Zepp-LaRouche : surmonter la crise sanitaire avec la « coïncidence des opposés »

samedi 22 mai 2021, par Helga Zepp-LaRouche

La méthode de « coïncidence des opposés » : seules une mobilisation commune pour la santé et la fin des sanctions permettront de surmonter la pandémie

Intervention de Helga Zepp-LaRouche, fondatrice et présidente internationale de l’Institut Schiller, lors de la visioconférence de l’Institut Schiller du 8 mai 2021.

Helga Zepp-LaRouche, fondatrice et présidente internationale de l’Institut Schiller.

Bonsoir, ou bon après-midi pour certains d’entre vous. Comme nous en avons discuté lors de la première table ronde, le monde est au bord d’une guerre – et d’une guerre potentiellement mondiale. La solution n’est pas évidente. Une discussion approfondie a montré pourquoi les Nations unies sont si importantes, du fait qu’elles n’ont aucun remplaçant pour le moment.

Cependant, la charte de l’ONU ne permet pas vraiment d’empêcher l’un des cinq membres permanents de son Conseil de sécurité de mener des politiques néfastes à d’autres pays, comme c’est le cas avec la politique de sanctions.

Que faut-il donc faire ? Existe-t-il une solution ? En tant qu’espèce humaine, sommes-nous condamnés à répéter sans cesse les mêmes erreurs ? Comme pour la Première Guerre mondiale, dans laquelle on s’est engagés les yeux fermés ? La Seconde Guerre mondiale fut en quelque sorte la conséquence logique de la Première, du fait qu’elle n’avait pas été suivie d’un ordre de paix. Parce que le traité de Versailles ne pouvait absolument pas fonctionner. Sommes-nous donc condamnés à nous engager fatalement dans une troisième guerre mondiale, à laquelle, d’après toutes nos connaissances et la nature même des armes nucléaires, il n’y aurait peut-être aucun survivant, marquant ainsi la fin de l’espèce humaine ? C’est ce que plusieurs intervenants ont évoqué : Armageddon, extinction, fin de la vie telle que nous la connaissons sur cette planète. Ces formulations ont beaucoup été utilisées ces derniers temps.

La méthode de tous les empires consiste à diviser pour régner. Créer un grand conflit géopolitique, opposant un pays à un autre, puis les manipuler comme sur un échiquier. C’est la grande partie d’échecs de Brzezinski, toute la stratégie pour battre la Russie. N’y a-t-il donc d’autre voie que d’opposer son propre intérêt à celui d’un autre ? Ne pourrions-nous trouver une méthode de réflexion permettant de surmonter une situation apparemment insoluble ?

Nous avons discuté à plusieurs reprises, lors des conférences Schiller et ailleurs, de la différence entre Aristote et Platon. Aristote dit, en gros, que si une chose est A, elle ne peut être B : cette contradiction est insurmontable.

Avec son concept d’hypothèse supérieure (ou d’hypothèse de l’hypothèse supérieure), Platon ouvrait déjà une voie sur la façon dont l’esprit humain peut se hisser à un niveau supérieur et redéfinir des solutions à travers un processus de changement.

Nicolas de Cues (et c’était le sujet d’une de nos conférences précédentes) développa la méthode de la « coïncidence des opposés », qui est l’idée que l’esprit humain, doté de créativité, peut toujours définir, quel que soit le problème, une solution qui se situe sur un plan complètement différent, à un niveau plus élevé que celui sur lequel le conflit se pose. Parce que le Un est d’un ordre plus élevé que le Multiple. C’est aussi ce que disait Einstein : n’essayez jamais de trouver une solution à un problème au niveau où il se pose. Vous devez trouver une nouvelle conception, une conception plus puissante.

Pour le Cusain, l’harmonie ne peut exister dans le macrocosme que si tous les microcosmes s’y développent – que ces microcosmes soient un être humain ou une nation. Cette harmonie ne peut se réaliser qu’à condition que chacun fasse du développement maximal de l’autre son intérêt personnel et réciproquement. De plus, le développement de tous les microcosmes est un processus de perfection, où plus l’on suscite d’épanouissement chez l’autre, plus cela se répercute sur soi, et vice versa. Il s’agit donc d’un processus de développement vers des niveaux plus élevés.

