Afghanistan : ce qui fait cauchemarder les géopoliticiens anglo-américains

jeudi 8 juillet 2021

Chronique stratégique du 8 juillet 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le 4 juillet, les Etats-Unis ont enfin retiré leurs troupes d’Afghanistan, laissant un pays rongé par la pauvreté, la corruption et les production d’opium, et en proie à un risque de guerre civile – que certains n’hésiteront pas à instrumentaliser, notamment à Londres. Cependant, la voie s’ouvre désormais pour une coopération plus directe de ce pays avec la Chine, avec la perspective de son intégration dans la Nouvelle Route de la soie, et en particulier l’extension du Corridor économique Chine-Pakistan.

Danger de guerre civile

Avec le départ des troupes américaines de la base de Bagram, qui fait suite aux accords de Doha conclus sous l’administration Trump, ce sont vingt années d’occupation militaire de l’Afghanistan qui prennent fin. Mais la situation reste extrêmement instable, le pays risquant de basculer dans une guerre civile entre les forces gouvernementales et les Talibans. Au moment-même où les soldats américains s’en allaient, les Talibans ont pris le contrôle de six localités dans la province de Badakhstan, dans le Nord, à la frontière du Tadjikistan et de la Chine, précipitant la fuite de plus de 1000 soldats de l’armée afghane au Tadjikistan.

Comme l’a souligné la présidente de l’Institut Schiller Helga Zepp-LaRouche, lors d’une interview le 4 juillet avec la chaîne de télévision chinoise CGTN, se retirer d’Afghanistan en abandonnant ce pays à lui-même serait désastreux.

L’année dernière, la production d’opium en Afghanistan a augmenté de 45 %, a-t-elle expliqué. L’Afghanistan produit 85 % de la production mondiale d’opium. Si vous laissez faire, les Talibans vont certainement accroître cette production pour financer leurs opérations militaires. Et des personnes mourront dans les rues des États-Unis et d’Europe, sous l’effet de la drogue. En Afghanistan-même, il y a 3,5 millions de toxicomanes. Tout cela montre simplement qu’il faut adopter une approche complètement différente pour résoudre ce problème.

Le chaos ou le développement économique

En Grande-Bretagne, la nouvelle donne provoque d’importants remous. Car si d’un côté le retrait américain a pour arrière-pensée de se redéployer plus directement contre la Russie et la Chine, en mer Noire et en mer de Chine méridionale, d’un autre côté on s’inquiète à l’idée que le vide laissé par ce retrait ne pousse l’Afghanistan dans les bras de ceux que le complexe militaro-financier anglo-américain considère comme ses ennemis.

Lundi, à Londres, le Premier ministre Boris Johnson a tenu une réunion avec son Conseil national de sécurité, afin de définir le rôle des forces britanniques qui resteront en Afghanistan. Entre-temps, des informations sont apparues selon lesquelles environ 750 soldats des unités des paracommandos britanniques (SAS) resteront sur place après le retrait des troupes régulières en tant que conseillers militaires.

Emancipé de l’emprise américaine, le gouvernement du président Ashraf Ghani multiplie les contacts avec Moscou et Beijing. Le 4 juillet, Ghani s’est entretenu par téléphone avec Vladimir Poutine, et le lendemain, le conseiller afghan à la sécurité nationale s’est rendu à Moscou. Mais la presse britannique s’inquiète surtout à l’idée de voir l’Afghanistan rejoindre l’Initiative chinoise de la ceinture et la Route (ICR) – les Nouvelles Routes de la soie lancées en 2013 par Xi Jinping. Le Daily Beast cite notamment une source anonyme proche du gouvernement afghan rapportant que Kaboul se tourne vers la Chine en vue d’une extension du Corridor économique Chine-Pakistan (le CPEC, voir ci-contre) – qui relie la ville de Kashgar, dans l’Ouest de la Chine, au port de Gwadar, au Sud du Pakistan, en suivant une voie parallèle à la frontière afghano-pakistanaise. L’autoroute construite dans ce corridor pourrait ainsi être prolongée jusqu’à Kaboul. « Les autorités afghanes et chinoises sont actuellement engagées dans des pourparlers pour réaliser une route entre Peshawar et Kaboul, ce qui signifierait l’adhésion formelle de l’Afghanistan au CPEC », rapporte une autre source.

