La Russie bientôt contrainte à adopter une doctrine de 1ère frappe nucléaire ?

jeudi 15 décembre 2022

Chronique stratégique du 15 décembre 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Confrontée à l’implication directe des forces de l’Otan dans la guerre en Ukraine, et au fait que les États-Unis eux-mêmes ont adopté la doctrine de première frappe nucléaire, la Russie se voit contrainte de réviser sa propre doctrine nucléaire. C’est ce qu’a affirmé Vladimir Poutine, lors de sa conférence de presse, suite au sommet de l’Union économique eurasienne.

La situation stratégique change très vite, dans un sens extrêmement dangereux où tout peut devenir incontrôlable à tout moment, si le plan que nous défendons aux côtés de l’Institut Schiller n’est pas mis en œuvre. D’autant que cette réalité est largement occultée par les médias, plus occupés à parler de la météo, des fêtes de Noël ou du football.

Poutine : « les USA ont cette théorie de la frappe préventive

Une phrase du président russe a cependant rendu particulièrement hystériques les journalistes occidentaux présents à la conférence de presse : « Si la Russie n’utilise pas les armes nucléaires en premier, elle ne les utilisera pas non plus en second ».

Voici comment il a expliqué en substance ce qu’il entendait par là : « Les États-Unis ont cette théorie de la frappe préventive. C’est le premier point. Maintenant, le deuxième point : ils sont en train de développer un système pour une frappe de désarmement. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela implique de frapper les centres de contrôle avec des armes modernes de haute technologie pour détruire la capacité de l’adversaire à contre-attaquer, et ainsi de suite. (…)

Les États-Unis ont une théorie et même une pratique. Ils ont le concept d’une frappe préventive dans leur stratégie et d’autres documents politiques. Ce n’est pas notre cas. Notre stratégie parle d’une frappe de représailles. (…)

« Après que le système d’alerte précoce a reçu un signal indiquant une attaque de missiles, des centaines de nos missiles sont lancés et ils ne peuvent pas être arrêtés. Mais il s’agit toujours d’une frappe de représailles. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que les têtes de missiles ennemis tomberont sur le territoire de la Fédération de Russie. Cela ne peut être évité. Elles tomberont de toute façon. Certes, il ne restera rien de l’ennemi, car il est impossible d’intercepter des centaines de missiles. Et cela constitue, sans aucun doute, une puissante force de dissuasion.

Mais si un adversaire potentiel croit qu’il est possible d’utiliser la théorie de la frappe préventive, alors que nous ne le faisons pas, cela nous fait tout de même réfléchir à la menace que de telles idées dans la sphère de la défense des autres pays représentent pour nous.

USA : « C’est pas nous ! »

Cette situation terriblement périlleuse se révèle tandis qu’une escalade s’est produite ces dernières semaines et ces derniers jours, où les Ukrainiens ont frappé à 500 km à l’intérieur du territoire russe, ciblant plusieurs terrains d’aviation, qui, selon eux, ont été utilisés pour démarrer les bombardiers stratégiques russes qui ont effectué les frappes contre l’infrastructure à l’intérieur de l’Ukraine.

De leur côté, les États-Unis affirment qu’ils ne sont pas impliqués dans ces frappes à longue portée de l’Ukraine en Russie. John Kirby [porte-parole du Conseil national de sécurité] a déclaré : « Nous n’encourageons ni ne permettons certainement pas les opérations ukrainiennes en Russie. Nous essayons de nous assurer qu’ils puissent défendre leur territoire, regagner leur terrain en Ukraine ». Blinken a également déclaré : « Nous n’avons ni encouragé ni permis aux Ukrainiens de frapper à l’intérieur de la Russie ».

On peut en douter, surtout quand on sait que l’appareil militaire ukrainien est quasiment intégralement piloté par la CIA et le Pentagone...

Le London Times a rapporté le 9 décembre que le Pentagone a modifié ses calculs de la menace, soi-disant en réponse aux campagnes de missiles de la Russie contre les infrastructures ukrainiennes. « Nous utilisons toujours les mêmes calculs d’escalade, mais la peur de l’escalade a changé depuis le début, a confié une source de la défense américaine a déclaré au quotidien londonien. Elle est différente maintenant. Ce changement de calcul est la conséquence de la souffrance et de la brutalité que les Ukrainiens subissent de la part des Russes ». Washington est désormais moins préoccupé par le fait que les nouvelles frappes à longue portée en Russie pourraient conduire à une escalade dramatique.

Crise des missiles de Cuba inversée

Tout cela nous conduit chaque jour plus près du point de non-retour. Stoltenberg lui-même, le pourtant très belliqueux secrétaire général de l’Otan, prévient que cela pourrait devenir complètement hors de contrôle.

« la Russie envisage de modifier sa doctrine nucléaire afin de permettre l’utilisation préventive — et pas seulement en représailles — des armes nucléaires, explique l’ancien analyste de la CIA Ray McGovern dans un article publié le 12 décembre. Un tel changement reviendrait à aligner la posture nucléaire de la Russie sur la doctrine stratégique de Washington et, d’un seul coup, rendrait le monde beaucoup plus dangereux ».

Les remarques très inhabituelles de Poutine ne laissent aucun doute sur le fait que la Russie considère la guerre par procuration entre les États-Unis et l’Otan en Ukraine comme le type de menace existentielle que le président John Kennedy percevait, lorsque Moscou a installé des missiles nucléaires à Cuba. Ces missiles étaient capables de frapper, en quelques minutes, Washington et le Strategic Air Command à Omaha.

Comme le fait remarquer McGovern, Poutine n’a pas explicitement menacé d’utiliser des armes nucléaires ‘tactiques’, contrairement à ce qui a été dit et redit par les médias ; au contraire, depuis le début en février, il a affirmé qu’il s’engageait à utiliser « tous les moyens à sa disposition ».

« Dans ses remarques du 9 décembre, il explique ce que ces moyens signifient, pour ainsi dire, du point de vue de la Russie, poursuit l’ancien analyste. Il parle du lancement sur alerte d’armes stratégiques. C’est la dissuasion. La dissuasion a fonctionné dans le passé, mais uniquement lorsque les États-Unis et la Russie avaient un respect sain pour l’équilibre de la terreur ».

Et de conclure :

Poutine et ses militaires ne sont pas non plus paranoïaques en prévoyant la possibilité que ‘l’élite’ ignorante autour de Biden autorise (probablement en utilisant les Ukrainiens ou les alliés de l’Otan) quelque chose d’encore plus stupide et provocateur que de faire sauter le Nord Stream.

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