On trouve une conception similaire chez Leibniz, avec ses « monades », que je ne veux pas aborder aujourd’hui. Mais je voudrais dire quelques mots sur la façon dont Nicolas de Cues parvint à cette méthode de pensée véritablement révolutionnaire. Il en était d’ailleurs bien conscient : « Je propose maintenant une façon de penser que personne n’a jamais conçue auparavant, et c’est une façon complètement nouvelle d’aborder les choses. »

La chute de Constantinople

Le siège de Constantinople en 1453.

Cette idée lui vint à son retour de Constantinople, alors qu’il se rendait aux Conciles de Ferrare et de Florence en Italie (1437-1439). Soudainement, dit-il, il eut une pensée venant d’en haut, de Dieu, une inspiration divine. C’est ensuite qu’il développa l’idée de la coïncidence des opposés de la pensée. Il est évident que cela influença sa pensée durant toute sa vie.

Portrait de Mehmed II par le peintre vénitien Gentile Bellini (1479).

Un peu plus tard (en 1453), la chute de Constantinople scellait le destin de l’Empire byzantin. Ce fut une bataille assez sanglante. Le jeune souverain ottoman Mehmed II s’était mis en tête de conquérir la cité. Il s’y prépara pendant deux ans, constituant une immense armée de 150 000 hommes et une flotte gigantesque. Il avait aussi développé un ingénieux système de tunnels et d’autres stratagèmes.

Le défenseur de la place, Constantin XI, ne parvint pas à mobiliser les autres forces chrétiennes pour lui venir en aide. Ne disposant que de 40 000 soldats, il était en situation d’être battu. Enfin, je vous épargne tous les aspects très intéressants de la manière dont cela se produisit, mais Constantinople tomba après de violentes batailles. Les Turcs firent irruption dans la ville. On leur assura qu’ils pouvaient y faire tout ce qu’ils voulaient pendant trois jours, et que tout ce qu’ils pilleraient leur appartiendrait définitivement.

Alors, naturellement, ils se comportèrent comme on peut s’y attendre dans ces circonstances. Et cela a dû être assez violent, beaucoup de sang a coulé, beaucoup de gens ont été tués. Beaucoup de femmes furent kidnappées et réduites en esclavage. Ce fut un désastre absolu. Lorsque l’on en eut connaissance, ce fut une vision d’horreur, comme un choc des civilisations entre le christianisme occidental et le monde musulman oriental. Des histoires horribles circulaient sur ce qui s’était passé.

De Pace Fidei

C’est en apprenant ces événements absolument terribles – ces gens massacrés, ces milliers de morts – que Nicolas de Cues appliqua cette méthode de la coïncidence des opposés et écrivit l’un des plus beaux dialogues sur la paix et la foi, le De Pace Fidei (1453).

Après avoir entendu toutes ces histoires d’horreur sur Constantinople, se dit-il, on doit trouver un moyen de résoudre le problème. Il rédige alors un dialogue socratique dans lequel 17 représentants de différentes nations et religions vont voir Dieu et lui disent :

Écoute, Logos, tu dois nous aider, car nous sommes tous en train de nous tuer en ton nom, et cela ne peut pas être ton intention. Alors, ne pourrais-tu pas nous donner quelques conseils sur ce qu’il faut faire ?

Dieu s’adresse alors à eux tous, Syriens et Italiens, et aux différentes religions, en leur disant :

Vous êtes tous des représentants de la philosophie, vous aimez la vérité car vous êtes des philosophes dans votre propre pays et vous êtes respectés pour cela. – Oui, répondent-ils, nous sommes des philosophes, absolument ! Mais que faisons-nous ? Nous ne cessons de nous battre les uns contre les autres. Peux-tu nous aider ?

