Mer Noire : les Britanniques tentent d’allumer eux-mêmes la mèche

mercredi 30 juin 2021

Chronique stratégique du 30 juin 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

MISE A JOUR : Le président Poutine, lors de sa séance annuelle de questions-réponses avec la population russe, a dénoncé l’implication des Américains dans la provocation britannique : « Cette provocation était complexe, a-t-il déclaré. Elle a été effectuée non seulement par les Britanniques, mais aussi par les Américains, car le navire britannique est entré dans nos eaux territoriales dans l’après-midi, mais tôt le matin, à 7h30, depuis l’un des aérodromes militaires de l’Otan en Grèce, de Crête je pense, un avion stratégique de reconnaissance américain a décollé ».

Une semaine seulement après le sommet Biden-Poutine à Genève – où une amorce de détente a été dessinée, notamment autour du risque de conflit nucléaire —, les Britanniques ont décidé de jouer leur propre partition en envoyant un navire de guerre armé jusqu’aux dents patrouiller dans les eaux territoriales russes au large de la Crimée. Il s’agit d’un acte de provocation délibérée, comme l’ont révélé des documents secrets du Foreign Office, étrangement retrouvés près d’un arrêt de bus dans le comté de Kent, en Angleterre. La Russie a réagi vigoureusement en tirant plusieurs coups de semonce sur la trajectoire du navire.

Le monde poursuit sa marche sur le bord du gouffre, dans l’inconscience quasi-totale des populations. Le 13 avril dernier, comme nous l’avions rapporté, une escalade avait failli devenir incontrôlable, lorsque deux destroyers américains avaient commencé à pénétrer en mer Noire et que la Russie avait amassé des milliers de soldats à la frontière ukrainienne. Pressé de cesser ce jeu dangereux, Joe Biden avait alors donné un coup de fil à Vladimir Poutine puis ordonné aux destroyers de faire demi-tour.

C’est ainsi que, à l’initiative du président américain, la rencontre du 16 juin à Genève a pu avoir lieu, et que les dirigeants des deux principales puissances nucléaires mondiales se sont accordés sur une relative détente, en reprenant la célèbre phrase prononcée en 1985 par Reagan et Gorbatchev, affirmant qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et par conséquent ne doit jamais être initiée.

A lire aussi

Sommet Biden-Poutine : un petit pas qui nous éloigne du gouffre

Provocation britannique

Déterminés à empêcher toute entente entre les États-Unis et la Russie, les Britanniques ont lancé le type d’opération de provocation dont ils sont passés maîtres. Le 23 juin, la Royal Navy a envoyé le destroyer de classe HMS Defender, secondé par la frégate HMNLS Evertsen, patrouiller au large de Sébastopol en Crimée. Une action intolérable pour la Russie ; car non seulement cette dernière considère ces eaux territoriales comme les siennes depuis le référendum de 2014 en Crimée, mais de plus le port de Sébastopol abrite tout l’état-major de la flotte russe de la mer Noire. Donc, autant organiser un défilé militaire devant les portes du Kremlin.

Un navire de patrouille frontalière russe a alors effectué plusieurs tirs de sommation, et un avion Su-24M a largué « par précaution quatre bombes à fragmentation hautement explosives de 250 mm le long du parcours du destroyer HMS Defender », comme l’ont rapporté les autorités russes, forçant le navire britannique a quitter les eaux territoriales russes, et mettant en alerte les chancelleries et les états-majors du monde entier.

Konstantin Gavrilov, le chef de la délégation de la sécurité et des négociations sur les armes à Vienne, a immédiatement déclaré : « J’ai prévenu les anciens ‘régisseurs des flots’ [en référence à l’Empire britannique] que la prochaine fois, les bombes seront larguées non pas devant la cible, mais sur la cible ». Des propos qui ont également été confirmés par le vice-ministre des Affaires étrangères Ryabkov.

Une escalade pouvant conduire à des « erreurs de calcul »

La patrouille du destroyer HMS Defender était une provocation délibérée et planifiée du gouvernement britannique. Le 27 juin, la BBC a créé la « surprise » en publiant des documents classifiés du ministère de la Défense, découverts selon la chaîne auprès d’un arrêt de bus, dans le comté anglais de Kent.

Le dossier de 50 pages en question en date du 21 juin se rapporte au transit du HMS Defender d’Odessa à Batumi, en Géorgie ; le ministère de la défense y décrit un « passage innocent dans les eaux territoriales ukrainiennes » destiné à provoquer une réponse agressive de la Russie. Selon les documents, la mission, baptisée "Op Ditroite", a fait l’objet de discussions à haut niveau, les responsables spéculant sur la réaction de la Russie si le HMS Defender naviguait près de la Crimée.

« Les agents 007 ne sont plus ce qu’ils étaient », a ironisé sur Telegram Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, à propos des conditions rocambolesques de ces révélations. « Londres fait preuve d’une énième action provocatrice suivie d’un tas de mensonges pour la dissimuler ; (…) Maintenant, la question se pose pour le Parlement britannique : est-il besoin de ’hackers russes’ s’il y a des arrêts de bus britanniques ? »

Ce jeu dangereux n’est pas du goût de tout le monde dans l’état-major britannique. Suite aux révélations de la BBC, le général Sir Nick Carter a ainsi déclaré au Times  : « Ce qui m’empêche de dormir la nuit, c’est l’idée qu’une erreur de calcul peut découler d’une escalade injustifiée, telle que ce que nous avons vu en mer Noire. Cela n’a pas eu lieu cette fois-ci, mais c’est le genre de choses auxquelles il faut réfléchir sérieusement ».

Espérons que les développements extrêmes de ces dernières semaines auront eu l’effet d’électrochoc, si ce n’est dans l’opinion publique, au moins dans une partie des dirigeants politiques. En tous cas, la dérive fasciste de Kiev, où le président Zelensky vient carrément d’évoquer la construction d’un « mur » entre le Donbass et le reste de l’Ukraine, est de plus en plus ouvertement reconnue et dénoncée. Le 22 juin, à l’occasion du 80e anniversaire du début de l’Opération Barbarossa (l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie), le principal parti de l’opposition à la Rada (le Parlement ukrainien) a enfin demandé au gouvernement d’interdire les organisations néo-nazies, qui depuis le coup d’Etat anglo-américain de 2014 ont infiltré l’ensemble des institutions politiques et militaires ukrainiennes.

A lire aussi

Ukraine : le président Zelensky piloté par Londres ?

En France, le vent tourne également. Alors que le néonazi Andriy Parubiy, le fondateur du « parti national-socialiste d’Ukraine », avait été reçu avec les honneurs en tant que président de la Rada à l’Assemblée nationale, en juin 2018, plusieurs sénateurs viennent d’interpeller le Quai d’Orsay sur « les activités de plus en plus visibles » des milices se revendiquant néonazies à Kiev.

En février 2014, dans l’indifférence générale de la classe politique et des médias, Jacques Cheminade avait reçu la lanceuse d’alerte Natalia Vitrenko, présidente du Parti socialiste progressiste d’Ukraine, qui dénonçait le putsch néonazi en cours parrainé par le Département d’Etat américain et les services britanniques.

Vous venez de lire notre chronique stratégique « Le monde en devenir ». ABONNEZ-VOUS ICI pour la recevoir sans limitation. Vous aurez également accès à TOUS les dossiers de ce site (plus de 400 !)...