Forum de Davos : Soros contre Kissinger, l’élite anglo-américaine divisée

lundi 30 mai 2022

Chronique stratégique du 30 mai 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Lors du Forum économique mondial, qui s’est déroulé le 24 mai à Davos, les grands influenceurs de la géopolitique anglo-américaine sont apparus parfois diamétralement opposés à propos de la crise stratégique actuelle : le milliardaire anglophile George Soros, bien connu pour avoir parrainé les révolutions de couleur en Europe de l’Est, a défendu sa vision jusqu’au-boutiste qui domine pour l’instant l’administration Biden et ses vassaux en Europe, et dont l’objectif est de faire perdurer la guerre jusqu’au dernier Ukrainien pour affaiblir la Russie ; d’un autre côté, Henry Kissinger, sans doute peu enthousiaste à l’idée d’une guerre nucléaire entre les États-Unis et la Russie, a fait valoir la vision plus pragmatique d’un accord de paix dans lequel l’Ukraine céderait certains territoires de l’Est à la Russie et accepterait un statut de pays neutre.

Soros : vaincre Poutine pour sauver le climat !

Le milliardaire hongro-américain, qui intervenait au Forum de Davos, a repris son credo de la « société ouverte » des démocraties libérales contre la « société fermée » des autocraties, pour dire que le monde vit sous la menace de la Russie et de la Chine. Selon lui, le partenariat renforcé décidé début février entre Xi Jinping et Vladimir Poutine démontrerait la volonté des deux pays d’avancer ensemble dans leurs projets maléfiques, le président chinois ayant tacitement approuvé le plan de guerre de son homologue en Ukraine.

Par son obstination à maintenir les Jeux olympiques, Xi aurait laissé se répandre le variant Omicron en Chine, et il « persiste dans sa politique Zero Covid » en imposant des « quarantaines de fortune » aux populations — en attendant de s’établir en « souverain à vie » lors du prochain Congrès du parti communiste chinois, à l’automne 2022. Pendant ce temps, Poutine mène sa guerre en Ukraine, où il rencontre une résistance ukrainienne inattendue, laquelle peut compter sur l’aide des États-Unis, qui « font de leur mieux pour réduire l’écart financier entre la Russie et l’Ukraine en obtenant du Congrès qu’il alloue une aide militaire et financière sans précédent de 40 milliards de dollars à l’Ukraine ». Le but étant de provoquer la défaite de la Russie.

Dans cette équation, George Soros loue l’attitude des dirigeants européens, qui font en effet beaucoup de zèle pour se soumettre au plan américain, et poussent une « grande intégration européenne » impliquant la suppression du droit de véto, telle que cela a été proposé par Enrico Letta, le leader du Partito democratico en Italie. Le milliardaire se félicite notamment de voir le chancelier allemand Olaf Scholz abandonner la politique de dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie – qui a longtemps prévalu sous Angela Merkel – et se jeter à pied joints dans le train fou de l’OTAN en livrant des armes lourdes à l’Ukraine.

Soros décerne également un bon point au président Macron, voyant en lui (en partie à tort) un partisan d’une expansion géographique tout azimut de l’UE. « Non seulement l’Ukraine, mais aussi la Moldavie et les Balkans occidentaux devraient être éligibles à l’adhésion à l’Union européenne », a déclaré ce milliardaire qui n’a cessé d’arroser des politiques pour arriver à ses buts.

Ajoutant la menace du changement climatique à celle que les deux dictateurs Vladimir Poutine et Xi Jinping font peser sur notre civilisation, Soros conclut en appelant les Occidentaux à « mobiliser toutes [leurs] ressources pour mettre fin rapidement à la guerre. La meilleure et peut-être la seule façon de préserver notre civilisation est de vaincre Poutine dès que possible ».

Pour sauver le climat, débarrassons-nous de Poutine, donc. Il fallait oser.

Kissinger : l’Ukraine devrait céder des territoires à la Russie

Également présent à Davos, Henry Kissinger, véritable « disque dur » de la politique américaine, s’est opposé à cette vision de George Soros (sans l’identifier nommément) estimant à raison que « poursuivre la guerre au-delà de ce point ne concernerait pas la liberté de l’Ukraine, mais une nouvelle guerre contre la Russie elle-même ». Pour l’ancien secrétaire d’Etat de Nixon (qui a longtemps combattu la vision de Lyndon LaRouche d’un monde de coopération et de développement mutuel entre nations souveraines, mais qui fait preuve d’un certain réalisme sur ses vieux jours), les négociations pour la paix devraient impliquer que l’Ukraine cède à la Russie les territoires contrôlés par Moscou et les autonomistes du Donbass.

Précisons que Kissinger, qui pense généralement plusieurs coups d’avance, n’ignore rien de la dédollarisation en cours de l’économie mondiale et, suite à la crise alimentaire en cours, des émeutes alimentaires qui risquent de faire basculer de nombreux alliés américains dans le camp adverse.

« Les négociations doivent commencer dans les deux prochains mois avant de créer des bouleversements et des tensions qui ne seront pas faciles à surmonter. Idéalement, la ligne de démarcation devrait être un retour au statu quo ante », a-t-il déclaré. A contre-courant du récit médiatique sur la future « défaite » russe en Ukraine, Kissinger estime que la Russie gagne lentement des territoires dans l’Est et qu’il est temps de faire de l’Ukraine comme une « zone-tampon » entre la Russie et l’Europe.

Si l’Ukraine doit survivre et prospérer, elle ne doit pas être l’avant-poste d’un camp contre l’autre - elle doit fonctionner comme un pont entre eux, a affirmé Kissinger.

Les commentaires de Kissinger, qui ont surpris de nombreux observateurs et provoqué la colère des responsables ukrainiens, font écho à un récent éditorial du comité de rédaction du New York Times qui affirmait que l’Ukraine devrait prendre des « décisions territoriales douloureuses » pour parvenir à la paix. « Une victoire militaire décisive de l’Ukraine sur la Russie, dans laquelle l’Ukraine récupère tout le territoire que la Russie a saisi depuis 2014, n’est pas un objectif réaliste. (...) La Russie reste trop forte », constatait le quotidien new-yorkais.

En réalité, l’Occident est divisé entre les partisans d’une solution négociée pour mettre fin à la guerre (dont font partie la France, l’Allemagne et l’Italie, en dépit de leur soumission atlantiste) et ceux qui veulent voir la Russie vaincue à tout prix (c’est-à-dire les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Pologne et les États baltes), quitte à passer par un bras de fer (chicken game) nucléaire hautement risqué en alimentant l’Ukraine avec des armes de plus en plus offensives. C’est ce qu’a préconisé calmement John Chalmers de la Royal United Services Institute (RUSI) de Londres, partenaire de l’Institut Montaigne en France et sous la tutelle de sa Majesté Elisabeth II — dont la folie mentale grandit dans une proportion inverse au rétrécissement de sa taille physique.

Cette division parmi les élites occidentales doit être pour nous l’occasion à ne pas manquer pour pousser une solution de négociation de paix impliquant l’organisation d’une « nouvelle architecture de sécurité et de développement entre toutes les nations », qui prennent en compte les intérêts de chacune des parties, tel que l’ont souligné plusieurs responsables militaires et du renseignement lors de la dernière conférence de l’Institut Schiller. Signez la pétition à cet effet, contribuez financièrement à ce combat et appelez-nous dès maintenant afin de coordonner votre effort avec les nôtres.

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