Pour plaire à Washington, l’UE décrète un embargo énergétique contre les Européens

mardi 21 juin 2022

Chronique stratégique du 21 juin 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Si vous doutiez de l’exactitude du terme « suicidaire » employé par le président russe Poutine pour qualifier la politique énergétique européenne, il suffit de considérer comment les gouvernements réagissent aux récentes réductions d’approvisionnement de Gazprom.

Le 14 juin, Gazprom a annoncé une réduction globale de 40 % des livraisons via le gazoduc de la mer Baltique Nord Stream 1. Officiellement, la décision a été prise pour des raisons techniques ; officieusement, il s’agit évidemment d’un message envoyé par Moscou à l’encontre des Européens pour les pousser à renoncer à la logique destructrice des sanctions.

Les deux pays les plus directement touchés par ces réductions sont l’Allemagne et l’Italie, qui importent respectivement 42,6 et 29,2 millions de mètres cubes, le gaz russe représentant respectivement 35 % et 45 % de leurs approvisionnements en gaz. D’autant que Gazprom a réduit de 60 % les flux de gaz vers l’Allemagne via Nord Stream 1 et de 50 % les flux vers l’Italie.

Les gouvernements de Berlin et de Rome ont tenté de rassurer leurs populations en assurant que les coupures ne mettent pas en danger l’approvisionnement énergétique national, l’offre étant actuellement supérieure à la demande ; néanmoins, la baisse brutale de l’offre provoquée par le géant gazier russe va affecter la constitution des stocks, ce qui fait peser un risque concret sur l’approvisionnement national l’hiver prochain.

Selon le consultant Wood Mackenzie, cité par Bloomberg, un arrêt complet de l’approvisionnement par Nord Stream 1 créerait les conditions dans lesquelles l’UE pourrait se retrouver sans réserves lors de du prochain pic de la consommation, au cœur de l’hiver prochain.

Il faut souligner par ailleurs que l’argument des gouvernements selon lequel tout va bien en ce moment ne tient pas la route : des pannes d’électricité répétées ont en effet eu lieu à Milan ces derniers jours, en raison d’une hausse de 25 % de la demande d’électricité due aux températures élevées.

L’utilisation de l’arme du gaz par Moscou était prévisible. Malgré la rhétorique de l’UE, la livraison d’armes – y compris lourdes – à l’Ukraine par les pays de l’UE fait d’eux des co-belligérants contre la Russie. Le Premier ministre italien Mario Draghi l’a lui-même admis dans son discours à Kiev le 16 juin, en déclarant que « nous sommes ici pour aider l’Ukraine dans cette guerre ».

Ainsi, les Européens, qui subissent désormais le retour de bâton, seraient bien avisés de négocier une reddition afin d’éviter des dommages plus graves à leurs ménages et à l’économie. Au lieu de cela, Rome et Berlin, comme s’ils suivaient un script commun (écrit à Bruxelles ?), prévoient des coupures d’énergie pour les entreprises, et le « gel de la liberté » pour les ménages.

Selon un document interne de cinq pages du ministère allemand de l’économie, publié par la DPA, le gouvernement allemand prévoit les mesures suivantes : 1) Un crédit de 15 milliards d’euros de la KfW (banque publique Kreditanstalt für Wiederaufbau) au Trading Hub Europe pour acheter du gaz aux prix actuellement élevés exclusivement pour remplir les stocks ; 2) Une compensation pour les entreprises qui réduisent leur production afin d’économiser le gaz destiné à remplir les stocks ; 3) La réactivation de toutes les centrales à charbon. On ne sait pas ce qu’il adviendra des trois centrales nucléaires encore en activité après la sortie du nucléaire du gouvernement allemand, dont la fermeture est prévue pour la fin de cette année.

En Italie, le ministre de la transition écologique Roberto Cingolani prépare des mesures similaires : 1) Coupures chez les producteurs, d’abord sur « invitation » du fournisseur national Snam ; 2) Utilisation complète des six centrales d’énergie au charbon disponibles ; 3) Réduction de 1 à 2°C de la température pour le chauffage des ménages et des bureaux publics, avec des réglementations pour les zones horaires dans lesquelles le chauffage peut être allumé ; 4) Réduction de l’éclairage public pour les centres de population et les routes. En outre, des mesures similaires à celles introduites lors du choc pétrolier de 1973 pourraient être envisagées, par exemple, des dimanches sans circulation, etc.

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