Royaume-Uni : pourquoi Sunak part en guerre contre les Instituts Confucius

jeudi 3 novembre 2022, par Karel Vereycken

Manifestation en France contre les Instituts Confucius.

Le nouveau gouvernement britannique, sous la houlette de Rishi Sunak, s’apprête à interdire la présence des Instituts Confucius (IC) dans les universités britanniques. Les IC ont été créés dans différents pays à partir de 2004 pour permettre à ceux qui s’intéressent à la Chine d’en découvrir la langue et la culture. C’est ce que font de leur côté la France avec l’Alliance française, l’Allemagne avec l’Institut Goethe ou les Anglais avec le British Council.

En 2004, Xi Jinping, bien conscient que la paix mondiale dépend d’un paradigme fondé sur l’optimisme culturel et philosophique, avait confié au département de l’Education de son pays la mission de lancer « la révolution Confucius », visant à ouvrir un millier d’instituts d’ici à 2020. A ce jour, il en existe 523, répartis dans 146 pays.

D’après le quotidien The Telegraph, la décision du nouveau Premier ministre anglais n’est que la réalisation d’une de ses promesses de campagne formulée l’été dernier et considérée comme indispensable pour remporter la direction du Parti conservateur.

Selon un article de Outlook India, Rishi Sunak (qui est d’origine indienne) avait en effet promis de « fermer les 30 instituts Confucius chinois au Royaume-Uni », car « la Chine et le Parti communiste chinois (PCC) représentent la plus grande menace pour le Royaume-Uni et la sécurité et la prospérité du monde en ce siècle... »

Nous sommes en guerre

L’« Occident collectif » est en guerre, nous dit-on. Si Oncle Biden se dit prêt à envoyer le hard power (les marines) pour défendre Taïwan contre le méchant envahisseur chinois, le combat tout azimut contre le soft power marque le lancement d’une véritable chasse aux sorcières. Après la diabolisation de la Russie, de sa langue et de sa culture, c’est désormais toute expression de la grande culture chinoise qui est dans la ligne de mire.

Décomplexée et pertinente, la chronique d’Alain Frachon dans Le Monde du 20 octobre, est une sorte d’aveu car elle dit bien les choses.

Sans le formuler aussi explicitement, Frachon fait bien comprendre que si l’on monte en épingle la situation du Tibet, de Hongkong et des Ouïghours, ce qui irrite réellement les élites occidentales, c’est que l’ingéniosité et le travail créateur de la Chine excellent dans de nombreux domaines, ce qui fait dire à Joe Biden qu’« il reste dix ans pour empêcher la Chine de devenir le numéro un des technologies de l’avenir ».

La ligne de front passe par les micro-processeurs. Système contre système : qui sera le meilleur incubateur du futur ? s’interroge Frachon. Dans un document sur ‘la stratégie de sécurité nationale’ du pays, publié la veille du 20e congrès du PCC, mi-octobre, la Maison-Blanche présente les dix ans à venir comme ‘la décennie décisive’. ‘Notre priorité est de conserver notre avantage compétitif sur la Chine’, explique l’équipe Biden. Intelligence artificielle, informatique quantique, robotique et autres : la maîtrise des technologies de l’avenir fera la puissance de demain. Ce qui est vrai pour l’économie l’est aussi pour le champ de bataille, comme le montre la guerre russo-ukrainienne.

Moment Sputnik

Alors que chez nous, dans la zone transatlantique (notamment en suivant les conseils du Monde qui n’a cessé de faire l’apologie du Club de Rome et autres apôtres du malthusianisme), on a délaissé depuis cinq décennies l’éducation, la recherche et les investissements dans les technologies d’avenir, au profit d’une finance hédoniste et prédatrice vivant de spéculation et du pillage de pays lointains, soudainement, on découvre, que, comme le dit Frachon, « la prépondérance sur la scène internationale se joue, très largement, dans les ‘start-up’ et les laboratoires ».

