Biélorussie : l’avion détourné et le « deux poids, deux mesures » occidental

mercredi 26 mai 2021

Chronique stratégique du 26 mai 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le gouvernement biélorusse a forcé dimanche 24 mai un avion de la compagnie Ryanair, qui traversait l’espace aérien du pays en direction de Vilnius, à atterrir à l’aéroport de Minsk, afin d’arrêter l’opposant Roman Protasevich, un proche de l’extrême-droite. Il n’en fallait pas plus pour déclencher le courroux de nos « experts » en démocratie et en droits de l’homme. Les mêmes n’avaient pourtant pipé mot en 2013 lorsque l’avion du président bolivien Evo Morales avait été forcé de se poser en Autriche. Un deux poids, deux mesures qui devient malheureusement une habitude dans le petit monde hypocrite des bien-pensants occidentaux…

Lundi, les médias internationaux ont manifesté en chœur leur indignation contre l’interception par le Belarus d’un avion Ryanair, forcé par l’armée de l’air d’effectuer un « atterrissage d’urgence » à Minsk, afin de faire arrêter Roman Protasevich, un journaliste-blogueur anti-gouvernement biélorusse en exil, qui se trouvait à bord.

Les Etats-Unis, par la voix du très atlantiste secrétaire d’Etat Anthony Blinken, ont « fermement condamné le détournement forcé de l’avion » et l’arrestation de Protasevich, et ont demandé une réunion d’urgence du Conseil de l’Organisation de l’Aviation civile internationale. Londres et Kiev ont mis sur liste noire l’espace aérien biélorusse, et les compagnies Air France, Lufthansa, SAS et AirBaltic ont suspendu son survol. Enfin, tout en demandant la libération de l’opposant biélorusse, l’UE a décidé mardi de fermer son espace aérien à la Biélorussie et d’adopter un nouveau train de sanctions contre le régime d’Alexandre Loukachenko.

Bien que l’action du gouvernement biélorusse soit clairement illégale, elle n’est pas sans précédent, comme l’a souligné le journaliste Glenn Greenwald sur son site. En effet, les responsables américains et européens qui la condamnent à juste titre aujourd’hui avaient agi de façon similaire, en août 2013. Le président américain Barack Obama avait alors poussé les gouvernements français, italien et espagnol à interdire l’avion d’Evo Morales, qui revenait de Russie, de survoler leurs espaces aériens, le forçant à faire demi-tour et à atterrir à Vienne, en Autriche. Les services américains l’attendaient avec un mandat d’arrêt contre le lanceur d’alerte Edward Snowden, qu’Obama croyait à tort être présent à bord de l’avion présidentiel bolivien.

L’activiste Roman Protasevich, arrêté le 24 mai par le gouvernement biélorusse, avait intégré le bataillon néo-nazi Azov en Ukraine.

La différence de traitement de Snowden et de Protasevich est évidemment géopolitiquement intéressée. Car tandis que le premier dénonce courageusement la dérive impérialiste et autoritaire de la NSA et du GCHQ (la NSA britannique), le second est l’un des principaux acteurs de la tentative de « révolution de couleur  » lancée en Biélorussie en août 2020, avec la bénédiction des services anglo-américains.

Le nom de Protasevich est apparu dans le contexte de la chaîne Telegram Nexta qui, du jour au lendemain, avec son million d’abonnés, est devenue la voix de l’opposition biélorusse. Et le gouvernement le poursuit pour incitation aux émeutes, ce pour quoi il encourt une peine de quinze ans de prison.

On pourrait s’étonner du fait qu’aucun média n’a jugé nécessaire de préciser que Roman Protasevich est un extrémiste, proche de groupes d’extrême-droite — ce qui est pourtant de notoriété publique. Il est notamment sympathisant du détachement de Pahonia, une milice biélorusse qui a combattu aux côtés du bataillon néo-nazi Azov dans la guerre civile ukrainienne, et il a personnellement participé aux manifestations de Maidan à Kiev au cours de l’hiver 2013-2014. En mars 2017, on a pu l’apercevoir dans une manifestation anti-Loukachenko, paradant en plein milieu du black block néonazi.

Comme quoi les ennemis de mes ennemis sont mes amis, même s’ils sont nazis ; et ça ne dérange aucun Bernard Henri-Levy !

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