Paix en Ukraine : Londres a torpillé la mediation israélienne

jeudi 9 février 2023

Chronique stratégique du 9 février 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Début mars 2022, le premier ministre israélien de l’époque, Naftali Bennett, a tenté de servir de médiateur pour une paix entre la Russie et l’Ukraine, mais il a été bloqué par la Grande-Bretagne. C’est ce qu’il a raconté le 4 février lors d’une conversation de cinq heures avec le journaliste Hanoch Daum.

Le choix de l’option britannique

Bennett a expliqué qu’à ce stade du conflit, en mars 2022, Moscou et Kiev étaient disposés à faire d’importantes concessions et un accord de trêve semblait atteignable : « Je prétends qu’il y avait de bonnes chances de parvenir à un cessez-le-feu », a-t-il affirmé, ajoutant que Poutine acceptait de renoncer aux exigences de « dénazification » et de désarmement de l’Ukraine, tandis que Zelensky consentait à ne plus demander l’adhésion à l’Otan. Et la médiation d’Israël « a été coordonnée dans les moindres détails avec les États-Unis, la France et l’Allemagne », qui ont finalement pris les décisions finales.

Cependant, de toute évidence, les Britanniques sont intervenus : « Boris Johnson a préconisé des mesures plus radicales. Et Macron et Scholz sont plus pragmatiques, disons. Et Biden a soutenu les deux approches », a expliqué Bennett. Sans dire explicitement que BoJo l’avait emporté sur Biden, lorsqu’on lui a demandé si les alliés avaient fini par bloquer les négociations, l’ancien Premier ministre israélien a répondu : « Dans l’ensemble, oui. Ils l’ont bloqué, et j’ai pensé qu’ils avaient tort (...) ». Selon lui, les bonnes chances de succès ont été contrecarrées par une « décision de l’Occident de continuer à frapper Poutine » et de ne pas négocier.

La raison donnée par les puissances occidentales pour mettre fin aux négociations se voulait « complexe », mais il s’agissait surtout de faire passer un message aux autres « voyous dans le monde » ; ainsi, cela « se reflète sur d’autres arènes comme la Chine, Taïwan, et il y a des conséquences », a affirmé Bennett. Et au final, l’Occident a fait le choix de l’approche la plus radicale, c’est-à-dire britannique.

Et si la voie vers une trêve avait déjà été obstruée avant la percée de la fin mars à Istanbul, elle l’a été définitivement lorsque Kiev a accusé Moscou des atrocités de Boutcha. Quoi qu’il en soit, il faut se souvenir que suite à la percée des négociations d’Istanbul au cours de la dernière semaine de mars, la Russie s’est retirée des banlieues de la capitale ukrainienne.

La plupart des gens oublient que, pour ce faire, les Russes ont dû délibérément ne pas faire de cas de la vidéo provocatrice de l’exécution de soldats russes capturés quelques jours auparavant. Puis, après quelques jours de nettoyage par le régime de Kiev des citoyens ukrainiens qu’ils considéraient comme ayant coopéré avec les Russes, l’accusation des massacres des civils par la Russie à Boutcha a été proclamée haut et fort, à grand renfort des médias.

A ce sujet, toute enquête digne de ce nom sur « l’affaire Boutcha » devrait prendre en compte la longue liste des provocations néonazies ou « nationalistes d’extrême droite » des huit années qui ont succédé le coup d’État de Maïdan en 2014.

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Comment les néo-nazis en Ukraine ont contraint Zelensky

Il est intéressant de noter que l’ancien Premier ministre israélien a rapporté que Zelensky lui avait demandé lui-même de se rendre à Moscou afin de s’entretenir avec Poutine ; il lui avait également demandé s’il pourrait obtenir de Poutine l’assurance qu’il ne serait pas assassiné — assurance que le président russe a accordée auprès de Bennett, et que ce dernier a immédiatement transmise au président ukrainien.

On a oublié aussi que c’est le même jour, le 5 mars 2022, que les négociations entre l’Ukraine et la Russie, qui se tenaient alors en Biélorussie, ont été perturbées par l’exécution de l’un des négociateurs ukrainiens, Denys Kireyev, par le SBU, c’est-à-dire le service de sécurité de Kiev. Quelques heures après l’appel téléphonique de Bennett, Zelensky a repris le travail depuis ses propres quartiers officiels, où il a fait un selfie annonçant qu’il n’avait « pas peur » d’être tué. Mais cela soulève la possibilité très réelle que le président ukrainien ait conclu un accord avec le SBU.

