L’UE creuse sa propre tombe énergétique

jeudi 8 septembre 2022

Chronique stratégique du 8 septembre 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Pris au piège de la stratégie anglo-américaine visant à empêcher toute résolution pacifique du conflit russo-ukrainien, les dirigeants européens s’enfoncent chaque jour dans une attitude suicidaire, préparant les conditions d’une catastrophe énergétique pour le prochain hiver.

Vers la disette énergétique

Selon Entsog, le réseau européen des gestionnaires du transport du gaz, la situation des livraisons de gaz à l’Europe au cours de la 35e semaine de 2022 était la suivante : avec la fermeture de Nord Stream 1 et des gazoducs de Yamal, et avec la réduction du flux transitant par l’Ukraine, il manquait à l’Europe 2258 millions de mètres cubes de gaz par rapport à 2021. Un manque que les 22 millions de mètres cubes en provenance de Turkish Stream pourront difficilement compenser. Actuellement, 570 millions de mètres cubes de gaz russe seulement sont acheminés mensuellement vers l’Europe par gazoduc.

Afin de remplir leurs réserves stratégiques, les gouvernements de l’UE incitent les entreprises énergétiques à acheter du gaz sur le marché spot à des prix astronomiques. Par conséquent : 1) les réserves sont pleines, mais elles ne couvrent que la moitié de la demande en énergie ; 2) les entreprises se sont livrées à une surexposition financière et sont au bord de l’insolvabilité ; et 3) la demande accrue de gaz sur le marché spot d’Amsterdam a permis aux spéculateurs de faire grimper encore plus le prix.

Non sans malice, Gazprom notait le 2 septembre que l’Europe risquait fortement de vivre une crise énergétique l’hiver prochain. Du 1er octobre au 31 mars 2021, l’Allemagne a consommé 57 milliards de mètres cubes de gaz, soit une consommation mensuelle de 9,5 milliards. Le niveau actuel des stocks (84 % de la capacité et 18,3 milliards de mètres cubes) « équivaut à une consommation moyenne de deux mois d’hiver », avertit Gazprom.

La situation en Italie est encore pire. L’association de consommateurs Assoutenti a indiqué le 5 septembre que les réserves stratégiques italiennes, bien que remplies à 82 %, couvrent à peine 45 jours de consommation hivernale. Après, « ce sera le chaos, avec un rationnement sévère, des maisons gelées et un arrêt des activités pour l’industrie et les entreprises ».

En France, les réserves stratégiques sont remplies à 92 %, mais cela ne représente que 50 % de la consommation hivernale, soit deux mois d’autonomie également. Le 5 septembre, le président Emmanuel Macron a annoncé une politique de « sobriété énergétique », obligeant les entreprises à économiser 10 % d’énergie, et d’autres mesures de rationnement. Dans ce contexte, l’accord conclu entre la France et l’Allemagne par lequel, si la situation le nécessite, la France fournira à l’Allemagne du gaz en échange d’électricité, ressemble bel et bien à l’arrangement que pourraient faire deux personnes nues au pôle Nord s’enlaçant pour survivre quelques minutes de plus…

S’il suffirait de lever les sanctions contre la Russie et de rouvrir les négociations de paix pour que les livraisons de gaz russe reprennent, on peut craindre que les dirigeants européens soient plutôt enclins à poursuivre leur fuite en avant suicidaire. En effet, suite à la décision du G7 de pénaliser le pétrole russe par un plafonnement des prix, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est hâtée de déclarer que l’UE devait en faire autant pour le gaz russe. Le 9 septembre, les ministres européens de l’Énergie se prononceront sur cette proposition. L’adoption d’une telle mesure risque de pousser Moscou à stopper complètement les livraisons de gaz avant même que les pays de l’UE soient prêts à y faire face.

L’Allemagne, talon d’Achille du jusqu’au boutisme ?

Cependant, une révolte se lève en différents lieux d’Europe contre les conséquences de cette politique, et les choses pourraient basculer rapidement. En Allemagne, la popularité du gouvernement est en chute libre. Une enquête de la Fédération des fonctionnaires (DB), publiée le 1er septembre, montre que 29 % des personnes interrogées seulement considèrent que le gouvernement allemand est capable de gérer la situation actuelle, contre 66 % qui sont d’un avis contraire.

L’Association nationale des PME (DMB) parvient à une conclusion encore plus radicale, basée sur les réponses de ses membres. Le président de l’Association, Marc S. Tenbieg, a déclaré le 2 septembre au Berliner Zeitung que, suite aux prix élevés de l’énergie et de l’électricité, les perspectives pour les six prochains mois « sont décrites comme très sombres par de nombreuses entreprises, à tel point que 10 % des entreprises interrogées par le DMB craignent déjà pour leur existence ». Dans un sondage rapide, le DMB a constaté que 95 % des entreprises accusent le gouvernement de ne pas soutenir, ou pas assez, les moyennes entreprises, et 73 % disent avoir été durement ou très durement touchées par les prix de l’énergie.

Dans ce contexte, les propos de la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock (des Verts) à Prague, le 1er septembre, qui a déclaré purement et simplement qu’elle tiendrait la promesse de soutenir l’Ukraine, « quoi qu’en pensent mes électeurs allemands », ne risquent pas d’atténuer l’impression que le gouvernement ne se soucie aucunement des citoyens allemands.

Un troisième front d’opposition au gouvernement émerge parmi les agriculteurs, qui s’insurgent contre la montée en flèche des coûts de production, en plus des coupes forcées délibérément imposées dans le cadre de la politique de l’UE dite « de la ferme à la fourchette ». Les manifestations ont repris le 31 août dans de nombreuses villes allemandes, sous forme de cortèges de tracteurs, et d’autres actions sont d’ores et déjà prévues.

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