En Allemagne, des manifestants font sonner la Cloche de la paix

mardi 6 décembre 2022, par Karel Vereycken

Le dimanche 27 novembre 2022, une manifestation et un cortège de voitures a traversé la ville de Schwedt-sur-Oder, dans le nord-est du land de Brandebourg. Il s’agissait de défendre le site de PCK, la plus grande raffinerie de pétrole approvisionnant la capitale allemande.

Collé à la frontière avec la Pologne à 100 kilomètres de Berlin, le site est en effet approvisionné à 100 % par du brut russe via l’oléoduc Droujba, lui-même contrôlé par le groupe proche du Kremlin, Transneft. Traitant 11,6 millions de tonnes de pétrole par an, PCK raffine 95 % du carburant, du kérosène et du fioul utilisés à Berlin et dans le Land du Brandebourg. Il dessert aussi la Poméranie du Nord-Westphalie et une partie de l’ouest de la Pologne. A elle seule, la société représente 10 % du marché national du raffinage.

Puisque le gouvernement allemand refuse d’acheter du pétrole russe, le site devra désormais compter sur celui arrivant du port de Rostock, sur la mer Baltique. Le petit détail qui tue, c’est que cela n’apportera que 50 % de la quantité fournie jusqu’ici par les Russes, entraînant de graves difficultés d’approvisionnement et des hausses de prix dans les stations-service, y compris des pénuries de kérosène à l’aéroport de Berlin.

Devant les quelque 400 participants à la manifestation sur la place du théâtre, le maître artisan Karl Krökel, de Dessau (fondateur du mouvement non-partisan « Artisans pour la paix »), s’est exprimé aux côtés de représentants de Schwedt et de diverses organisations.

En guise d’introduction, l’orateur a présenté une vidéo montrant la fameuse Friedensglocke (Cloche de la paix) de Dessau. C’est une œuvre commémorant le tournant politique (pacifique) de 1989 en République démocratique allemande (RDA). La cloche a été coulée avec le métal des armes des groupes de combat, rassemblées, transportées et stockées par la police populaire (1250 fusils d’assaut AK-47, 174 mitrailleuses légères, 87 fusils antichars et 171 pistolets).

Affiche du Congrès de l’Internationale socialiste de Bâle en 1912.

Pour Krökel, cette Cloche de Dessau symbolise une même volonté de paix sur cinq continents. Sait-il que son discours résonne en écho à celui de Jean Jaurès, prononcé à Bâle le 24 novembre 1912 lors du Congrès de l’Internationale socialiste [1] avant qu’éclate la « Grande Guerre », où il disait :

Nous avons été reçus dans cette église au son des cloches qui me parut, tout à l’heure, comme un appel à la réconciliation générale. Il me rappela l’inscription que Schiller avait gravée sur sa cloche symbolique : Vivos voco, mortuos plango, fulgura frango !

  • Vivos voco : j’appelle les vivants pour qu’ils se défendent contre le monstre qui apparaît à l’horizon. 
  • Mortuos plango : je pleure sur les morts innombrables couchés là-bas vers l’Orient et dont la puanteur arrive jusqu’à nous comme un remords.
  • Fulgura frango : je briserai les foudres de la guerre qui menacent dans les nuées.

Comme les orateurs qui lui ont succédé, Krökel a souligné les graves conséquences de l’entêtement idéologique du gouvernement fédéral sur le niveau de vie du citoyen lambda et les commerçants.

Frank Bornschein, l’un des organisateurs de la manifestation, a évoqué le sort des sous-traitants de la raffinerie, dont dépendent des centaines d’emplois. Selon lui, ce n’est pas la guerre en Ukraine qui est à l’origine de la misère, mais le « New Green Deal » décidé bien avant par l’UE, qui prévoit l’abandon de tous les combustibles fossiles.

Pour sa part, Klaus Fimmen, du Mouvement pour les droits civiques-Solidarité (BüSo), a évoqué l’écho national et international de la lutte contre la désindustrialisation de l’Allemagne. De nombreuses villes et communes ont adressé des lettres ouvertes aux gouvernements fédéral et régionaux, les avertissant que la vague de faillites qui s’amorce les privera de la possibilité financière de s’acquitter de leurs obligations envers leurs administrés.

Il a ensuite cité la lettre des maires français en soutien à l’initiative pour la paix du Conseil de la ville de Stralsund, qui a offert son hôtel-de-ville pour y accueillir des pourparlers de paix entre la Russie et l’Ukraine.


[1Le Congrès de Bâle de 1912 est une conférence de paix organisée par le parti socialiste suisse les 24 et 25 novembre 1912 dans la cathédrale de Bâle. Son but était de coordonner les actions des socialistes européens afin de parvenir à gérer au mieux les guerres balkaniques qui sévissaient alors. Elle fait partie de la deuxième internationale socialiste. 550 délégués de 23 nations différentes et plus de 10 000 personnes y ont assisté.