Chape de plomb médiatique

Le sabotage du processus diplomatique par les « alliés » occidentaux de l’Ukraine, sous influence britannique, avait été remarqué par la presse ukrainienne elle-même, suite à la visite à Kiev du Premier ministre Boris Johnson, en mai 2022. Voici ce que rapportait le journal en ligne Ukrainska Pravda :

Selon des sources proches de Zelensky, le Premier ministre du Royaume-Uni, qui est apparu dans la capitale quasiment à l’improviste, a apporté deux messages simples. Le premier est que Poutine est un criminel de guerre avec lequel aucune négociation n’est possible ; et le second est que même si l’Ukraine est prête à signer des accords sur les garanties avec Poutine, [le Royaume-Uni et les États-Unis] ne le sont pas. La position de Johnson était que l’Occident collectif, qui en février avait suggéré à Zelensky de se rendre et de fuir, sentait maintenant que Poutine n’était pas vraiment aussi puissant qu’ils l’avaient imaginé auparavant, et qu’il y avait là une chance de le mettre en échec.

Trois jours après la visite de Johnson, Poutine a déclaré publiquement que les pourparlers avec l’Ukraine « s’étaient transformés en une impasse ».

Quelques jours plus tard, les pourparlers de paix d’Istanbul ont débuté ; plusieurs hauts responsables des deux parties se sont réunis dans la capitale turque, à l’initiative du président turc Erdogan, qui voulait se faire médiateur. Mais c’est alors que la Grande-Bretagne a été la première à faire des livraisons d’armes et de munitions à Kiev via des avions de transport militaire. La presse britannique a souligné à ce moment-là que Londres se lançait dans un bellicisme total, dans le contexte du « scandale du Partygate » qui visait le Premier ministre Johnson.

En juin, l’ancienne responsable du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, Fiona Hill, a confirmé ce sabotage dans un long essai publié dans le journal des affaires étrangères dirigé par le Council on Foreign Relations (CFR) :

Selon plusieurs anciens hauts responsables américains avec lesquels nous nous sommes entretenus, en avril 2022, les négociateurs russes et ukrainiens semblaient s’être provisoirement mis d’accord sur les grandes lignes d’un règlement intérimaire négocié : la Russie se retirerait sur sa position le 23 février, lorsqu’elle contrôlerait une partie de la région du Donbass et toute la Crimée, et en échange, l’Ukraine promettrait de ne pas demander l’adhésion à l’Otan et de recevoir plutôt des garanties de sécurité d’un certain nombre de pays.

Ce demi-aveu des Américains, de même que les remarques de la presse ukrainienne, ont été passés sous silence par les médias, qui ont placé une véritable chape de plomb sur le monde occidental.

Un « club de nations » pour la paix par le développement

On comprend mieux alors pourquoi l’offre de paix du Vatican, qui a été mise sur la table par le pape François en décembre dernier et que nous avons immédiatement soutenu avec Solidarité & progrès et l’Institut Schiller, a reçu si peu d’écho, en dépit du fait que l’institution officie auprès de plus de 1,3 milliards de catholiques dans le monde.

Mais cet état des choses change, au fur et à mesure que les populations occidentales supportent de moins en moins le fait qu’on leur demande de se saigner aux quatre veines tandis que l’on dépense des milliards dans le conflit en Ukraine ; et le mur de l’Atlantique mental se fissure de toutes parts. Le célèbre journaliste d’investigation américain Seymour Hersh vient par exemple de publier un article qui risque de faire l’effet d’une bombe : il y décrit avec une précision méticuleuse comment le président américain Joe Biden a fait sauter les gazoducs Nord Stream 1 et 2 dans la mer Baltique.

Par ailleurs, plusieurs médias ont évoqué l’offre du Vatican ces derniers jours, des deux côtés de l’Atlantique. En France, par exemple, le numéro de février du Monde Diplomatique titre « Le non-alignement discret du Vatican ; le pape contre les croisades occidentales », et décrit dans un article substantiel comment le pape propose le Vatican comme lieu de négociations de paix.

De plus, le président brésilien Lula a proposé de se faire médiateur pour créer un « club de nations » pour aboutir à une paix entre l’Ukraine et la Russie.

Lors de la conférence du 4 février de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche a déclaré :

J’ai bon espoir que ce club de la paix, s’il voit le jour, peut être la réponse à tous les problèmes de notre époque. Parce que les pays en développement, le Mouvement des pays non alignés, connaissent actuellement une renaissance ; Ils reprennent la lutte pour mettre fin au colonialisme. L’esprit de Bandung refait surface. Et je pense qu’il est vraiment grand temps que nous passions à un nouvel ordre économique mondial qui permette le développement de tous les peuples de cette planète, éradique la pauvreté, éradique le sous-développement. Le ‘nouveau nom pour la paix est le développement’, comme l’avait écrit le pape Paul VI en 1967 dans son encyclique Populorum progressio (…), et je pense que c’est la seule base de la paix : le développement pour tous.

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