Alors que chez nous, comme l’a rappelé l’ancien patron d’EDF, on formait les soudeurs à ferrailler les centrales nucléaires qu’on allait démonter, la Chine travaillait sur les six nouveaux types de réacteurs de nouvelle génération...

L’affrontement ne relève pas de la compétition académique. Ce n’est pas une course aux Nobel scientifiques, un concours général, c’est une bataille pour la puissance. ‘La Chine a l’intention, et chaque jour davantage la capacité, écrit la Maison-Blanche, de façonner un ordre international qui lui soit favorable’ – sous-entendu où l’influence des Etats-Unis serait singulièrement amoindrie », reconnaît Frachon.

Cet épisode de l’affrontement sino-américain rappelle un moment particulier de la Guerre froide, au début des années 1960. Quand les Soviétiques placent le satellite Spoutnik 1 en orbite, en 1957, les Etats-Unis se disent défiés, menacés : nous allons être dépassés par l’URSS !

Cependant, la différence avec aujourd’hui est majeure. A l’époque, pour relever le défi, les Etats-Unis créent la NASA et lancent à leur tour un programme spatial richement doté. Or, à ce jour, les Etats-Unis ne comptent pas dépasser la Chine avec des actions positives, mais l’empêcher de progresser, en lui faisant la guerre s’il le faut !

Un article du New York Times du 16 octobre annonce l’objectif. « Il s’agit d’une campagne pour ralentir, sinon casser, le rythme auquel la Chine intègre ses avancées technologiques à ses systèmes d’armes – notamment les missiles hypersoniques et les engins furtifs », précise Frachon. Le journal publie la liste complète des sociétés américaines qui seront frappées d’embargo car susceptibles de fournir des éléments des composants entrant dans la production de ces nouvelles technologies chinoises. Leurs partenaires européens ou asiatiques subiront les mêmes pressions.

L’ambition est d’empêcher les Chinois d’acquérir les semi-conducteurs et autres composants électroniques les plus sophistiqués dont ils ont besoin et qu’ils ne produisent pas encore. Toutes les sociétés américaines susceptibles de fournir au vaste marché chinois ne serait-ce que des éléments de ces composants, voire du software, sont répertoriées. Objectif : imposer à ces entreprises un embargo total sur les ventes en Chine. La même pression est exercée à l’encontre de compagnies européennes ou asiatiques de high-tech présentes sur le marché chinois.

Richi Sunak et la Henry Jackson Society

C’est dans ce cadre que Sunak accuse les Instituts Confucius de voler les technologies britanniques en infiltrant les universités tout en « soutenant l’invasion fasciste de l’Ukraine par Poutine », en malmenant Taïwan et en enfreignant les droits de l’homme au Xinjiang et à Hong Kong, ainsi qu’en « supprimant la monnaie britannique pour truquer continuellement l’économie mondiale en sa faveur » (dixit IndiaOutlook).

En outre, M. Sunak s’est engagé à revoir tous les partenariats de recherche entre le Royaume-Uni et la Chine qui risquent d’être exploités par Pékin pour son propre développement technologique ou pour les convertir en applications militaires.

L’attaque contre les IC fait partie de sa campagne Ready4Rishi, qui vise à former une large alliance entre des nations comme les États-Unis et l’Inde. « Je vais construire une nouvelle alliance internationale de nations libres pour lutter contre les cybermenaces chinoises et partager les meilleures pratiques en matière de sécurité technologique », a déclaré Sunak.

Pour alimenter sa campagne, deux journalistes free lance, se présentant comme des sinologues du Centre d’études asiatiques de la célèbre Henry Jackson Society (HJS) néoconservatrice basée à Londres, ont publié le 12 octobre leur nouveau rapport intitulé « An Investigation of China’s Confucius Institutes in the UK ».

Si un rapport de ce type s’en prenait à une puissance occidentale, il serait à juste titre qualifié de franchement conspirationniste. Selon les auteurs du rapport, l’enseignement du mandarin n’aide pas du tout les Britanniques à « comprendre » la Chine, car il s’agirait, bien entendu, d’une approbation implicite de la maltraitance que la Chine est supposée infliger à ses minorités et de son occupation « coloniale » du Tibet, du Xinjiang et de Hong-Kong, etc.

