage a lieu lorsque le niveau de la nappe dépasse un certain seuil et que son excédent se déverse dans les cours d’eau.

La chambre d’agriculture des Deux Sèvres répond aux arguments des opposants en publiant des données chiffrées sur le bassin de la Sèvre Niortaise Marais-Poitevin qui montrent notamment :

  • une baisse de 60% des volumes d’eau prélevés l’été en 20 ans (2005-2025) ;
  • une diminution des surfaces de maïs irrigué remplacé par des céréales d’hiver arrosées au printemps et par des cultures qui demandent moins d’eau (protéines végétales, semences, par exemple) ;
  • une irrigation sécurisée par les réserves qui est un puissant levier pour la conversion vers l’agriculture biologique. Ainsi, 50 % des bios de la CAVAC (Vendée et Deux-Sèvres) irriguent 100 % des irrigants en bio dans les communes de Oulmes et de Nueil/Autise ; 50 % des conversions bio de la Vienne sont avec de l’irrigation ; 100 % des bios « historiques » (depuis plus de 20 ans) du sud Vendée irriguent...

Arguments défavorables

Pour les opposants aux méga-bassines, l’argument est assez primaire : l’agriculture actuelle (productive) est par définition néfaste. Tout ce qui permet de la pratiquer doit donc être combattu.

D’ailleurs, toutes les grandes civilisations qui ont disparu (Sumer, la Mésopotamie, l’Indus ou encore les Mayas), ont toutes pratiqué l’irrigation. Vous me suivez ?

Y a-t-il des défis à relever ? Certes. L’évaporation de l’eau (estimée par des chercheurs écolos à 20 à 60 %) peut en constituer un. La qualité de l’eau exposée en plein air est moindre que celle stockée dans les nappes phréatiques. Débat fallacieux lorsqu’on sait qu’il s’agit de surplus qui actuellement finissent par prendre le chemin de l’océan sans rendre service, ni à l’homme, ni à nos sols.

Ecologistes, paysans, amour impossible ?

Avec un Etat absent lorsqu’il s’agit de défendre l’intérêt général, et électrisée par les faux prophètes de l’apocalypse climatique, une véritable armée d’éco-guerriers, surfant sur l’ignorance du grand public des enjeux agricoles et des médias complaisants, a réussi à faire des méga-bassines le symbole de son combat.

Le Point rapporte que cela a échoué en Vendée, où les autorités locales, les scientifiques, les écologistes et les agriculteurs (qui ont accepté de réduire partiellement leur irrigation et passent à des cultures moins gourmandes en eau) ont réussi à s’entendre pour définir un modus vivendi. En Vendée, rapporte l’hebdomadaire, les verts locaux honnêtes défendent aujourd’hui le même type de réservoirs d’eau que leurs congénères fanatisés combattent violemment à Sainte-Soline...

Les Soulèvements de la Terre

Au cours de l’année écoulée, un front radical d’éco-guerriers, baptisé Les Soulèvements de la Terre (LST), a gagné en influence et se tient désormais en première ligne. LST est composé et soutenu par quelque 200 organisations, dont ATTAC, le syndicat agricole vert Confédération paysanne, de nombreuses sections d’Antifa, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), des sections et des députés de La France insoumise (LFI) et un noyau dur d’Extinction Rebellion (XR), largement financé par des millionnaires verts britanniques et américains, comme nous l’avons documenté dans notre dossier New Deal Vert, sortir du piège de la finance verte.

« Leur mouvement est en train de se structurer, selon le modèle préconisé par l’activiste suédois Andreas Malm, avec lequel Les Soulèvements de la Terre entretiennent des liens étroits », explique Olivier Vial, responsable des radicaux au CERU, un groupe de réflexion universitaire, cité par Le Point.

Il y a quelques années, Andreas Malm a publié Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2020), un livre qui n’a pas dû déplaire à Joe Biden, accusé d’avoir fait dynamiter le gazoduc Nord Stream…

« Malm a théorisé la nécessité d’un front violent pour permettre aux non-violents de faire avancer leurs idées », prétendant que c’était le modus operandi de Martin Luther King (le « non-violent ») opérant grâce à Malcolm X (le « violent »). « La vraie question, écrit Andreas Malm, n’est pas de savoir si les gens ont le droit moral de détruire les biens qui font planer la mort sur le globe. Il s’agit de savoir pourquoi ils n’ont pas encore commencé. »

Interrogée par le média pro-vert Reporterre, Léna Lazare, 24 ans, une ancienne de Notre-Dame-des-Landes désormais salariée de Youth for Climate, répond :

Oui, il nous paraît important de montrer que nous sommes légitimes à saboter des infrastructures écocidaires. Nous parlons de désarmement, l’objectif est de désactiver une arme qui est braquée sur nous. Les pratiques de sabotage dans le milieu écolo ont toujours existé, mais on les identifie souvent à des actions clandestines, de nuit, en groupe affinitaire. Nous avons voulu, au contraire, avec les ‘Soulèvements’, les revendiquer en plein jour, les rendre accessibles et rejoignables par le plus grand nombre. On le fait dans la joie, en écoutant de la disco au milieu de farandoles.

Le 25 mars, les policiers et gendarmes chargés d’empêcher les gens d’entrer dans la zone ont répliqué avec 4000 grenades lacrymogènes et grenades de désencerclement. Fonctionnant comme des éclats d’obus, ces dernières projettent leurs plots en caoutchouc de manière circulaire et incontrôlée. En théorie, leur utilisation est régie par des règles précises car elles peuvent provoquer des blessures très graves. En Europe, seule la police française les utilise.

Le site internet de LST, qui montre fièrement des images de plusieurs fourgons de police incendiés, écrit :

À mesure que s’accélère la dégradation des conditions de vie sur terre, nous sommes de plus en plus nombreux.ses à se sentir tenaillé.e.s par la confusion, la colère et l’absence d’horizon. Qu’attendre d’une énième COP ou d’un catalogue printanier de promesses électorales ? Seul un basculement radical - un soulèvement - pourrait permettre d’enrayer le réchauffement climatique et la 6ème extinction massive des espèces déjà en cours. Au fond, nous le savons, il ne nous reste aujourd’hui plus d’autre voie que de mettre toutes nos forces dans la bataille pour enrayer le désastre en cours, et abattre le système économique dévorant qui l’engendre.

La militarisation de la colère

Caricature parue dans le quotidien l’Humanité.

Dans les familles des gendarmes blessés, la grogne monte. Selon certains, en provenance des plus hautes autorités, la consigne aurait été donnée de simplement fouiller les arrivants les plus violents, souvent des étrangers fichés S, mais de les laisser passer avec leurs armes artisanales, le tout sous prétexte de pouvoir remonter par la suite les filières...

En France, les syndicats ont raison d’être sur leurs gardes. En effet, des pans entiers de ces éco-guerriers sont prêts à rejoindre et à empoisonner par la violence les prochaines manifestations contre la réforme des retraites.

Bien entendu, le gouvernement Macron se présentera en défenseur de « l’ordre public » et tentera de convaincre l’opinion publique, comme il l’a fait avec les Gilets jaunes, que toute opposition n’est rien d’autre que de la violence contre les institutions.

Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement à la botte de l’oligarchie tente d’empoisonner une opposition populaire en la prenant en otage de violences et de contre-violences. La royauté, n’est-ce pas l’anarchie + 1 ?