Accord Russie-Ukraine sur les céréales : amorce d’un retournement stratégique ?

mardi 26 juillet 2022

Chronique stratégique du 26 juillet 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

A contre-courant du climat de russophobie régnant à Kiev et des sanctions imposées par Londres et Washington, l’Ukraine et la Russie ont ratifié, vendredi 22 juillet à Istanbul, un accord permettant d’exporter les céréales ukrainiennes bloquées par le conflit dans les ports de la mer Noire.

Un accord pour combattre la famine

Réunis au palais Dolmabahce d’Istanbul en début d’après-midi, le ministre ukrainien des Infrastructures, Oleksandr Kubrakov, le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, et le ministre russe de la Défense, Sergei Shoigu, ont signé un accord permettant d’expédier des céréales, des denrées alimentaires et des engrais de trois ports ukrainiens vers les marchés mondiaux et en particulier l’Afrique. Un deuxième accord a été signé, qui facilitera l’exportation de céréales et d’engrais russes. Le président turc Recep Tayyip Erdogan et le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, qui ont négocié l’accord, étaient également présents à la cérémonie de signature.

Si cet arrangement parvient à se mettre en place sans entrave, on peut espérer que les produits dont le besoin est urgent pourront être fournis, en particulier aux nations en développement qui souffrent de pénuries alimentaires et de prix élevés. « Il y a un phare sur la mer Noire, un phare d’espoir, un phare de possibilité, un phare de secours dans un monde qui en a plus que jamais besoin, a déclaré António Guterres lors de la réunion. Il apportera un soulagement aux pays en développement au bord de la faillite, et aux personnes les plus vulnérables au bord de la famine ». Linda Thomas-Greenfield, l’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies, a déclaré aux journalistes à New York qu’elle se félicitait de l’accord, mais a ensuite ajouté : « Nous surveillerons de près le respect par la Russie de tous les engagements qu’elle a pris ».

L’accord durera 120 jours et pourra être renouvelé sans négociation supplémentaire. Ce délai est suffisant pour que 25 millions de tonnes de blé et d’autres céréales ukrainiennes soient exportées à partir d’Odessa, de Tchernomorsk et de Yuzhny — les trois seuls ports ukrainiens qui seront utilisés. Seuls les navires utilisés pour exporter des céréales, des produits alimentaires et des engrais seront autorisés à rester dans ces ports. Il n’y aura pas de déminage des ports, mais les navires seront escortés par la marine ou les garde-côtes ukrainiens dans des couloirs sécurisés, en évitant les champs de mines connus, jusqu’à ce qu’ils se trouvent en dehors des eaux territoriales du pays.

La Russie avait posé comme condition à la signature de l’accord que chaque navire soit inspecté afin de s’assurer qu’aucun d’entre eux n’introduit clandestinement des armes en Ukraine. Cette inspection aura lieu dans deux ports turcs prévus à cet effet et des représentants de toutes les parties y participeront. Puisque toute sortie de la mer Noire s’effectue par le Bosphore et les Dardanelles, un centre de contrôle et de coordination sera également établi à Istanbul dans le cadre de l’accord, et sera composé de fonctionnaires de l’ONU, de la Russie, de la Turquie et de l’Ukraine qui s’occuperont de tous les aspects de l’opération, du calendrier de rotation des navires, etc.

La Commission de l’Union africaine (UA) a immédiatement salué cette « initiative sur les céréales de la mer Noire ». Le président annuel de l’UA, Macky Sall, président du Sénégal, a déclaré qu’il s’était rendu à Sotchi pour rencontrer le président Poutine le 3 juin, avec ce même appel à l’ouverture des expéditions de céréales et à la résolution du conflit en Ukraine. M. Sall a remercié tous les chefs d’État et l’ONU pour leur implication dans ce nouvel accord.

Lever les sanctions et doubler la production alimentaire

Nous espérons que cet accord, qui a eu lieu sous la médiation des Nations unies, de la Turquie, mais aussi de la Russie et de l’Ukraine, nous le souhaitons, marque un tournant. C’est un grand pas vers l’allègement de la famine mondiale dont souffrent 1,7 milliards de personnes, selon le Programme alimentaire mondial (PAM). De plus, l’accord prouve qu’il est parfaitement possible d’obtenir un accord avec la Russie, contrairement à l’image d’autocratie fermée sur elle-même que les Anglo-américains nous en dépeignent par médias interposés.

Accueillant très positivement cette nouvelle, la présidente-fondatrice de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche, a réitéré son appel à lever les sanctions.

Comment peut-on imposer de telles sanctions alors que près de deux milliards de personnes sont en danger aigu de famine, qu’une pandémie fait toujours rage, et que le système financier néolibéral occidental sombre dans l’hyperinflation ?, a-t-elle lancé lors d’une visio-conférence.

L’accord passé entre l’Ukraine et la Russie représente donc un pas dans la bonne direction, même s’il ne met pas fin aux sanctions. « Et cela signifie qu’il faut aller plus loin en adoptant dès maintenant un programme complet visant à résoudre le problème de la famine dans le monde en doublant la production alimentaire , a ajouté Mme Zepp-LaRouche. Tous les agriculteurs des États-Unis, d’Europe et des autres pays seraient heureux de contribuer à doubler la production alimentaire mondiale (...). Les gouvernements devraient fournir à tous les agriculteurs des crédits leur permettant d’acheter les machines, les engrais et autres moyens nécessaires à la production ».

Ensuite, il faut immédiatement engager une solution diplomatique à la crise ukrainienne , a-t-elle conclu. Il n’y a aucune raison pour que d’autres Ukrainiens ou d’autres personnes meurent. Nous devrions immédiatement décréter un cessez-le-feu, trouver une solution diplomatique et résoudre le problème de la même manière que la déclaration d’Istanbul. Donc, je pense que nous devrions aller dans cette direction. Nous sommes au bord du gouffre, mais nous avons la possibilité de revenir en arrière et d’aller plus loin.

D’où la nécessité d’un Nouveau Bretton Woods auquel appelle l’Institut Schiller. Signez cet appel dès aujourd’hui et faites le circuler.

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