Dieu leur explique alors :

En tant que philosophes, vous savez qu’il n’y a qu’une seule vérité. Et l’erreur que vous commettez est de confondre l’unique vérité, qui vient de Dieu, avec les nombreuses interprétations qui ont été faites par les prophètes. Certes, répondent-ils, nous voyons bien que la vérité de Dieu doit être une vérité plus élevée que l’interprétation des prophètes. Mais cela ne suffit pas, peux-tu nous aider encore ?

Dieu poursuit ainsi :

Vous faites l’autre erreur de mélanger cette unique vérité divine avec la tradition. Chacun d’entre vous a des traditions différentes, et elles semblent se contredire, mais la vérité est unique. Tout cela est logique, reconnaissent-ils, mais vous ne pouvez pas nous demander de retourner devant notre peuple et de lui dire qu’il doit suivre une nouvelle religion alors qu’il a versé tant de sang pour l’ancienne !

Dieu leur précise alors :

Non, je ne parle pas d’une nouvelle religion. Je parle de la seule religion qui est au-dessus des religions ; je parle de celle qui est avant toutes les autres.

Tous se déclarent d’accord avec cela et peuvent voir qu’il n’y a qu’une seule vérité, un seul Dieu et une seule religion.

En étudiant cette question il y a de nombreuses années, je me suis demandé si cela avait un sens. Existe-t-il dans les différentes religions des ressemblances de ce type ? J’examinai alors diverses philosophies comme le confucianisme, l’hindouisme, le christianisme… et en effet, je constatai qu’il existe dans chacune d’elles un principe correspondant à ce dialogue et à cette vérité unique, c’est-à-dire à l’ordonnancement légitime de l’univers, de la création divine. Dans le christianisme, on appelle cela la loi naturelle.

Dans le confucianisme, cela s’appelle la cosmologie, ou encore le « mandat du Ciel ». Dans l’hindouisme, on parle aussi de cosmologie, mais en lui donnant le nom de Sanatana Dharma, cette étincelle divine qui est en chacun de nous.

Changer notre façon de penser

Il me semble donc que la survie de l’humanité, ou son extinction en tant qu’espèce, dépend entièrement de la question de savoir si nous pouvons surmonter cette victimisation par la pensée impériale – le fameux « diviser pour régner », en nous laissant entraîner à l’hostilité envers l’autre – ou si nous pouvons éveiller en nous et chez l’autre cette qualité d’auto-développement intérieur, cohérent avec l’ordonnancement légitime de la création ?

Je pense que c’est la méthode qu’on doit absolument appliquer maintenant, d’abord pour dépasser d’une manière ou d’une autre cet affrontement géopolitique, et surtout ces politiques identitaires qui font que les clivages se multiplient de jour en jour.

Nous devons en quelque sorte découvrir en nous ce mécanisme intérieur, cette idée qui fait de nous tous des humains, appartenant à une seule et unique espèce humaine. Il me semble qu’avec cette pandémie, et le fait que nous sommes vraiment plongés dans une crise inouïe - crise morale, politique, sanitaire, militaire, crise économique, crise financière - nous devons commencer par nous rappeler ce qui nous rend vraiment humains, et le caractère sacré de chaque vie humaine sur cette planète.

Je pense que le principal levier pour changer la situation consiste à créer un système de santé moderne dans chaque pays, faute de quoi nous ne serons pas en mesure de vaincre cette pandémie.

En effet, de nouvelles souches risquent de se développer dans les pays privés d’aide, susceptibles d’anéantir tous les efforts des campagnes de vaccination dans les pays ayant eu la chance d’en disposer. Pour ma part, je pense que cette idée de créer un monde meilleur – je veux dire, un monde vraiment meilleur – doit commencer par la mise en place d’un système de santé dans chaque pays ; ce qui signifie, naturellement, qu’on doit abandonner toutes les sanctions. Nous devons installer un système de santé en Syrie, au Yémen, en Irak, en Haïti, au Mali, au Niger, dans tous les pays ! Nous en sommes capables, parce que je suis convaincue que les êtres humains ont le potentiel d’être humain : c’est cela le véritable enjeu.

Voilà ce que je voulais dire pour commencer.

Pour visionner l’ensemble de la conférence de l’Institut Schiller.