Le Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC)

Depuis cinq ans, Beijing tend la main au gouvernement afghan, qui hésitait jusqu’alors à se lancer, de peur des représailles américaines. Désormais, les relations entre les deux pays se développent plus intensément, d’autant que « [le président] Ghani a besoin d’un allié doté des ressources et des capacités garantissant à son pays le soutien militaire nécessaire », rapporte la source du Daily Beast.

Y compris avant le départ des Etats-Unis, Beijing s’est intéressé à la prospection pétrolière du bassin de l’Amou Darya, où la China National Petroleum Corporation (CNPC) est très présente. La Chine se consacre également à l’exploitation des mines de cuivre d’Aynak dans le sud-est du pays, par le biais de deux de ses sociétés : la China Metallurgical Group Corporation (MCC) et la Jiangxi Copper Company Limited. Ce projet fut concrétisé en janvier 2002, lors de la visite du président Hamid Karzai à Beijing. À cette occasion, le gouvernement chinois s’était engagé à fournir 150 millions de dollars à Kaboul (un montant comparable à celui accordé par les Occidentaux et le Japon réunis).

La Chine a bien conscience de l’intérêt majeur que représente une stabilisation de l’Afghanistan, pays qui abrite depuis 1998 plusieurs milliers d’islamistes ouïghours radicalisés regroupés autour d’un groupuscule appelé l’ETIM (Mouvement islamique du Turkestan oriental). Par l’intermédiaire du Pakistan, Beijing a fait comprendre aux Talibans qu’à moins qu’ils mettent fin à leur pacte avec les terroristes ouïghours opérant sur sa frontière, il sera impossible de bénéficier d’une quelconque aide chinoise pour la reconstruction du pays. Le respect de la souveraineté absolue de chacun et la non-ingérence chez les autres reste la règle.

Jeter la vieille géopolitique à la rivière

Seule une approche globale de l’ensemble de la région permettra de résoudre d’une façon durable le problème de l’Afghanistan, en impliquant tous ses voisins – c’est-à-dire, hormis la Russie et la Chine, l’Inde, le Pakistan, l’Iran, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan — le développement économique étant la clé, afin de redonner aux populations des emplois, des infrastructures, des garanties de sécurité et des perspectives d’avenir.

Le dossier de l’Institut Schiller publié en 2019 dans sa version française (cliquer sur l’image)

Dans le rapport de l’Institut Schiller intitulé « La route de la soie devient le pont terrestre mondial », publié en 2014, une partie entière est consacrée au développement industriel de l’Afghanistan et de l’Asie centrale. Le plan, élaboré par des experts de la région et de Russie mais saboté par les réseaux géopolitiques britanniques, présente les possibilités de développement pour l’industrie, l’agriculture, le ferroviaire, la gestion de l’eau, le commerce, l’intégration sociale, etc.

« La géopolitique doit cesser », estime Mme Zepp-LaRouche. Car si toute résolution pérenne de la situation en Asie centrale doit nécessairement passer par la participation des Etats-Unis et des pays européens, c’est à condition que ces derniers abandonnent cette mentalité de jeu à somme nulle, qui conduit fatalement au conflit, et se joignent à la Russie, à la Chine et aux autres pays de la région autour de projets de développement mutuel.

Le besoin et la volonté de reconstruction est immense, et les impérialistes de Londres et de Washington ne sont plus seuls maîtres à bord, comme l’a montré le Sommet entre le Parti communiste chinois (PCC) et les partis politiques du monde, le 6 juillet, auquel ont participé 500 représentants de 160 nations (dont une délégation de Solidarité & progrès) ; tous ont en effet exprimé leur volonté de prendre part à ce monde nouveau de coopération et de développement, montrant qu’il est grand temps de troquer la vieille relique usée de la géopolitique britannique contre les habits neufs des « objectifs communs de l’humanité » !

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