Pour sa part, en 2020, le Département d’État avait qualifié les IC de simples outils de « l’appareil d’influence et de propagande mondiale du Parti communiste chinois ».

Sur le terrain, financées par l’ONG américaine Freedom House et la National Endowment for Democracy (NED), les troupes de choc du Falun Gong, incités par leurs propres organes de presse tels que The Epoch Times et la chaîne de télévision New Tang Dynasty (NTS), organisent de plus en plus de manifestations pour demander la fermeture des IC.

Ils envoient également des lettres aux élus pour exiger l’arrêt de tout financement public. La Norvège et la Suède ont déjà interdit les IC et en Belgique, le président de l’IC a été expulsé. En Allemagne, la pression monte et aux États-Unis, après des années de « China-bashing » (dénigrement systématique de la Chine) de la part de Donald Trump et de son conseiller Steve Bannon, plus de la moitié des 110 instituts du pays ont été fermés. Le mouvement a été accéléré par une décision du Sénat américain de limiter le financement public des universités qui accueillent un Institut Confucius.

En France

Chez nous, où 17 instituts travaillaient dans une certaine sérénité, une poignée d’adeptes du Falun Gong, soutenus notamment par la sinologue Marie Holzman, a manifesté à Paris le 21 octobre pour demander la fermeture des IC.

Historiquement, en France, la secte sino-américaine Falun Gong a toujours pu compter sur le soutien du parti des Verts. D’après le site ClearHarmony, en 2002, lors d’une manifestation en défense du Falun Gong, « Jean-Marc Brûlé, président de la commission Asie du parti des Verts, représentant M. Noël Mamère, président de ce parti et candidat présidentiel, Mme Dominique Voynet, secrétaire du parti des Verts et ancien ministre de l’Environnement, et tous les membres de ce parti, est venu rejoindre les pratiquants de Falun Dafa devant l’ambassade de Chine et a exprimé le soutien ferme et total du parti des Verts au Falun Gong ».

André Gattolin

André Gattolin.

Parmi les manifestants d’aujourd’hui, le sénateur français André Gattolin (EELV avant de rejoindre Macron dans La République en marche), vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et VP de la commission des affaires européennes. Universitaire, fédéraliste européen, ami de Marco Pannella du Parti radical italien, c’est lui qui a organisé en 1989 la campagne de Daniel Cohn-Bendit pour les élections européennes.

Gattolin est, par ailleurs, membre de l’Inter-Parliamentary Alliance on China (IPAC), co-fondée par la baronne Helena Kennedy, du parti travailliste britannique, et Sir Iain Duncan Smith, du parti conservateur. Le 15 septembre, à l’occasion du sommet de l’IPAC à Washington, Duncan Smith a déclaré à Voice of America :

Je pense que la Chine représente la plus grande menace pour l’ordre libéral et le marché libre parce qu’elle a construit - grâce à des investissements massifs de l’Occident - la deuxième plus grande économie du monde et, qui sait, pourrait bientôt devenir la première économie du monde, ce qui la rend beaucoup plus puissante que la Russie.

Sunak ne dit rien d’autre.

En France, la prise de conscience du péril jaune est un peu plus lente, se désole Gattolin, malgré des alertes répétées. « Je ne me gêne pas, quand je vois le président de la République, de lui dire ce que je pense de la mansuétude qu’on a à l’égard d’un Etat qui est totalitaire et qui a pignon sur rue, et pas qu’à travers les Instituts Confucius. »

Se fondant sur les dénonciations de Safeguard Defenders, une ONG fondée et toujours dirigée par un Américain (Michael Caster de China Action) de la fameuse Jamestown Foundation (un faux-nez notoire de la CIA), Gattolin traque même les antennes de la police chinoise dans nos banlieues. « Ils présentent cela comme des antennes d’aide administrative pour les Chinois en France, mais il y a des consulats pour cela », dit-il.